Le British Medical Journal publie le 9 mars 2009 la révélation d'une fraude scientifique majeure : Scott S. Reuben, un médecin renommé, avoue avoir fabriqué les données de 21 articles sur 72 indexés dans la base de données médicale PubMed afin de promouvoir l'anti-inflammatoire Celecoxib (marque Célébrex° de Pfizer) [1].
Scott S. Reuben est responsable d’un service antidouleur au Baystate Medical Center de Springfield (USA), centre hospitalier rattaché à la Faculté de Médecine de Tufts ; ce leader d’opinion recevait des bourses de Pfizer et en était conférencier. Pour le traitement de la douleur, il avait promu l’ analgésie multimodale qui associe Célébrex° et Lyrica°(prégabaline), tous deux de Pfizer, association dont il prétendait qu’elle était supérieure aux opiacés.
Pour les 51 autres articles, un doute existe, qu'il convient d'investiguer. La firme Pfizer se dit très déçue mais déclare que cela ne remet pas en cause la balance bénéfice-risque de son traitement...
Cette piteuse affaire nous rappelle qu'il convient d'exercer un esprit critique même sur les données de la littérature scientifique, très largement sous la coupe de financeurs privés ou institutionnels. Voici quelques exemples concernant les aides à l'arrêt du tabac.
Biais de publication
Jean-François Etter et John Stapleton pointent avec beaucoup de détails les biais introduits dans les études d'efficacité des aides médicamenteuses au sevrage tabagique [2].
Les études les plus couramment citées en référence sont :
- financées par l'industrie pharmaceutique,
- avec des résultats positifs comparativement à celles aux résultats statistiquement non significatifs ou négatifs,
- publiées dans des revues à fort impact.
Il a même été estimé par la revue Prescrire que ces biais de publication introduisaient une majoration artificielle de 30 % de l'efficacité d'un traitement.
Biais du contexte expérimental
Les études cliniques sur les aides à l'arrêt du tabac sous-estiment généralement l'impact du contexte expérimental. Ce que l'on nomme l'effet Hawthorne depuis les expériences de sociologie du travail dans les usines de Western Electric aux USA dans les années 30 a démontré qu'il suffit de s'intéresser aux gens pour qu'ils améliorent ce que l'on attend d'eux.
Toutes choses étant égales par ailleurs, des candidats à l'arrêt participant à une expérience devraient à ce titre présenter de meilleurs résultats que des personnes hors de ces dispositifs cliniques expérimentaux. Dans la vraie vie, les palliatifs nicotiniques doivent se révéler moins efficaces que dans les tests contrôlés où l'on est suivi régulièrement dans la durée, ne serait-ce que pour des raisons méthodologiques.
Biais des conditions expérimentales (encore)
Un autre facteur favorise les scores de réussite. Dans une étude financée par Pfizer de comparaison entre les palliatifs nicotiniques et la varénicline [3], on peut lire la remarque pudique suivante :
"In a metaanalysis of trials comparing transdermal NRT to placebo or no patch, the estimated long-term abstinence rate (after 52 weeks from the start of treatment with transdermal NRT) was 13.7% compared with the Continuous Abstinence Rate of 20.3% through week 52 in the present study. The reasons for the higher abstinence rates in this study are unclear."
[Les raisons pour un taux de réussite plus élevé dans cette étude ne sont pas clairs].
Nous tenterons une hypothèse : pour majorer l'efficacité de la pharmacothérapie, les candidats sont rémunérés pour participer à un rythme intensif d'entretiens de suivi ; or il a été montré par ailleurs que l'intensité du suivi jouait un rôle favorable sur les chances de succès. Les tests cliniques des études relatives à la varénicline montrent - tous - un niveau d'accompagnement tel que peu de fumeurs pourront en bénéficier dans la vraie vie en France, même dans les meilleurs centres de tabacologie publics et gratuits. Ne parlons pas des médecins de ville, au front des urgences et autres gardes. Malgré cette saturation de moyens, le taux d'arrêt de la varénicline à un an n'atteint même pas un tiers des tentatives : 26,1 % d'arrêts à 12 mois.
Il serait légitime de corriger le résultat, par exemple en soustrayant du score l'écart entre la meta-analyse et le score des palliatifs dans l'étude comparative, soit 20,3 - 13,7 = 6,6 %. Le taux d'arrêt à un an avec le Champix serait alors ramené à 19,5 %, moins de un candidat à l'arrêt sur cinq.
Nous avons précisé par ailleurs d'autres biais visant aussi majorer le résultat afin d'argumenter l'efficacité du traitement, la présélection des candidats notamment [4].
Biais des conditions expérimentales (encore et encore)
Un autre facteur de biais concerne la rémunération des candidats. Pour recruter un nombre suffisant de candidats dans une période donnée, il faut parfois une débauche de moyens, notamment la rémunération des médecins traitants (bien sûr !) et des volontaires. En soi cela n'est pas choquant, mais ceci introduit des biais aussi. Une expérience en entreprise a montré que rémunérer les candidats à l'arrêt, toutes choses étant égales par ailleurs, triplait le score de réussite à un an [5].
Dans la vraie vie, il est exceptionnel que l'on soit gratifié pour cesser de fumer, avec l'argument que les économies faites en cigarettes suffisent à motiver les fumeurs impécunieux.
Last but not least, un biais majeur
Le dernier biais des études cliniques, et là nous en revenons au caractère frauduleux des publications et meta-analyses de la littérature scientifique, est que l'immense majorité des articles acceptés concernent la comparaison d'un traitement avec soit un autre traitement de référence, soit un traitement placebo (sans produit actif).
Ce que l'on peut juste en conclure est une valeur relative, nommé rapport de cotes ou risque relatif, mais on s'abstient généralement de clamer une valeur absolue. Elle est faible, plus faible statistiquement que sans traitement pharmaceutique, cas que l'on ne sait pas méthodologiquement comparer.
Des conclusions injustifiées
Nous prendrons pour exemple l'étude menée par le Pr Dautzenberg sur des comprimés de nicotine pour le compte de Novartis [6]. L'auteur rappelle en introduction :
"The use of nicotine replacement therapy (NRT) can almost double the chances of success for smokers to quit. Nevertheless, there is still a considerable number of cessation attempts that are made without any treatment.
This novel oral formulation, (lozenge containing nicotine bitartrate dihydrate) has been developed to enlarge the offer for efficient smoking cessation drug therapies, assuming that increasing treatment options will bring more smokers to find the support they personally need to stop smoking."
Les premiers mots affirment péremptoirement que les palliatifs nicotiniques comme celui qui va être étudié "doublent les chances de succès". C'est la rengaine connue. Le résumé se conclut sur cette affirmation militaro-pharmaceutique contestable :
"In conclusion, Nicotinell lozenges offer a valuable addition to the therapeutic armamentarium available for smoking cessation."
Dès lors qu'il est précisé (pardon pour l'anglais) que "All research trials were funded by Novartis Consumer Health", il est douteux que l'étude (mentionnant le nom commercial du produit) ait été présentée à la revue BMC Clinical Pharmacology si le contraire était avéré : on l'aurait soigneusement rangée dans un profond tiroir... Le Pr Molimard raconte (dans son excellent La Fume) comment ceci lui est personnellement arrivé avec un autre laboratoire.
Nous allons maintenant vous demander de mettre en pratique notre suggestion de faire marcher votre esprit critique sur les résultats chiffrés de l'étude (cf. tableau, cliquer pour agrandir svp).
Il y eut deux bras dans l'expérience, l'un en France, l'autre aux USA, le premier concernant 433 candidats à l'arrêt, l'autre 460, toutes choses étant censées être équivalentes pour autoriser la comparaison. Chaque groupe était divisé au hasard en deux, le premier sous-groupe bénéficiant du produit testé, l'autre moitié disposant d'un produit similaire en apparence mais sans nicotine (placebo).
L'abstinence totale a été mesurée à 6 mois : en toute rigueur ce n'est pas suffisant pour juger, mais faisons avec cette faiblesse...
Dans le groupe français, 43 personnes sur 433 étaient abstinentes alors, soit précisément 10 %. La répartition indiquée est 25 arrêts avec le produit actif (soit 58 % des succès), et 18 avec le produit placebo (42 % du total). L'écart de 7 personnes peut être jugé significatif, mais avec un rapport de validité statistique p=0,227, ce qui réduit la signification du résultat (les spécialistes apprécieront).
Dans le groupe états-unien, seulement 10 personnes sur les 460 incluses dans l'étude avaient cessé de fumer durant 6 mois, soit 2,174 % (les chiffres après la virgule deviennent importants quand on approche de zéro...). Deux anciens fumeurs sur les 10 (soit 20 % des succès) avaient bénéficié du traitement placebo, les huit restants ayant sucé le produit actif. Cette fois, la validité statistique est correcte : p=0.06.
Il aurait été intéressant d'expliquer l'ampleur de la différence de résultat brut entre la France et les USA, le taux de succès variant dans un rapport de un à quatre (43 contre 10). En France, le rapport de cotes (Odds Ratio) entre actif/placebo est de 1,48, aux USA il est de 4,11. En toute rigueur il semble que les conditions de l'expérience n'étaient pas similaires. On additionne des pommes et des poires. Passons aussi sur cette faiblesse (et nous vous ferons grâce des autres)...
Une conclusion favorable infondée dans les faits
Nous voudrions, si cela toutefois était légitime, tirer deux enseignements de cet exemple :
- les conclusions mises en avant dans les études publiées sont généralement excessivement favorables, comparées aux données chiffrées. Au vu de des résultats américains, il pourrait être clamé que le produit testé 'multiplie par 4 les chances de succès' : si l'on omet d'indiquer qu'en valeur absolue la probabilité est de quelques pour cent, on induit le lecteur pressé en erreur. Comme les journalistes et d'une façon générale les media sont pressés, ce sont des informations fausses qui sont diffusées. Il s'agit à notre sens de manipulation délibérée.
- l'arrêt spontané, sans aide, est généralement estimé à entre 3 et 5 % à un an, délai qui est, pour nous comme pour le référentiel DSM IV, la seule référence valable [7]. Le nombre de succès à 12 mois du bras états-unien serait de 4 à 5 réussites sur 460 tentatives, soit 1 %, en extrapolant de façon linéaire le résultat. On peut considérer que ces arrêts là auraient été plus nombreux sans médication du tout...
La contribution à l'arrêt confirmé de ces palliatifs de nicotine
est non seulement contestable mais apparemment négative...
Références
- Jeanne Lenzer, BMJ 2009;338:b966 doi:10.1136/bmj.b966
Prominent celecoxib researcher admits fabricating data in 21 articles
- Jean-François Etter et John Stapleton, Journal of Clinical Epidemiology, 2009
Citations to trials of nicotine replacement therapy were biased toward positive results and high-impact-factor journals
- Henri-Jean Aubin & al. Thorax published online 8 Feb 2008; doi:10.1136/thx.2007.090647
Varenicline versus transdermal nicotine patch for smoking cessation: Results from a randomised, open-label trial
- unairneuf.org ; Varenicline (alias Champix°) : des tests bien partiels
- Volpp & al. NEJM 360;7 12/02/2009
A Randomized, Controlled Trial of Financial Incentives for Smoking Cessation
- Dautzenberg & al. BMC Clinical Pharmacology 2007, 7:11 Pharmacokinetics, safety and efficacy from randomized controlled trials of 1 and 2 mg nicotine bitartrate lozenges (Nicotinell®)
- Hughes & al., Addiction. 99(1):29-38, January 2004 (pdf)
Shape of the relapse curve and long-term abstinence among untreated smokers
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