De la convivialité des antidépresseurs...
La logique voudrait qu’un geste qui a une fonction sociale, ou une fonction psychologique certaine, doive être remplacé par quelque chose d’autre.
- J’arrête de fumer, cas favorable ==> je fais du sport, je me sens mieux, mon stress est évacué dans un nouveau plaisir.
- J’arrête de fumer, cas défavorable ==> c’est dur, c’est la déprime, je vais voir mon généraliste, il me prescrit un patch, ce n’est pas suffisant, il me prescrit des anxiolytiques ou des antidépresseurs.
Sujet hautement tabou. Certains nient ce risque, ainsi Bertrand Dautzenberg, de l'Office de Prévention du Tabagisme :
« Le risque d’un transfert de l’addiction est pratiquement nul : chez les adolescents, c’est même le contraire. Lutter contre le tabac chez les jeunes, c’est également lutter contre le cannabis et contre l’alcool.
Prétendre que la somme des vices est constante est d’une totale stupidité et contraire à la réalité, si ce n’est dans 5% des cas, liés à des problèmes psychiatriques lourds.
L’expérience constante prouve que lutter contre une drogue en élimine d’autres. »
Pourtant, un rapport de l’Assemblée Nationale sur le bon usage des substances psychotropes est édifiant *. Il est même particulièrement inquiétant, quand on sait la banalisation de leur consommation en France, dans un contexte où 80% de ces médicaments sont distribués par des médecins généralistes : un français sur trois y a déjà eu recours.
Le rapport ne cache ni les effets secondaires, ni la difficulté du sevrage [aux traitements médicaux], ni le flou total en matière d’effets secondaires :
« S’il est important de connaître l’impact en termes de bénéfice et de risque de tout médicament mis sur le marché, ceci est particulièrement crucial pour les médicaments psychotropes du fait que leur cible thérapeutique porte sur les fonctions les plus spécifiquement humaines, de par leur capacité à modifier les émotions, les activités intellectuelles et relationnelles des sujets qui en font usage.
Il est, de plus, indispensable d’évaluer l’impact des psychotropes en conditions réelles d’utilisation à l’échelon de la population traitée, car du fait de l’importance de la population exposée à ces médicaments (plus du quart de la population française de plus de 65 ans, par exemple), l’impact en santé publique d’un effet adverse, même rare ou de poids modeste, peut être considérable.
Or, on ne dispose actuellement en France que de très peu de données de ce type. Par exemple, on ne connaît pas à l’échelon de la population française le nombre de cas d’accidents de la voie publique, de chutes ou d’altération des fonctions intellectuelles chez la personne âgée, de diabètes ou de suicides induits par ces médicaments, et donc potentiellement évitables par une utilisation plus rationnelle. »
Ce qui nous ramène à une évidence oubliée : boire un verre de vin, manger ou fumer sont des comportements éminemment sociaux. Ces gestes sont compris de manière tacite. Avec tout ce que compréhension veut dire : multiplicité des facteurs (réponse au stress, aide à la concentration, saveur d’un instant).
La cigarette, comme d’autres comportements, est un exutoire social relevant de la liberté individuelle. De même qu’on a le droit d’être gros ou maigre parce qu’on est inquiet, ou de boire un peu plus que de raison, ou de... On ne nie pas que chacun de ces comportements puissent déboucher sur des problèmes réels (alcoolisme, obésité, etc.). On dit juste que ces comportements sont les réponses visibles aux aléas de la vie.
En les culpabilisant, l’État est en train de les transformer en un acte médicalisé et de favoriser la réponse invisible et non sociale au stress : les psychotropes.
Aujourd’hui, les fumeurs culpabilisés vont dans les pharmacies. Ainsi un ancien plaisir est devenu un motif de honte remboursé par la sécurité sociale. Beau travail.
Source
Fumer ne tue pas
Pamphlet de Laeticia Bianchi, copyleft Le Tigre (mars-avril 2008)
* Rapport sur le bon usage des médicaments psychotropes (22 juin 2006),
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