« Les gens bien portants
sont des malades qui s'ignorent. » faisait dire Jules Romains au Dr Knock dans
Knock ou le Triomphe de la médecine,
pièce de théâtre de 1923 jouée des centaines de fois avec Louis Jouvet dans le
rôle titre.
Dans une sorte de 'remake' les
médecins Adriane Fugh-Berman et Douglas Melnick, connus pour leurs attitudes
critiques à l’égard de l’influence de l’industrie pharmaceutique, signent le 25
avril un article intitulé Smoke and Mirrors ("Fumée et écrans de fumée").
Ils y dénoncent le dernier cas connu de « disease
mongering », terme traduisant l’invention de toutes pièces d’une gamme de
symptômes ou de caractéristiques visant à médicaliser et déclarer « malades »
des gens sains pour vendre tel produit pharmaceutique ou en élargir son marché.
Ils s'en prennent aux auteurs d'un
audacieux article de la revue Annals of Internal Medicine (1
April 2008 | Volume 148 Issue 7 | Pages 554-556) : "Arguments en faveur du
traitement de la dépendance tabagique comme une maladie chronique" même
une fois que le fumeur a... cessé de fumer !
Jugez-en : ces propos sont à considérer comme de la vulgaire propagande commerciale basée sur des peurs
infondées.
Merci à Pharmacritique pour
l'information.
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Fumée et écrans de fumée
Par Adriane Fugh-Berman* et
Douglas Melnick**
La dernière invention de maladie
(forme créative du marketing pharmaceutique) est la dépendance au tabagisme.
Les produits approuvés pour aider les fumeurs à renoncer au tabac sont en train
d'être promus comme substituts durables à fumer, au motif allégué que les
médications tueraient moins vite que les cigarettes.
Un récent article dans les
Annales de médecine interne prétend que la dépendance tabagique doit être
considérée comme une pathologie médicale, comme l'asthme ou le diabète. Si ! Il y a même un tableau qui compare l'usage du tabac avec le diabète. Le fait
que chacun " cause de multiples maladies ou complications " est une
caractéristique partagée. Pour chacun, les patients ont " une probabilité
accrue de réussite avec des médicaments " et donc " un traitement
optimal combine une thérapie du comportement avec des médications. "
La section la plus importante de
cet article est la déclaration de lien d'intérêt. Les deux auteurs qui ont des
diplômes universitaires sont des conférenciers pour Pfizer et sont aussi des
consultants de Pfizer, Novartis, GlaxoSmithKline, et Celtic Pharma. Pfizer
commercialise la varénecline (marque Champix°) et Nicotrol, un spray nasal de
nicotine. GSK distribue la gomme Nicorette, les pastilles de nicotine Comit,
les timbres Nicoderm, et le Zyban (buproprion, que GSK qui vend également comme
un antidépresseur sous la marque Wellbutrin). Novartis propose Thrive, une
gomme à mâcher à la nicotine ( « thrive », c'est-à-dire à 'gagner' ou
'prospérer', semble une appellation plutôt originale pour délivrer un produit
addictif.). Enfin Celtic Pharma est en cours de tests de TA-NIC, un vaccin
contre la récidive du tabagisme.
Il semblerait que ces entreprises
s'accordent pour faire du tabagisme une maladie chronique afin de repositionner
leurs produits comme des traitements dans la durée, à l'instar de la méthadone.
Cesser de fumer est décrit comme un objectif irréalisable sans aide
pharmacologique. La nicotine, la composante commune aux cigarettes et aux
substituts de la nicotine, est dépeinte comme inoffensive sous ses
présentations pharmacologiques. De la même façon sont considérés inoffensifs le
buproprion (qui peut provoquer des crises d'épilepsie) et la varénecline
(induisant parfois des troubles psychiatriques, notamment des idées suicidaires
et des suicides).
Ce nouveau modèle propose que les
patients qui n'arrivent pas à s'affranchir seuls de leur dépendance - après
avoir éventuellement utilisé un produit d'aide au sevrage tabagique en se
conformant à ses recommandations d'utilisation - soient mis sous traitement de
longue durée. L'article présente le cas d'une femme qui s'est remise à fumer
après que sa compagnie d'assurance ait refusé de continuer à prendre en charge
les inhalateurs de nicotine au delà de deux ans. L' objectif 'vache à lait' de
cet article ne saurait être plus clair: " Bien que l'utilisation à long
terme est considérée comme hors homologation AMM, les patients doivent être
encouragés à s'abstenir de fumer ; si la prolongation de leur pharmacothérapie
les y aide, le traitement doit être poursuivi, encouragé, et pris en charge
financièrement. "
Recadrer une dangereuse habitude
comme maladie chronique, afin que les compagnies d'assurance payent pour les
médicaments de remplacement de la nicotine même hors des recommandations
d'usage, permettrait de transférer le fardeau financier des prises de nicotine
des patients vers leur assurance Santé. Les patients pourraient alternativement
recourir pour le restant de leur vie à des substituts sans nicotine coûteux et
avec des effets indésirables graves.
Le message des entreprises du
médicament pour les fumeurs semble être : " Vous ne pouvez pas cesser
votre dépendance sans médicaments. Vous pouvez même ne pas y parvenir avec
prise de médicaments. Mais vous pouvez envisager de remplacer le tabagisme par
des médicaments ; peut-être qu'un traitement à vie serait moins dangereux que
continuer de fumer à vie. "
Ou peut-être pas. Après tout, les
données sur les effets à long terme des médicaments anciennement connus comme
aides au sevrage sont limitées. Les médicaments sont approuvés sur la base d'un
rapport bénéfice/risque pour la pathologie qu'ils sont censés traiter.
Soumettre de nombreux cobayes à des risques inconnus de traitements prescrits
en dehors de leurs conditions d'homologation, ou au-delà de la durée de
traitement pour lequel elles ont été approuvées, impliquerait de mener une
expérience de grande ampleur, déraisonnable, et sans groupe de contrôle.
En vérité, la moitié de ceux qui
ont fumé plus de 100 cigarettes dans leur vie ont définitivement guéri de leur
prétendue maladie. La méthode la plus courante est l'arrêt franc, sans palliatif médicamenteux. Il est établi que l'usage des médicaments dits d'aide au
sevrage au-delà de la durée indiquée dans les notices d'utilisation des
produits n'accroit pas leur efficacité à terme pour cesser de fumer. Mais
alors la cessation du tabagisme - utilisation approuvée de ces médicaments - ne semble plus être
l'objectif : l'objectif est devenu le remplacement permanent des cigarettes par
des pilules ou des timbres.
Cesser de fumer est certainement
bénéfique et réduit les coûts du système de santé. Les aides à l'arrêt du
tabagisme peuvent avoir une utilité pour pallier la dépendance à la nicotine.
Toutefois, l'utilisation à long terme de médicaments coûteux qui ne l'ont pas
été testés pour cet usage expose à des risques inconnus. Traiter le tabagisme
comme une « maladie » déresponsabilise ceux qui veulent arrêter de fumer; si
une maladie se traite par la médecine, la (bonne) volonté peut prendre le
dessus sur une habitude ou une addiction. Considérer la dépendance à la
nicotine comme une maladie chronique nécessitant la prise à vie de médicaments
ne peut que dégrader la santé publique.
* Adriane Fugh-Berman est professeure associée de médecine à
Washington DC.
** Douglas Melnick est médecin en Californie.
Traduit par nos soins ; article original en anglais aru dans Bioethics Forum, un service du Hastings Center Report
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