Une France sans fumeurs
Une des questions qui hantent les Sciences Humaines est la conception du sujet. Un sujet pense par lui-même, prend des initiatives, a des désirs, etc.
Comme le dit le sociologue Michel Setbon [1] :
" Au vu de nos résultats, j'estime que l'erreur des pouvoirs publics réside dans leur croyance récurrente selon laquelle la population va être l'objet passif des mesures décidées, alors même qu'elle en sera le sujet, c'est-à-dire l'acteur central et imprévisible.
C'est un décalage conceptuel qui est loin d'être anecdotique. "
Rupture : il y aurait avantage à confier le pilotage des politiques en matière de tabagisme à des personnes ayant quelque culture en Sciences Humaines, qualité passablement absente des talibantitabacs qui font régner la terreur sanitaire sur la France fumeuse depuis leur siège du 66, boulevard St Michel à Paris.
Changeons de paradigme :
Plutôt qu'une France sans tabac,
et si l'on visait une France sans fumeurs ?
de ne pas viser l'interdiction du tabagisme, par les moyens
- de la propagande,
- de la réglementation,
- de la contrainte,
- voire bientôt les sanctions pénales pour mise en danger de la vie d'autrui (avec les pratiques du Président Sarkozy, cela peut aller assez vite),
et plutôt de privilégier l'amélioration du climat social et la tolérance ?
Que faudrait-il faire pour rendre la France non fumeuse, pour que le tabagisme soit réduit à ce qu'est la toxicomanie actuellement, qui touche moins de 1 % de la population, à ses marges ?
Une alternative à la répression serait de se mettre sérieusement à la disposition des fumeurs : les deux tiers indiquent vouloir cesser le tabagisme : c'est bien établi. En pratique, nous remarquons que même dans le tiers restant l'immense majorité des fumeurs dépendants serait d'accord pour se libérer de ce boulet qui les force à avaler des fumées objectivement peu ragoutantes (même si elles sont perçues agréablement sur le moment).
Se mettre sérieusement à la disposition des fumeurs : y a-t'on seulement pensé ? Bien sûr, il y a le discours des marchands de chimie : " Des solutions efficaces existent, consultez votre médecin " (publicité Pxxxxx pour l'unique médicament non génériqué pour l'aide au sevrage tabagique).
Mais en pratique, les médecins n'ont pas le temps, généralement pas la compétence ni l'intérêt de traiter ces pauvres patients addicts. Le médecin généraliste, dans la désertification médicale française a d'autres priorités, notamment se prémunir contre le burn out. Accompagner un (1) fumeur avec le protocole de la 'solution efficace' tel qu'il a été évalué, c'est environ 25 consultations pour - en étant large - 3 chances sur 10 de réussite. Un arrêt lui coûte donc le temps de 25 x 10/3 = 83 consultations, 22 heures environ. C'est cela une solution efficace ?
Education, not medication
Viser une France sans fumeurs pourrait consister à lancer un vaste plan éducatif, comme on sait le faire sans culpabiliser en matière de Sécurité routière.
- Il serait visé l'autonomie du choix : décider de rester fumeur parce qu'on le vaut bien, ou de cesser le tabagisme.
- Il serait visé l'accroissement des compétences, dès lors qu'il est maintenant acquis et reconnu, jusque par la Haute Autorité de Santé, que l'arrêt du tabagisme résulte d'un apprentissage.
Education, not medication : voilà le slogan. L'Éducation rend possible de basculer d'une politique visant les fumeurs objets passifs de plan de communication en sujets acteurs et auteurs de leur changement.
Une de ses conditions est la mise en sourdine de l'impérialisme de l'OFT, qui déroule son arsenal hygiéniste anti-tabac sous la houlette de la DGS et d'autres parties prenantes du monde de la santé et désinforme via les medias. L'administration doit cesser d'abonder les finances d'un Office de Prévention du Tabagisme dont les résultats sont minables, de façon continue et répétée : 12,6 % de taux d'arrêt à 12 mois suite à ses actions en entreprise [3], qui fait pire ? L'OFT est subventionné, et si la concurrence était libre, ses prestations commerciales auraient été réduites en fumée depuis belle lurette... Car l'OFT est aussi un petit business via la Sarl "OFT Entreprise", qui vend des affiches, diffuse les livres de son président (gérant), etc. Financement public et intérêts privés semblent bien difficiles à distinguer.
Cessons de gober les avis de mandarins médicaux jamais évalués. Éduqués dans la superbe de leur supériorité scientifique et généralement corrompus par l'action intéressée des firmes pharmaceutiques qui font les carrières de ceux qui les favorisent, ils sont incapables de se mettre au service des fumeurs. Leur objet d'étude n'est pas un sujet mais organique : le coeur, le poumon, le diabète, etc. C'est la prix de la spécialisation. La médecine de ces spécialistes a perdu l'homme de vue : il serait judicieux de donner quelque crédit aux acteurs de terrain, comme le Dr Jacques Pieri.
Considérer l'aide à l'arrêt du tabac comme une prestation de service
Il y aurait avantage à considérer l'aide à l'arrêt du tabac comme une prestation de service. Nous avions théorisé il y a quelque temps l'inversion de posture que ceci implique [2]. Un médecin ordonne et prescrit : il n'adopte d'instinct la posture de quelqu'un qui se met au service de son client et en respecte l'autonomie de décision. Ceci, c'est plus l'attitude des "petites mains", le personnel de soin comme les infirmiers dont l'humanité est polie par un contact intime avec les malades, et surtout des personnes formées aux Sciences Humaines, à la psychologie, à la sociologie, aux Sciences de l'Éducation, etc.
Se mettre au service du client autorise celui-ci à mobiliser ses ressources propres, son intelligence, ses motivations. Un arrêt du tabac, cela ne se commande pas. Au lieu de gaver les prétendants à l'arrêt avec des pilules et gri-gris inutiles et parfois dangereux, il est préférable de les doter de la compréhension des mécanismes pernicieux et paradoxaux de la dépendance et de leur faciliter le deuil de la cigarette.
Le philosophe grec Aristote, inventeur de la logique, n'a jamais prétendu que l'homme est un individu rationnel, capable d'appliquer une décision par sa volonté, capable d'adopter un comportement cohérent avec ses idées. Non, il ne l'a pas dit, parce que ce n'est pas comme cela que nous fonctionnons. L'irrationnel est le propre de l'homme.
Les fumeurs finissent par devenir déchirés entre leur désir de cesser le tabagisme et leur incapacité à y parvenir. Pour les aider, ce ne sont pas les injonctions sanitaires qui les aident, au contraire. Culpabilisés, marginalisés, ostracisés, les fumeurs se réfugient dans leur conduite paradoxale en protégeant leur dépendance, car le tabagisme est un des éléments de leur identité : il n'est pas correct d'y attenter, c'est totalitaire. De toute façon, les bonnes raisons invoquées pour cesser le tabagisme sont inopérantes face à ce bouclier identitaire et paradoxal :
" J'existe et je vous dit merde ! "
Et il nous revient, nous les prestataires de service, et notamment ceux qui déconseillent les gri-gris factices, d'accepter que cela se fasse au moment où ils l'auront décidé, avec les procédés en lesquels ils auront confiance, après s'être fait leur propre opinion des différentes options possibles. Prétendre imposer quelques normes d'obédience médicale : "faites ce que je dis, c'est moi le spécialiste" fait tout l'inverse. Vous connaissez les résultats. Comment responsabiliser les fumeurs en leur retirant en même temps le sentiment de liberté, de liberté de choix ? C'est incohérent.
Disons-leur plutôt, à rebours des discours culpabilisants :
Si vous fumez, c'est votre choix,
si vous voulez cesser, on peut vous y aider,
quand vous voudrez, comme vous voulez ;
N'attendez-pas d'être malade !
Les recommandations médicales actuellement en vigueur ont pour principal objet de protéger le commerce des industries pharmaceutiques, et surtout pas d'encourager la prise en main des fumeurs par eux-mêmes. Ces recommandations se caractérisent par leur médiocrité et instaurent une nouvelle forme de dépendance débilitante à la pharmacothérapie. Les 30 % de la population française fumeuse mérite mieux que ces petites combines d'épicier.
Il est temps d'ouvrir la fenêtre et faire entrer un air neuf dans la tabacologie. Si cette vision vous agrée, merci de bien vouloir nous le faire savoir. Nous sommes preneur de votre aide.
Références
- "Le public croit de moins en moins à une pandémie", Michel Setbon, sociologue ; Le Monde 14.01.09 ; propos recueillis par Jean-Yves Nau
- L'aide à l'arrêt du tabac : une prestation de service
- Actes du 2e congrès de la SFT, Paris, novembre 2008,"La réduction de 50 % du tabagisme aussi importante que l’arrêt lors du sevrage en entreprise" recueil des abstracts (pdf).
Dans le même document, vous pourrez constater que l'OFT enseigne ses 'bonnes pratiques' aux services de santé !
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