Plus on est pauvre, plus la probabilité d'être fumeur augmente. C'est vrai pour les étudiants comme pour les ouvriers immigrés des chantiers du bâtiment ou des travaux publics. La prévalence du tabagisme atteint un sommet dans les populations de marginaux et sans domicile fixe (SDF).
L'arrêt du tabac pose d'autant plus de problème que l'on est pauvrə
L'arrêt du tabac pose d'autant plus de problème que l'on est pauvre. Et pourtant fumer coûte cher, très cher. Chaque cigarette fumée, c'est 20 centimes d'euro de taxe encaissés par Bercy.
Malheureusement le montant élevé de taxes :- n'est pas un frein à l'expérimentation des adolescents,
- n'est pas un incitatif à l'arrêt du tabac et,
- ne prévient pas de la récidive chronique.
Une fois que l'on est accroché par la dépendance, quel qu'en soit le prix, on fume, quitte à se passer de nourriture ou d'autres biens essentiels.
Augmenter les prix accroit les revenus des buralistes (qui compensent ainsi la baisse relative en volume des ventes) et augmente les accises (taxes) pour le budget de l'État. Du moins en théorie, car la contrebande vient rapidement compenser ces tentatives de pression. Des simulations économiques intégrant ce facteur ont montré qu'il n'était pas judicieux d'augmenter le prix des cigarettes si l'objectif est de maintenir les rentrées fiscales. Il semble donc que l'on soit arrivé en France à un plafond : les cigarettes n'augmenteront plus significativement et ce n'est pas seulement pour satisfaire le lobby des café-tabacs mais surtout pour ne pas faire le lit des marchés parallèles.
Au prix moyen de 5,30 € le paquet de 20, à raison de 14 cigarettes par jour - ce qui n'est pas loin de la moyenne française des fumeurs réguliers - un smicard travaille plus d'un mois par an juste pour son budget tabac. Et des français au SMIC ou en dessous, il y en a des millions. La politique d'augmentation des prix des cigarettes n'a fait qu'empirer cette situation. La conclusion des fumeurs pauvres et très pauvres est : " Il faut que j'arrête !". Voeu pieux le plus souvent.
Comment aider ?
La question que nous aimerions aborder en ce jour mondial de Blog Action Day est : que peut-on faire ? Pas grand chose malheureusement à notre niveau de prestataire privé ne pouvant intervenir qu'auprès de publics solvables et relativement aisés. Cela ne nous empêche pas de réfléchir à ce qui pourrait être fait.
Distribuer gratuitement des palliatifs de nicotine pharmaceutique ?
Cela est inutile, une opération pilote menée par quelques caisses d'assurance maladie (Languedoc, Alsace, ...) l'a montré [1].
Les lecteurs réguliers de UnAirNeuf.org savent que ces produits ne sont pas des aides à l'arrêt contrairement aux allégations de la pharmacine [2]. On en a encore une fois de plus l'illustration sur le terrain.
Inciter les fumeurs à solliciter les services d'aide téléphonique ?
En France le service Tabac Info Service, malgré un encart sur chaque paquet de cigarette ou presque, n'a jamais réussi à trouver son public : 1500 appels par mois en moyenne, à comparer aux 13 millions de fumeurs concernés, moins que le nombre de visites sur le site UnAirNeuf.org.... Une étude a montré que ces services sont relativement peu utilisés par les classes sociales défavorisées : deux tiers des appelants ont le niveau Bac. Ce n'est pas non plus une solution ayant fait ses preuves.
Embrigader les fumeurs pauvres dans les centres hospitaliers dédiés à l'arrêt du tabac ?
Comme pour Tabac Info Service, les 500 centres médicaux - et gratuits - de tabacologie français reçoivent peu de candidats à l'arrêt : quelques dizaines de milliers par an, de l'ordre de 50 000 au total. Soit environ deux candidats nouveaux par semaine et par centre. A comparer aux millions de fumeurs pauvres, cela ne fait pas l'affaire, même si, comme cela avait été décidé par le ministre Bertrand lors de l'annonce du décret d'interdiction, ce chiffre était doublé dans les faits : il n'y aurait pas assez de demande pour le justifier !
Il y aurait lieu aussi d'analyser leur rapport Utilité/Coût, car dans ces structures le coût pris en charge par la collectivité est entre 1000 et 2000 € par arrêt. Il devrait être possible de proposer des services moins onéreux pour la collectivité.
La prédominance des facteurs sociaux
Une récente étude canadienne a tenté d'établir les facteurs sociaux et psychologiques liés au fait de fumer ou de cesser de fumer chez les femmes défavorisées [3]. Les participantes étaient surtout pauvres, sans emploi, isolées géographiquement et composaient des familles monoparentales. Les facteurs liés au fait de fumer (les raisons évoquées) comprennent la réaction face aux tensions, la solitude, l'incapacité à gérer les difficultés, une efficacité personnelle moindre, les pressions sociales et la dépendance physique.
- Les participantes estiment important le soutien apporté par les pairs (c'est-à-dire les femmes vivant les mêmes situations) et les partenaires.
- Elles considèrent que les professionnels de la santé et les programmes classiques pour cesser de fumer ne les aident pas.
- Elles jugent que les centres pour femmes et les organismes pour femmes sont les lieux adéquats pour les programmes visant à cesser de fumer.
De la même façon, une étude californienne a montré que les femmes pauvres, peu soutenues par leur environnement familial, avaient trop à faire pour juste survivre : leur probabilité de succès dans l'arrêt du tabac était encore plus faible que faible...
Réduire le tabagisme réduira la pauvreté par suppression de l'onéreux budget Tabac pour les consommateurs. L'inverse est vrai également : une bonne façon de réduire le tabagisme est de réduire la pauvreté : il ne semble pas que ce soit la politique du gouvernement français actuel, privilégiant la protection des intérêts des classes aisées (par ex. paquet fiscal).
Mettre en place une structure administrative de pilotage
Nous somme donc dans une impasse : l'approche médicale officielle ne donne pas de résultat probant (est-elle évaluée d'ailleurs ?). Aucune solution publique ne relève le défi du tabagisme des classes ouvrières et défavorisées. Le gouvernement fait mine d'ignorer la question.
Il semble cependant que les approches ayant montré leur relative efficacité pour l'alcool et les drogues puissent être reprises. Si nous avions à faire une recommandation, ce serait la mise en place de structures associatives légères, où les fumeurs peuvent se regrouper, trouver un soutien dans la durée, un peu comme le font les forums de fumeurs sur internet (voir notre billet Le web comme remède pour arrêter de fumer). L'effet réseau (de groupe) produit un puissant étayage.
Ces structures animées en partie par les bénéficiaires peuvent rester d'un coût modeste (comparable à celui des Alcooliques Anonymes ou du Plan de 5 jours), rompant ainsi avec la tradition disymétrique de la médecine : "Moi je sais, Toi tu fais." Il y aurait avantage à faciliter la prise en charge des fumeurs par les fumeurs eux-même, ce qui n'est pas dans la tradition médicale qui s'appuie sur les traitements pharmacologiques que l'on fait semblant de croire magiques et qui ne le sont pas. L'aide à l'arrêt du tabac peut être envisagé comme une prestation de service, au service du fumeur et non lui dictant sa conduite. Le cas échéant, la riche médecine ne peut plus revendiquer le monopole de la vérité : le client responsabilisé est celui qui produit la prestation, il est indispensable de l'écouter et de prendre en compte ses avis et envies. Est-ce trop demander ?
Nous ne savons pas si cela fait partie des projets envisagés par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) : cela ressort de sa responsabilité cependant, à défaut de structure de pilotage alternative en France actuellement. Nous suggérons de traiter, comme cela avait été fait dans le passé à l'initiative de Nicole Maestracci [4], le tabac comme une drogue dure.
Tabagisme et pauvreté sont également durs à vivre : un traitement social et psychologique est à préférer à l'approche médicalo-centrée en vigueur.
Références
- Agoravox Doit-on rembourser la nicotine pharmaceutique ?
- Mot valise traduisant l'association de la pharma-cie dominant économiquement la méde-cine.
- Miriam J. Stewart & al. Smoking Among Disadvantaged Women: Causes and Cessation Canadian Journal of Nursing Research 28(1): 41-60, 1996
- Actuellement présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale
[Édition 16/10/08] Plus de 12000 blogs ont participé au Blog Action Day 2008 sur le thème de la Pauvreté.
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