Eric Favereau est grand reporter à Libération, en charge depuis près de 20 ans des sujets « Santé » au journal. Il travaille également au Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin et publie le 30 mars dans le blog La plume et le bistouri un article à contre-courant de la pensée dominante en matière de sida : Sida, les limites du tout-préservatif [1] :
"Chacun paraît comme enfermé dans son rôle, brandissant sa saine colère, clouant au pilori le pape. Et après ? Enfermer le débat autour du seul préservatif est contre-productif. Ainsi que dire à un gay qui explique combien il est difficile pour lui de mener toute une vie sexuelle sous préservatif ? [...] Il ne faut pas le dire, il ne faut surtout pas affaiblir le dogme du tout préservatif. Même si, au passage, le risque de rupture d’un condom est plus élevé que celui résiduel d’une personne séropositive sous traitement.
"Il y a, aujourd’hui, d’autres outils. Pourquoi y a-t-il aussi peu de débats en France sur la réduction des risques en matière de contamination du sida ? Ce serait faire un trou dans le message essentiel : mettez un préservatif. Pourtant la réduction des risques existe. [...] En France, à force de fermer tout débat, la contamination se poursuit."
Et si le pape avait - en partie - raison ? :
« cela risque d’aggraver aggrave le problème » *
Fumer est aussi ancien que l'humanité
En premier lieu il convient de reconnaître, objectivement et sans dogmatisme, que fumer est aussi ancien que l'humanité. Fumer du tabac notamment, produit universellement licite, contrairement à certains autre produits psychoactifs que l'on peut fumer. Il n'est pas raisonnable d'envisager l'élimination d'un comportement social accepté et qui n'a été reconnu que récemment dangereux pour la santé physique. Quels que soient les moyens de prévention et de répression, il semble qu'il ne soit pas possible de descendre en dessous d'un plancher de 10 % de fumeurs dans la population active. Un monde sans tabac est un voeu pieux, un fantasme.
Et de toute façon, il ne sera pas possible aux Administrations d'État de se passer de la manne que représentent les taxes sur un produit aussi vital pour cette partie de la population rendue dépendante.
Il existe des pratiques moins risquées que d'autres
Deuxièmement, les pratiques historiques sont beaucoup moins dangereuses que le fumage de cigarettes industrielles optimisées pour accrocher et rendre dépendant dès les premières bouffées [2].
Le cigare, fumé à l'occasion par Bill Clinton comme par Nicolas Sarkozy, ne rend pas systématiquement dépendant : il est possible d'en avoir un usage 'récréatif' dirons-nous, et sans tomber dans le stupre et la luxure : pour le lucre, c'est à examiner !
Il semble aussi que le narguilé ait été considéré une façon de fumer relativement innocente jusqu'à la vague de prohibition actuelle, en témoigne un usage féminin fréquent. Le Dr Kamal Chaouachi a publié récemment un certain nombre de mises au point scientifiques rendant poubellisables les allégations de talibantitabacs notoires, dont le Pr Dautzenberg en France [3]. Ce dernier est non seulement accusé par K. Chaouachi de mauvaises pratiques scientifiques (plagiat de ses publications en particulier) mais aussi de publier d'innombrables propos infondés par l'observation scientifique. Il s'agit probablement, comme cela a été fait pour le tabagisme passif, de désinformation à grande échelle, de manipulation politique.
Pour l'OMS, toutes les formes de tabagisme sont dangereuses
Troisièmement, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les activistes anti-tabac qu'elle soutient rejettent l'usage de tabac ou de nicotine sous toutes ses formes (sauf bien entendu les formes homologuées commercialisées par l'industrie pharmaceutique).
Un débat s'est tenu en Californie pour autoriser l'usage durable de palliatifs à la nicotine : refusé, au grand dam de représentants de l'industrie pharmaceutique qui y voient un marché potentiel considérable [4].
La question est complexe :
- Existe t-il des présentations de nicotine plus dangereuses que d'autres ?
- Est-ce que l'on doit accepter que certains fumeurs ne pourront jamais cesser le tabagisme ?
- Le cas échéant, vont-ils accepter de changer leur approvisionnement quotidien ?
- La disponibilité d'alternatives à la cigarette va t-elle modifier la proportion de fumeurs s'engageant dans un arrêt ?
- Est-ce que l'on risque un accroissement de l'initiation au tabac des jeunes ?
- Est-ce souhaitable sur le plan des libertés de chacun de conduire sa vie comme il l'entend ?
- etc.
Suivant les réponses qui sont faites, l'intérêt de ces alternatives est variable. Pour l'instant, c'est la politique de prohibition totale qui prévaut dans la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac que la France a ratifiée.
Le Snus° interdit
L'Union Européenne interdit la vente de tabac à chiquer, dont l'usage en Suède est resté traditionnel (le Snus° chiqué y dépasse le tabac fumé). Ces produits sans combustion sont évidemment beaucoup moins nocifs pour la santé que le tabac fumé, avec ses goudrons et 4000 produits dont la toxicité est supposée. Mais la Commission en charge de ces questions à Bruxelles refuse fermement toute libéralisation de la vente de ce produit à faible risque en Europe.
Business first suite au lobbying des cigarettiers ? Ou plutôt lobbying des multinationales pharmaceutiques ? C'est ce que semble indiquer une communication de Gregory Connolly, à la récente World Conference on Tobacco or Health (Bombay, 9 March 2009) [5].
Les cigarettes électroniques dénoncées
La commercialisation des cigarettes électroniques, qui peuvent être assimilés à des versions améliorées des inhaleurs vendus en pharmacie, est contestée aussi. Il est reproché à ces produits d'origine chinoise de ne pas avoir fait la preuve de leur innocuité : il sont surtout une brèche dans le monopole qu'entend prendre l'industrie pharmaceutique sur le marché de la nicotine en remplacement de celle fournie par le tabac [6].
Ainsi l'OMS, dont les financements sont très liés au parties prenantes de la Santé, préfère l'usage de tabac nocif à celui de produits pouvant réduire le risque et préserver la santé des consommateurs. C'est aussi sage et fondé que d'interdire la contraception pour protéger les populations de l'épidémie de sida, avec les résultats dramatiques que l'on sait.
Une dérive vers la dictature sanitaire
Ce qui nous choque aussi et soumettons à votre analyse, c'est le fait que l'éradication du tabagisme, officiellement visée par l'OMS, n'ait pas donné lieu à un débat démocratique : elle est considérée par cette organisation comme allant de soi. On ne doit pas contester la dictature sanitaire (pour notre bien).
Il ne va pas de soi d'interdire une pratique comme la tabac, l'alcool ou le hamburger-frites sans consensus citoyen.
Il ne va pas de soi de marginaliser et ostraciser un tiers de la population active française, sans même lui fournir de solution sérieuse à l'affranchissement de sa dépendance. La liberté, c'est aussi celle de pouvoir cesser de fumer.
Mais la stratégie de maladisation des multinationales pharmaceutiques empêche la disponibilité de prestations de service à la personne qui sont seules capables d'aider les fumeurs : les intérêts des firmes ne coïncident pas avec celui des consommateurs, ni collectivement, ni individuellement.
Si le tabagisme est la cause de décès de 60 000 français chaque année, quelle est la part de ces décès qui aurait pu être évitée par la promotion des prestations efficaces, dénigrées au profit des stratégies de la pharmacine ? Les aides médicamenteuses inefficaces, même subventionnées sur le dos du contribuable, n'ont pas réduit le tabagisme.
Le pape et la Curie contre la capote,
la secte des haltayollahs et l'OMS contre le tabac :
aidons-les à distinguer science et religion.
Les vœux pieux peuvent devenir des vieux pieux.
Références
- Sida, les limites du tout-préservatif
- Tabagisme juvénile : la dépendance se forme très rapidement !
- Chaouachi K. Hookah (Shisha, Narghile) Smoking and Environmental Tobacco Smoke (ETS). A Critical Review of the Relevant Literature and the Public Health Consequences ,
International Journal of Environmental Research and Public Health. 2009; 6(2):798-843. - Les traitements dits de substitution ont tendance à maintenir le tabagisme !
- Gregory Connolly, Harvard School of Public Health.
World Conference on Tobacco or Health (Bombay, 9 March 2009):
“SLT [Smokeless Tobacco] should not qualify as a reduced harm agent until epidemiological, clinical and population data show it actually reduces harm. Otherwise, qualifying SLT as reduced harm agent may encourage the cigarette industry to introduce products that increase youth tobacco use, promote dual use, drive the pharmaceutical industry out of the cessation market and send the wrong message to hundreds of millions of SLT users in developing countries. In the current climate, WHO and member states have an obligation to treat all tobacco products similarly under the FCTC.” - « Le mouvement anti-tabac » par Christopher Snowdon
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[Édition : 10 avril 2009]
Le journal Le Monde daté du 11/04/09 publie un point de vue à méditer : Le discours de Benoît XVI sur le préservatif est tout simplement réaliste (et aussi ici).
* [Édition : 28 avril 2009]
Dans le verbatim apparaît cette phrase « On ne peut le résoudre [le sida] en distribuant des préservatifs ; au contraire cela aggrave le problème. » Puis il ceci a été officiellement rectifié en remplaçant la dernière phrase par "cela risque d’aggraver le problème".
Si je comprends bien, si on fume et qu'en plus on n'utilise pas de capote, on n'est pas très tendance... Zut alors, moi qui me croyais "in" ! Excellent article, la comparaison me semble très pertinente, et merci pour les liens !
Rédigé par : www.google.com/accounts/o8/id?id=AItOawkh0gMm5HttNUmLU0Z6Vd_6wKqalDeI_Co | 10/04/2009 à 18:07