Je ne fume plus mais je mâche ! est le titre de l’article publié dans le magazine ELLE cette semaine (n° 3175, 2006, rubrique Société/Emergence, p. 115-118) sous la plume de Françoise CONDAT.
« Conçues pour aider à décrocher de la cigarette, les gommes nicotinées à mâcher pourraient créer une véritable dépendance » indique le chapô.
L’article cite quelques témoignages édifiants. Florilège de citations :
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« J’ai voulu arrêter avec les gommes à mâcher. Il m’a fallu huit ans pour [en] décrocher » (Sophie)
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« La gomme comblait les mêmes besoins que la cigarette. Je suis devenue accro en quelques semaines » (Marie-Claire).
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« Je me suis mise à en prendre une quinzaine par jour. Cela dure depuis six ans » (Pauline)
L’article cite des grands noms de la tabacologie : Marc Valleur, médecin-chef de l’hôpital Marmottan à Paris, le Dr Lagrue toujours missionnaire à 8O ans passés, Ivan Berlin pharmacologue à la tête de la Société Française de Tabacologie à la suite du Pr Molimard (cf. le billet du 8 novembre).
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« Comme la cigarette, elles provoquent des brûlures et des picotements, des sensations agréables au fumeur, et qui favorisent la dépendance » (Dr Ivan Berlin)
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« On pourrait considérer la nicotine comme une substitution à moyen ou long terme, un peu comme la méthadone du toxicomane. Il faudrait alors que ces produits soient vendus à des prix moins excessifs » (Dr Marc Valleur)
Ne négligeons pas ce qui se dit dans la presse grand public, notamment celle faisant état d’une solide réputation éditoriale. Cet article de ELLE révèle le piège que constitue le recours aux gommes dont on sait depuis leur mise sur le marché qu’elles sont susceptibles de déplacer la dépendance sans la réduire.
Les études manquent évidemment, car il est peu probable qu’elles puissent obtenir un financement, et même le cas échéant qu’elles puissent être publiées dans les revues contrôlées économiquement par l’industrie du médicament (cf. le témoignage du Pr Molimard qui rapporte la censure auquel il a été confronté dans son livre ‘La fume’). Une bonne approximation serait qu’un fumeur – ou une fumeuse - sur six ayant recours aux gommes en devienne dépendant.
Faisons un rapide calcul. La consommation rapportée par les réseaux de distribution pharmaceutique en France est selon les statistiques de l’OFDT (cf. tableau du 08/11/06 sur ce blog) équivalente à 650 000 tentatives d’arrêt. On pourrait en déduire approximativement que 100 000 fumeurs seront devenus dépendants aux gommes à la nicotine en 2006 en France (650 000 divisé par 6). Voila un bon marché captif.
L’argument de la médecine, rapporte Françoise Condat, est que la dépendance aux gommes à la nicotine serait moins nocive pour la santé physique que la fumée de cigarette. Ce serait un « moindre mal ». Le temps de consommation des gommes, souvent de plusieurs années, servirait de sas de transition vers l’affranchissement définitif. C’est un argument.
Nous pouvons surtout y voir l’intérêt économique des laboratoires, remplaçant les bureaux de tabac dans la délivrance ( !!) de nicotine quotidienne… pour un budget sensiblement équivalent. La durée d’utilisation des timbres transdermiques se compte en jours ou en semaines. La durée de consommation des gommes pourrait se chiffrer - dans un cas sur six - en années. C’est peut-être la raison pour laquelle la vente des gommes en France croît, tandis que celles des autres traitements pharmacologiques (timbres et Zyban) décroît (cf. tableau de bord OFDT).
Alors rappelons que le gain d’efficacité – si l’on peut utiliser ce terme - des traitements pharmacologiques de la dépendance au tabagisme est conditionnée à un accompagnement personnel de la part d’un professionnel. Nous pensons même que c’est la principale raison de leur efficacité à long terme : dans la relation professionnel de santé/fumeur, les adjuvants médicamenteux servent de médiateur et d’alibi pour un suivi dans la durée (un billet à venir prochaînement sur ce blog avec les détails du dossier d’autorisation de mise sur le marché de la varénicline et le dossier réalisé sur cette molécule par la revue Prescrire).
Ceci milite donc à ce que ce qui est présenté en France comme un médicament, et donc destiné à des fumeurs malades, soit conditionné à une prescription médicale. Il serait préférable que le médecin traitant a été formé à la tabacologie et à la clinique des addictions. Le paiement à l’acte rend cette option difficilement envisageable en médecine de ville évidemment.