« Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent » est une réplique de Knock ou le Triomphe de la médecine, pièce de théâtre de Jules Romains écrite en 1923 et jouée 1500 fois par Louis Jouvet.
Pour lancer son nouveau cabinet, le jeune Dr Knock instaure les consultations gratuites le lundi : sous peu toute la population se retrouve malade sous traitement, y compris le vieux médecin dont il a repris la clientèle. Le brave pharmacien Mousquet se frotte les mains. Triomphe de la médecine.
Ce classique du théâtre est maintenant joué en 'live' dans un 'remake' de classe mondiale : Dr Knock ou le triomphe de la pharmacie.
Ce n'est plus le médecin qui invente les maladies mais Big Pharma, cette puissante industrie de firmes multinationales aux chiffres d'affaires se comptant en milliards de dollars. Ainsi la version officielle du Viagra, la fameuse pilule bleue contribue à elle seule pour 1,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires ; Champix, du même fabriquant un petit milliard de $, etc.
Publicité pour la consultation des prescripteurs
Les médicaments de prescription étant interdits de publicité, les firmes pharmaceutiques font la promotion... des médecins prescripteurs. Ainsi, pour favoriser les ventes de Champix, Pfizer fait paraître cette publicité que nous allons examiner :
- Le regard qui balaye du vide en haut à gauche vers en bas à droite se fixe sur le logo Pfizer, bien visible sur une bulle blanche (inversion video du logo officiel).
- Les couleurs des logos des associations partenaires ont été supprimées, car cela gâchait le message. La FF Cardiologie en rouge, cela aurait été trop voyant. C’est un fantôme de FFC qui est mis à profit ici. Idem pour la SFT.
- C'est sans doute pour simplifier le message que l’on a dégradé un code graphique, pour satisfaire le sponsor, qui profite d’une caution de légitimité. Toucher au code, c’est briser la communication : le sponsor a dû être convaincant. Noter que la FFP et le Comité contre les maladies respiratoires ont déjà adopté la 'bonne couleur' dans leur communication...
- Intéressante aussi la couleur bleue du cartouche, celle du logotype de Pfizer : je serais prêt à parier que c’est le Pantone officiel qui a été retenu. On est dans le même registre que le couplage du rouge Marlboro avec le rouge italien de Ferrari (ou le bleu français des Ligier/Gitanes) : la seule couleur, le code graphique, évoque inconsciemment le financeur [1]. L’association voulue c’est : médecin <== Pfizer.
Sur le fond, cette publicité va accroître la défiance dans la médecine. Plus la médecine est ‘vendue’, promue, plus cela signifie qu’elle a besoin de promotion, qu’elle ne remplit plus sa mission. Elle ne remplit plus son rôle quand son coût devient de plus en plus prohibitif pour la majorité des français qui vivent avec 2500 € par mois (nous parlons de familles). Bon, à 180 € pour un mois de traitement, la cible de Champix ce sont des gens plus fortunés. Mais quand même une médecine qui aurait besoin de promotion pour qu’on y ait recours fait douter de son ‘efficacité’.
Une solution à l'efficacité limitée
Cette médecine-là en outre est médiocre. Ainsi la dernière méta-analyse publiée le 15 juillet 2008 dans le journal de la Canadian Medical Association (CMAJ) conclut :
« Malgré l'efficacité de ces pharmacothérapies, le nombre de patients qui s'abstenaient de fumer au suivi était faible. Notre étude montre que pour la plupart des patients des essais contrôlés randomisés ayant bénéficié du produit pharmacologiquement actif, la prévalence ponctuelle de l'abstinence à 12 mois est bien inférieure à 30 %. Avec l'abstinence continue comme critère, le taux d'abstinence était encore plus faible. En conséquence, de nouvelles recherches sur le sevrage tabagique et le développement de pharmacothérapies plus efficaces sont nécessaires. » [2]
Quand Pfizer promeut des solutions efficaces (le mot 'efficace' est répété !), ceci n'est pas fondé sur l’état actuel des connaissances scientifiques. D’ailleurs les médecins à qui il vous est recommandé de vous adresser sont sceptiques eux-aussi, comme une étude (de Pfizer) en France l’a mis en évidence. Les médecins français sont même parmi les plus sceptiques en Europe… Ils ne croient pas à ces bobards : ce sont bien les fumeurs qui sont visés par cette affiche. Ce sont eux qu'il s'agit de convaincre, pour qu’ils sollicitent une prescription de traitement : voir le planant spot TV de promotion du site Prevention-tabac, avec les logos de nos partenaires cette fois-ci en couleur originale [3].
La vente de Chantix° (la marque commerciale de la varénicline aux USA) a baissé de 35 % au second trimestre 2008 comparé à la même période de 2007, un an après son introduction en fanfare. Il faut faire vite pour rentabiliser les investissements, Champix plafonne déjà avons-nous écrit ailleurs. L’opinion publique française pourrait être en train d’ouvrir les yeux suite aux mises en garde récentes sur le produit. L’ampleur de la couverture de presse pour la mise sur le marché permet de le penser : le temps presse (et les actionnaires sont insatiables).
Tricher avec la loi
Le mécanisme est la prise en tenaille des fumeurs : comme il n'est pas possible de faire de la publicité directement, on fait
- d'une part la promotion de la consultation médicale et
- d'autre part la promotion des médicaments auprès des médecins avec une armada de charmantes visiteuses et de visiteurs commerciaux ;
- tout ceci sous le beau motif de la santé de tous.
Or le médicament de prescription pour l'aide au sevrage tabagique commercialisé par Pfizer réalise 95% des ventes. Son concurrent Zyban° de GlaxoSmthKline (GSK), maintenant génériqué, est devenu marginal en volume. Cela vous ne le savez pas (chiffres OFDT juin 2008).
GSK, l'autre acteur majeur sur ce marché, n'a d'ailleurs pas tardé à réagir. Ceci a suivi la parution d'une étude comparative - financée par Pfizer pourtant - montrant que les palliatifs nicotiniques de GSK parvenaient au même résultat statistique que l'onéreux et dangereux Champix [4] :
« Les résultats d'une étude comparative ne révèlent aucune différence importante entre le timbre NiQuitin° et Champix° (tartrate de varénicline) dans les taux d'abandon à long terme. » [5]
« La nicotine thérapeutique est largement disponible aux fumeurs sans qu'ils aient besoin d'une ordonnance ou d'une visite chez le médecin. » ajoute GSK. Et toc :
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Dans ce match commercial entre officines,
les médecins sont ramenés au rang de 'sous-off'.
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Dé-dés-information
S'il vous restait un doute sur la prise de contrôle de la médecine par l'industrie des médicaments, voici la publicité qu'un groupe de médecins généralistes résistants, perdus dans l'Île de la Réunion, font paraître lundi 8 septembre 2008 dans le journal Le Monde à l'occasion des entretiens de Bichat.
Il s'agit de rétablir quelques vérités médicales pour faire obstacle au marketing débridé de nos inventeurs de maladies et autres promoteurs de diagnostic afin de se constituer une source de prospects futurs.
La santé est devenue un business. L'action de ces médecins courageux (et persévérants) montre que tout espoir dans la médecine n'est pas perdu.
Rérérences
1 - Le sponsoring en Formule 1 : La saga Marlboro
2 - Eisenberg et al. CMAJ 2008, 179 (2): 135; Pharmacotherapies for smoking cessation: a meta-analysis of randomized controlled trials ; Résumé en français
4 - Aubin et al. ; Thorax 2008; Varenicline versus transdermal nicotine patch for smoking cessation ;
5 - Communiqué de presse GSK, 28 juillet 2008
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