Michael Siegel est un chercheur américain en tabacologie soucieux de la qualité scientifique des arguments avancés dans la lutte anti-tabac. Nous publions ci-après la traduction du dernier billet de son blog La suite de l'histoire (The rest of the story). Il concerne la récente mise à jour des recommandations étatsuniennes concernant la prise en charge médicale du tabagisme :
Un groupe d'experts des National Institutes of Health (NIH) recommande les produits pharmaceutiques à chaque fumeur désirant cesser de fumer ; Le président du groupe et huit de ses membres ont des liens d’intérêt avec Big Pharma
Par Michael Siegel (traduction UnAirNeuf.org)
Un groupe d'experts mandatés par l’Institut National de la Santé NIH (Agence Fédérale de la Recherche Médicale, USA), a publié cette semaine une mise à jour 2008 de la recommandation de pratique clinique concernant la prise en charge du tabagisme. La directive recommande que chaque fumeur qui souhaite cesser son tabagisme soit traité avec les produits pharmaceutiques, sauf si cela est médicalement contre-indiqué. La directive recommande également le recours à Champix°, malgré les inquiétudes quant au risque potentiel de suicide, risque qui fait actuellement l'objet d'une enquête par la Food & Drug Administration (FDA).
Parmi les médicaments recommandés par le groupe sont mentionnés :
- buproprion ;
- la gomme à mâcher à la nicotine ;
- timbre transdermique de nicotine ;
- spray nasal de nicotine ;
- la tablette de nicotine ;
- inhalateur de nicotine ;
- Champix° et
- des combinaisons de ce qui précède.
La suite de l'histoire
Loin d'être une revue objective ou une évaluation de la meilleure stratégie possible pour faciliter la cessation du tabagisme chez les fumeurs aux États-Unis, la directive est une analyse fortement biaisée, affligée par la présence de sérieux conflits d'intérêts concernant le président du groupe et au moins 8 de ses autres membres.
Ces 9 membres du groupe de travail ont reçu ou reçoivent actuellement un financement de sociétés pharmaceutiques. La plupart des sociétés concernées sont réputées être intéressées par le guide de recommandations, ces entreprises fabriquant des produits pharmaceutiques recommandés par le groupe.
Voici la (longue) liste des conflits d'intérêts au sein de ce groupe prétendument objectif d'experts scientifiques :
Michael C. Fiore |
« a signalé qu'il a contribué comme un investigateur lors de recherches à l'Université du Wisconsin (UW) qui ont été soutenues en tout ou en partie par quatre sociétés pharmaceutiques ; en 2005, a reçu une indemnité d'un société pharmaceutique. En outre, il a indiqué que, en 1998, l'UW l’a nommé titulaire d’une chaire subventionnée par Glaxo Wellcome. » |
William C. Bailey |
« rapporte des intérêts financiers significatifs sous forme d'une indemnité de trois différentes sociétés pharmaceutiques en 2006 et deux en 2007 pour prendre la parole en public. » |
Timothy B. Baker |
« a signalé qu'il a servi en qualité de co-investigateur de recherches à l'Université du Wisconsin parrainées par quatre sociétés pharmaceutiques. » |
Neal L. Benowitz |
« rapporte un intérêt financier significatif sous la forme de rémunération par une compagnie pharmaceutique pour chacune des années 2005 à 2007, ainsi que la possession d’actions dans une entreprise pharmaceutique. » |
Michael G. Goldstein |
« a indiqué que son employeur a reçu l'appui de Bayer Pharmaceutical avant 2005 et qu'il était employé par Bayer Pharmaceutical Corporation avant le 1er janvier 2005. Son organisation a reçu des paiements pour ses prestations de la part de deux sociétés pharmaceutiques et d’un site internet d’aide au sevrage tabagique au cours de la période de 2005 à 2007. » |
Harry A. Lando |
« a signalé avoir participé à un groupe d’experts pour un nouvel usage d’un médicament d’aide à l’arrêt du tabagisme ainsi qu’à de réunions en 2005 et 2006 comme un membre de ce groupe. » |
C. Tracy Orleans |
« déclara un intérêt financier significatif par la possession d’actions de sociétés pharmaceutiques par un enfant à charge. » |
Maxine L. Stitzer |
« a signalé sa participation au conseil scientifique d’une entreprise du médicament en vue d’un nouveau traitement d’aide à la cessation du tabagisme. » |
Sally Faith Dorfman |
« a rapporté son emploi par Ferring Pharmaceuticals, Inc, une entreprise dont l'activité n’est pas liée au traitement de la dépendance tabagique. » |
Glaxo Wellcome, qui a apparemment doté le poste de président du groupe de travail, est le distributeur de
- Wellbutrin,
- Commit Lozenge,
- Committeds Quitters,
- NiQuitin/Nicoderm,
- Nicabate, et
- Nicorette.
L'utilisation de tous ces produits est recommandée par la directive.
Cela veut dire que nous avons un groupe d'experts qui sont notoirement liés économiquement avec l'industrie pharmaceutique, et qui sont intéressés financièrement s’ils recommandent l'utilisation de produits pharmaceutiques pour le sevrage tabagique. Plus ils recommandent l’utilisation de produits pharmaceutiques, plus ils sont gagnants.
Il s'agit d'un conflit d'intérêts de la pire espèce que je puisse imaginer. C'est précisément ce genre de collusion qui doit être empêché.
Ironiquement, c'est le Ministère de la Santé, la Direction de la Santé publique elle-même et le NIH qui sont chargés de réglementer les conflits d'intérêt avec les chercheurs aux Etats-Unis. Présenter un tel conflit d'intérêt dans son propre fonctionnement est proprement inadmissible.
Bien que je trouve discutable que ces agences permettent à des experts liés par des conflits d'intérêt de siéger au comité, je trouve qu'il est également troublant de constater que ces personnes acceptent d’y participer. Je crois que sur la base de ces conflits, ces experts devraient eux-mêmes s’être récusé pour ce groupe de travail.
Le conflit dans ce cas n'est pas seulement une hypothèse Il se révèle dans le biais de la recommandation : l'analyse surestime l’effet des traitements dans le sevrage tabagique et néglige la constatation empirique sur la population que la plupart des gens qui cessent de fumer y parviennent sans aides pharmaceutiques.
Comme mon collègue le Dr Lois Biener de l'Université du Massachusetts Boston l’indique dans un article d’Associated Press sur la recommandation daté du 8 mai 2008, il y a peu ou pas de « d’éléments de preuve dans le monde réel » que les traitements améliorent à long terme la cessation du tabagisme lorsqu'ils sont utilisés en dehors du cadre des essais cliniques, et certainement pas d’une ampleur comme la suggèrent ceux qui vantent ces produits pharmaceutiques. Voir l'article AP : New federal quit-smoking advice recommends Chantix despite safety concerns
« Lois Biener, un chercheur en tabacologie de l'Université de Boston (Massachusetts) a déclaré que la plupart des gens qui cessent de fumer y parviennent sans médicament d’aide au sevrage. Il y a un faible niveau de preuve que ces médicaments sont supérieurs à long terme à cesser de fumer sans aide, et si quelques études ont montré certains avantages, ils sont ‘bien moindres que ceux revendiqués’ par les défenseurs des médicaments, dit Biener. »
Un expert national sur la cessation du tabagisme qui n'était pas dans le groupe de travail - John Polito - suggère dans cet article que la directive est essentiellement un « argumentaire de vente » pour l'industrie pharmaceutique, que les avantages des produits pharmaceutiques sont exagérés, que l’arrêt sans aide médicamenteuse n'est pas analysé, et que la recommandation visant à promouvoir l'utilisation de Champix est erronée et pourrait causer des dommages.
Comme le rapporte Associated Press : « Le point de vue de Fiore est façonné par ses liens passés avec l'industrie pharmaceutique, et ces liens continuent de poser problème, » dit au moins un défenseur des consommateurs.
John Polito, un intervenant en aide au sevrage tabagique qui gère le site WhyQuit.com préconisant l'arrêt franc a demandé la révision de directives commerciales en faveur de l'industrie pharmaceutique. Le groupe de travail a négligé des recherches montrant que l’arrêt sans aide médicamenteuse fonctionne, dit Polito, et les études montrant que Champix° est supérieur ne reflètent pas comment il est utilisé "dans le monde réel". « Les gens cessent de fumer pour sauver leur vie, dit Polito. Si les risques du Champix l'emportent sur ses avantages, ce serait de la folie pour les gens de risquer leur vie en l'utilisant », dit-il.
Polito dit les choses vraiment mieux que je le ferais et il a raison sur ce point. Les recommandations sont essentiellement un argumentaire promotionnel pour l'industrie pharmaceutique. Polito montre comment les entreprises peuvent corrompre des experts scientifiques.
Ce qui me trouble le plus c'est que tandis que le monde médical cherche à diminuer l'influence des sociétés pharmaceutiques sur les médecins en limitant les avantages financiers qui peuvent leur être accordés, la lutte contre le tabagisme semble être de plus en plus affligée par cette pharmacollusion. Le problème est pris en compte en médecine, mais dans la lutte antitabac, il continue à croître.
L'ironie ultime de tout cela est que dans la lutte antitabac nous avons réprouvé avec véhémence l’influence de l'industrie du tabac sur la recherche scientifique. Nous avons attaqué et dénoncé les scientifiques ayant des liens financiers avec les cigarettiers. Nous avons discrédité des conclusions scientifiques uniquement sur la base de liens financiers avec Big Tobacco de leurs auteurs. Et maintenant nos politiques nationales sont fixées par les individus qui ont également des liens étroits avec Big Pharma.
Cela peut constituer une surprise pour beaucoup dans la lutte contre le tabagisme, mais ce type de science est tout aussi mauvais. La patascience est de la patascience. Les conflits d'intérêt sont les conflits d'intérêt. Croyez-moi, la science n’est pas plus légitime tout simplement parce que l’industrie qui la corromp est moins détestable. A l’instar d’un phénomène qui a contribué à ruiner la carrière de scientifiques liés à l'industrie du tabac, nous devrions être au-delà de tout soupçon en ne présentant pas de conflits d'intérêt similaires qui dégradent et empoisonnent notre science.
= O =