Le Monde publie dans son numéro daté du 15 juin un intéressant billet de Sandrine Blanchard concernant la Mission d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments (commentaires ici) :
Médicaments :
l'écrasante influence des laboratoires
Un encart précise la réglementation en vigueur :
"Les demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un nouveau médicament sont examinées par les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Chaque année, de 5 % à 10 % des demandes sont refusées.
La commission de la transparence, rattachée à la Haute Autorité de santé, donne ensuite un avis consultatif sur la nécessité ou pas de rembourser ce médicament. Le Comité économique des produits de santé (CEPS) en négocie ensuite le prix avec le laboratoire, et l'assurance-maladie propose un taux de remboursement. Ces avis sont alors transmis au ministre de la santé, qui décide, in fine, de l'inscription ou non du produit sur la liste des médicaments remboursables."
Ce qui fait un réseau ressemblant au labyrinthe, avec cinq instances :
- l'Afssaps - ou bien l'agence européenne du médicament (EMEA) - qui délivre une AMM ;
- la Haute Autorité de santé (HAS), qui évalue le service médical rendu (SMR) et l'amélioration du service médical rendu (ASMR) des médicaments afin de proposer un niveau de remboursement ;
- le Comité économique des produits de santé (CEPS), qui négocie le prix des médicaments ;
- l' Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) chargée de fixer le taux de remboursement ;
- enfin, le Gouvernement, auquel il revient d'inscrire le médicament sur la liste des produits remboursables.
L'AFSSAPS s'assure que le produit n'a pas d'effets néfastes. Le cas échéant, cela ne constitue pas une preuve par ses soins que le produit présente une efficacité thérapeutique. Il est à noter que dans ce dispositif institutionnel rien ne prévoit, une fois l'AMM délivrée et à défaut de notifications négatives des prescripteurs, de vérifier les allégations des laboratoires "dans la vie réelle". Ainsi un médicament peut être durablement prescrit sans qu'il ait un quelconque effet thérapeutique. Des vagues de galéniques sont maintenant régulièrement déremboursées : applaudissons le ménage !
Seule l'Association Prescrire (selon Loi 1901) s'efforce de dénoncer cette lacune qui contribue au trou abyssal de la Sécurité Sociale malgré les abondements répétés prélevés sur les salaires. La revue Prescrire tente, avec les maigres moyens provenant exclusivement de ses adhérents, de contester l'autorité du Vidal, qui est lui soutenu financièrement par les laboratoires pharmaceutiques.
Il serait théoriquement du ressort de la Haute Autorité de Santé de se préoccuper du service médical rendu. Avec sa centaine de million d'euros de budget, face au marketing massif des industriels, elle se limite aux médicaments remboursés : les médicaments non remboursés ont peu de chance d'être examinés. Nous leur avons demandé de mener une étude : nous avons été orienté vers les associations de défense des consommateurs ou des non consommateurs de tabac.
Si un tel examen était mené, le taux d'arrêt à 12 mois avec les palliatifs nicotiniques étant de :
- 9 % : Mankani et al. Journal Occup Environ Med, 1196; 38 :184-9,
- 10 % : A Randomized Trial of Nortriptyline Combined With Transdermal Nicotine for Smoking Cessation; Allan V. Prochazka, MD, MSc; Steven Kick, MD, MSPH; Connie Steinbrunn; Thomas Miyoshi, MSW; George E. Fryer, PhD Arch Intern Med. 2004;164:2229-2233 ou,
- 11,2 % : référence citée dans la notice Nicorette° Pfizer consultable dans Mediquid,
il n'est pas certain que ces prétendues aides médicamenteuses resteraient autorisées...
Une étude à long terme en Écosse a d'ailleurs montré l'absence de différence significative à long terme en cas d''utilisation de patchs nicotiniques (Yudkin, BMJ 2003 ; 327:28-29).
Les gommes ne font pas mieux. Nous déconseillons donc cet stratégie après avoir constaté qu'elle était plus un facteur de rechute qu'une aide réelle [1].
Troisième étape : la fixation du prix. Nous ne savons sur quelle base celui des timbres transdermiques et des gommes a été établi : il est assez élevé, voisin de celui d'une consommation régulière de cigarettes (en France, 15 cigarettes par jour, 110 euros par mois). La nicotine est une molécule commune, assez économique à produire pourtant. Le Pr Molimard, figure de la tabacologie et ancien fumeur repenti, estime dans son ouvrage 'La Fume' (Sides, 2003) à 0,40 euros ce qui serait nécessaire à un traitement de 15 jours (p. 239). La marge réalisée sur le prix de la nicotine purifiée pour usage pharmaceutique est colossale. Cette marge permet de financer les conférences des tabacologues, comme la Conférence Internationale Francophone sur le Contrôle du Tabac (CIFCOT II) qui s'est tenue en septembre 2005 à Paris à la Maison... de la Chimie (ça ne s'invente pas !) ou des actions d'associations de médecins comme Tabac et liberté à Toulouse. Comment peut-on penser qu'un médecin obligé puisse critiquer son bailleur de fonds [2] ?
Il y a débat pour savoir à quel degré il conviendrait de rembourser les palliatifs nicotiniques, ce qui consititue le quatrième et le cinquième étage de la fusée. Pour l'instant ils ne sont pas gratuits. Sauf dans les pharmacies hospitalières, ce que je comprends, car à défaut d'être utile pour redevenir non fumeur dans sa tête, les palliatifs ont une utilité au décours d'accidents vasculaires : ils maintiennent la tension qu'un sevrage brutal de la nicotine fait naturellement baisser. Ils peuvent réduire aussi la consommation pour les patients atteints de pathologies pulmonaires.
Par contre la disponibilité gratuite de palliatifs auprès de fumeurs sains n'a pas fait la preuve de son efficacité : fumer est un comportement comme sucer son pouce, pas une maladie. Les entreprises qui ont utilisé cette facilité auprès de leur salariés restent sur leur faim. D'ailleurs le très prosélyte Office Français de Prévention du Tabagisme (OFT) a cessé d'en faire la recommandation : les patchs marchent mieux quand ils sont coûteux pour le candidat à l'arrêt. Ceci s'explique très bien : ce qui est coûteux a plus de valeur, ce qui aide inconsciemment le fumeur dans sa 'thérapie'. Il est important qu'il croie à ce qu'il fait. Heureusement l'État impécunieux a d'autres priorités et l'on peut raisonnablement espérer qu'il ne se laisse pas abuser par les sirènes et mégaphones des industriels.
La solution que visent les laboratoires est de développer des molécules plus actives, comme l'amphébutamone (marque Zyban°). On peut y trouver quelque utilité marginale, au prix de risques de complications sévères comme l'épilepsie. Plus une molécule est active, plus les risques d'effets collatéraux est important : ce produit est sous surveillance active de l'Assaps.
Mais si l'on arrivait à développer une molécule permettant à un fumeur de cesser de fumer sans effort, sans avoir rien à faire, on pourrait toucher un sacré jackpot ! Si en même temps la molécule permettait de cesser de fumer sans prendre de poids, alors super banco ! C'est dans cette phase de recherche active que nous nous situons, avec des tests sur des animaux de laboratoire.
Le problème est que l'on a beaucoup de mal à rendre des animaux dépendants à la fumée de tabac : le Pr Molimard n'y est jamais parvenu. Malgré tout si on arrive à trouver quelques cas où une nouvelle molécule révèle un intérêt (par ex. pour les schizophrènes), on l'introduit et ensuite on argumente pour élargir les recommandations ; et le potentiel commercial... Cela a conduit à des dérives condamnées par l'opinion publique, créant un sérieux discrédit sur les prestataires de santé.
Il y a un autre point à mentionner. Quand verra t-on en France, sur des fumeurs français tout venant (ne fréquentant pas les centres hospitaliers où l'on fait les études cliniques contrôlées) une comparaison en vraie grandeur des différentes approches pas nécessairement thérapeutiques pour accompagner le fumeur durant son sevrage ? Une étude "dans la vraie vie", qui compare non seulement le taux de succès à 12 mois mais aussi le confort de l'aide apportée ?
Il est à craindre que cette étude n'ait jamais lieu. On ne saura jamais ce qu'il en est. Les experts que l'Administration de la Santé mobilise pour évaluer les protocoles 'de soin' sont naturellement cooptés entre médecins. Médecins du secteur hospitalier généralement, médecins dont les recherches dépendent des subsides les laboratoires.
Tant que l'on fera appel à des experts ne comprenant que la médecine, sans prendre en compte la parole de scientifiques d'autres disciplines (comme la psychologie ou pour le tabagisme les sciences de l'apprentissage), il y a peu de chance que l'on trouve autre chose qu'une vérité exclusivement médicale.
Enfin citons un dernier verrou : les publications faisant référence pour les autorités de santé sont contrôlées économiquement par les laboratoires. Le Pr Molimard site un cas précis de censure de travaux n'allant pas dans le sens souhaité par les industriels du médicament (La Fume, p. 258). Le fameux Vidal, qui est au médecin ce que le Code Civil est à l'avocat, est une publication commerciale. Tout est fait pour maintenir un épais rideau de fumée devant un mensonge grossier, durable et dont les pauvres fumeurs paient malheureusement le prix.
Notes
- Certains cas particuliers nous ont sévèrement questionné : dans aucune situation les aides nicotiniques ne nous ont convaincu de pouvoir contribuer à l'affranchissement de la dépendance tabagique du fumeur en difficulté. Si l'on y regarde avec attention, le problème n'est pas le sevrage : quand on est en bonne santé ses syndromes se surmontent assez aisément. Quand on est malade, cela devient plus compliqué et il faut traiter la pathologie pour permettre l'arrêt. Il reste encore à trouver une utilité thérapeutique à la nicotine : elle ne soigne rien.
- Quand on a les moyens, la promotion télévisée aux heures de grande écoute peut se comprendre pour un produit non remboursé. Elle est incorrecte pour un médicament faisant l'objet de remboursement : cela revient à faire supporter par la collectivité un produit de nature commerciale. C'est le cas de substances pour l'aide à cessation du tabagisme. On sait que la France est déjà recordwoman d'Europe de la prescription d'antibiotiques : deux fois plus qu'au Royaume Uni, quatre fois plus qu'aux Pays-Bas.