Le nombre d'incidents et de décès signalés en pharmacovigilance aux USA au premier trimestre 2008 bat un nouveau record, indique l'Institute for Safe Medication Practices (ISMP) le 23 octobre dernier [1, 2]. La Food and Drug Administration (FDA, USA) a reçu près de 21 000 signalements d'incidents graves, y compris plus de 4 800 décès suspects, selon l'analyse des données nationales par l'ISMP. La FDA considère graves les incidents qui causent une hospitalisation, nécessitent une intervention médicale, ou mettent la vie en danger.
Le système de surveillance de l'ISMP dépend des rapports volontaires des médecins et ne peut capter qu'une fraction minime de l'ensemble des problèmes vécus sur le terrain. Les études passées de l'ISMP montrent que le nombre de rapports d'incidents graves concernant les médicaments a nettement augmenté depuis la fin des années 1990.
Deux médicaments à eux seuls ont représenté une part importante des signalements au premier trimestre 2008. Le premier est l'héparine, un diluant du sang : la plupart des problèmes de ce médicament sont dûs à de l'héparine frelatée importée de Chine.
Le second est la varenicline (marque Champix), le nouveau traitement d'aide au sevrage tabagique de Pfizer. En trois mois, l'Agence a reçu 1001 signalements d'incidents graves liés à Champix, plus à lui tout seul que le cumul des signalements des 10 traitements les plus prescrits aux USA (= 837, cf. fig suivante).
De tous les médicaments Champix est celui qui a généré à ce jour le plus grand nombre de signalements à la FDA. En début d'année la FDA avait averti que Champix (DCI = varenicline, Chantix aux USA) pouvait être lié à :
-
des problèmes psychiatriques,
- un comportement suicidaire et
- des rêves anormaux.
Les fonctionnaires de la FDA ne savent actuellement pas établir si les signalements augmentent parce que les problèmes sont plus fréquents ou bien en raison d'une plus grande attention aux effets secondaires du traitement.
"Le cas de l'héparine frelatée illustre comment un problème médicamenteux, une fois détecté et compris, a été rapidement et efficacement résolu par les laboratoires pharmaceutiques et la FDA, selon le rapport. Ce n'est pas le cas avec Champix par contre" conclut l'ISMP.
L'Institut demande à la FDA de mettre clairement en garde les patients sous Champix qu' ils peuvent subir des pertes de conscience (blackouts) peuvant créer des accidents, ajoute le rapport. Les avertissements actuels conseillent de ne pas conduire ni de manoeuvrer un équipement lourd : ceci est banal, pour de nombreux médicaments. Mais il n'est pas anodin que la Sécurité aérienne ait interdit l'usage de Champix aux pilotes d'avion [3].
Le rapport fait état de 15 cas de patients sous Champix impliqués dans des accidents de la circulation et pour des troubles répertoriés (attaque de panique, jugement faussé, trouble de la vision), et 52 cas supplémentaires de perte de conscience. La FDA a répondu envisager de réviser les avertissements...
L'argument de Pfizer selon lequel la communication peut accroitre le nombre de signalements est accepté par l'ISMP, mais le rapport conclut qu'il y a assez de preuves pour justifier une action plus forte de la FDA, notamment l'obligation d'avertir des risques induits.
Bien sûr Pfizer met en balance ces inconvénients et les avantages, qui l'emportent selon elle sur les risques du traitement, du moins dans les essais cliniques qu'elle a (tous) financés. Son produit n'est cependant pas statistiquement plus efficace que les dérivés nicotiniques dont le profil de risque et la médiocre efficacité sont maintenant bien connus [4].
Michael Siegel nous rappelle qu'il est inacceptable que le président ainsi qu'une bonne partie des membres du groupe de travail établissant les recommandations médicales de pratique soit corrompu par de puissants liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique [5].
Rappelons enfin que la FDA et son homologue français AFSSAPS sont majoritairement financés par l'industrie : ceci explique peut-être une regrettable inertie quand apparaissent des problèmes avec un médicament comme ceux évoqués actuellement avec Champix. Arrivera t-il à ce produit le même sort qu'à l'Acomplia (DCI = rimonabant), médicament dont l'autorisation de prescription vient d'être suspendue en Europe ? Nous y reviendrons, car Acomplia était initialement envisagé pour l'arrêt du tabac [6].
Références
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ISMP Quarter Watch: 2008 Quarter 1 Rapport sur la sécurité des médicaments
-
Agence Associated Press, 22/10/2008 : Reports of Serious Drug Reactions Hit Record
-
unairneuf.org Champix : risque élevé pour un bénéfice faible
-
Aubin et al. ; Thorax 2008; Varenicline versus transdermal nicotine patch for smoking cessation
-
Michael Siegel , The Rest of the Story: Tobacco News Analysis and Commentary
New Report Warns of Serious Risk Profile of Chantix; Recommendation of Chantix by Anti-Smoking Researchers with Conflicts of Interest is Unacceptable - Le Monde le 27 juillet 2005, par Yves Mamou
La pilule miracle de Sanofi Aventis contre le tabagisme et l'obésité (archives payantes)
" Sanofi Aventis, le numéro trois mondial du médicament, fonde de GRANDS ESPOIRS dans le rimonabant, une nouvelle molécule qui permet de traiter à la fois l'obésité et le tabagisme. "
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