Pfizer annonce Champix° : le communiqué de presse est remarquablement bien rédigé. Le chiffre d’affaires de ce produit devant, selon Pfizer, se classer dans le top 10 de ses meilleurs ventes - au-delà du milliard de dollars par an (source : rapport à la SEC, New York) - on peut imaginer que cette annonce aura mobilisé les meilleurs spécialistes du marketing de la compagnie. On ne perçoit même pas le fait qu’il s’agisse d’une traduction. Tout juste y aurions-nous remplacé le terme psychocomportemental par psychocognitif.
A partir des seuls éléments dont nous disposons, à savoir le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’EMEA (Agence Européenne du Médicament), on peut cependant tenter de pointer les limites de cet "exercice de style".
1°) Champix est présenté comme étant le premier véritable substitut à la nicotine, et il ne fait pas de doute que ce sera un substitut de ce qui a faussement été appelé jusqu’à présent ‘substitut’ et qui n’était que de la nicotine délivrée de façon différente.
Mais nommer le Champix ‘Substitut à la nicotine’, comme on le fait avec la méthadone pour l’héroïne par exemple avec le même raisonnement, cannibaliserait les ventes, profitables, de la nicotine (Pfizer est n°1 en France pour ces produits devant Fabre et GSK).
Ceci dit j’ai cru cependant comprendre que Pfizer avait revendu Nicorette à Johnson & Johnson, et cette tactique de positionnement pourrait ne pas durer si aucun élément ne vient ralentir les ventes de cette nouveauté.
2°) Champix facilite le sevrage et un peu la suite. Point.
(.)
3°) Un des avantages énoncés concerne le caractère aversif du produit. Il devient dégoûtant de fumer durant le traitement. Ceci peut contribuer à déprogrammer le fumeur de son addiction, les inconvénients à fumer étant supérieurs au pseudo-plaisir qu’il avait à le faire.
Les procédés aversifs sont réputés efficaces mais non recommandés parce que diversement supportés. Il devrait en être de façon similaire pour ce traitement.
4°) Les chiffres annoncés supposent un traitement de 12 semaines, bien observé. C’est long et on peut douter de l’observance, même pour les plus fortunés. Ceci est confirmé par la proposition de Pfizer US d’un programme d’observance de 52 semaines, ce qui est particulièrement long.
La démonstration comme quoi la prolongation du traitement améliore encore les chances de succès peut se lire à l’envers : la réduction de la durée de traitement doit être préjudiciable, pour un résultat de toute façon médiocre statistiquement.
A noter au passage que l’évaluation de l’efficacité de la prolongation est faite à partir du début du traitement initial et non du début de la prolongation ni de la fin de celle-ci. En toute rigueur il conviendrait de prendre en compte l’abstinence à 12 mois à compter de la fin du traitement…
Ce test comparant les résultats à 12 semaines ou 24 semaines de traitement est particulièrement insidieux quant aux conclusions que l’on peut en tirer : faudrait-il poursuivre la traitement dans la longue durée ? C’est une ouverture vers cette extension que cette étude permet. Mais cela ne prouve pas que le traitement permette la ‘Défume’ comme le dit Robert Molimard (dont le point de vue d’expert indépendant est attendu).
5°) Pfizer indique clairement les conditions de l’expérimentation, à savoir que les patients ont bénéficié de conseils et d’aide à l’arrêt (l’AMM précise avec quel protocole, celui en vigueur aux USA à l’époque) et aussi d’un suivi sur 40 semaines.
Cet accompagnement totalise environ 4 heures de consultation avec un professionnel de santé spécialement formé ou compétent en tabacologie. Ce temps n’est guère compatible avec la disponibilité d’un médecin de ville : 25 consultations de 1/4 d’heure… Ceci a un coût non négligeable pour l'Assurance Maladie en outre.
6°) L’impact de cet accompagnement, dont la HAS le 17 janvier dernier disait qu’il devrait conditionner la délivrance de la médication d’aide au sevrage, se retrouve dans les résultats du placebo. Le placebo de varénicline atteint, dans le deuxième test, 10,3% de succès à 12 mois, ce qui est similaire aux résultats de nicotine sans accompagnement particulier. Les bons chiffres de la varénicline sont en partie dus au contexte du test, contexte qui répétons-le n’est reproductible en pratique qu’en centre de tabacologie spécialisé (public ou subventionné).
7°) Ainsi il apparaît que Champix puisse être - comme Zorro - le sauveur des tabacocologues en mal de résultats.
C’est une des raisons de toutes ces bandes annonces : Pfizer va y trouver son compte, mais aussi les professionnels de santé confrontés à la médiocrité persistante de leurs prestations, du moins par ceux qui respectent les recommandations officielles…
Il y a amplification du marketing industriel car il est avantageux de redonner espoir aux fumeurs mis devant l'injonction de plus en plus pressante de cesser leur comportement.
Il s’agit d’un rêve fumeux bien évidemment, car c’est l’au-delà des premières semaines du sevrage qui pose problème à la médecine : on ne guérit pas totalement d’une addiction. La plupart des fumeurs que je côtoye au quotidien reconnaissent aisément que le sevrage n’est pas le problème. C’est la rechute à terme, les 'envies' pouvant survenir des années durant. Ceci est une autre histoire, qui s’écrit avec les mots – et non les maux – de la psychologie.
8°) Les risques pharmacologiques de cette nouvelle molécule apparaissent comme faibles. Le discours du laboratoire est de soutenir qu’une diffusion massive dès le début de la commercialisation permettra de faire apparaitre plus vite les éventuels cas où le traitement doit être contre-indiqué.
On peut inversement penser le contraire et proposer, comme le fait Prescrire dans son dossier d’octobre 2006, de recourir au principe de précaution. L’urgence à cesser de fumer est politiquement exacte, d’autant que la politique conduite en France peut avoir un impact sur le résultat des prochaines élections, mais en termes sanitaires, ce n’est pas quelques mois supplémentaires de tabagisme qui vont changer significativement le tableau. Il est sage que l’AFSSAPS procède de façon transparente à une évaluation sérieuse à 12 mois, et que les études post-AMM confirment ou infirment les résultats pré-AMM que l’on a vu artificiellement gonflés.
9°) Il manque de données sur les publics à complication, un tiers des candidats au test AMM ayant été exclus de celui-ci pour cette raison. Malheureusement ce sont ces patients là qui seront le plus demandeurs d’une béquille chimique.
10°) N’étant pas astreint à une observance du dogme de l’AFSSAPS concernant les aides médicamenteuses et non médicamenteuses pour l’arrêt du tabac (28 mai 2003), nous nous en en tiendrons à la recommandation de la revue Prescrire d'octobre 2006, qui me semble un sage compromis :
« Si une aide médicamenteuse est jugée nécessaire, autant en rester en première intention à la nicotine ».
Pour ma part dans notre pratique clinique nous n'avons jamais jugé une aide médicamenteuse nécessaire : cela freine l'apprentissage de l'abstinence durable en évitant au fumeur d'avoir à faire face à une envie de fumer. Ne considérant pas que le comportement tabagique – notamment celui des jeunes adeptes - soit une maladie ni qu’il y ait avantage à traiter les fumeurs comme des ‘malades’, bien au contraire, nous laisserons le soin aux hommes de l’art de décider quand une aide médicamenteuse est « nécessaire ». Nous ne pouvons que rejoindre la HAS qui enjoint d’ y associer le cas échéant un accompagnement psychocognitif.
Post scriptum
Dans la chanson, Zorro arrive 'sans se presser'. Eh bien Pfizer ne se presse pas pour formuler une demande de remboursement de son produit miracle. La commission compétente qui a la charge de statuer ( CFES) n'avait pas de dossier déposé fin décembre dernier. Xavier Bertrand est furieux rapporte Eric Favereau dans LIBÉRATION : tout ce qui serait susceptible de pallier à l'agressivité croissante des fumeurs récidivistes en mal de solution médicale valable serait bienvenu.
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