Comment la médecine définit-elle la dépendance physique ?
Quels critères et quels indicateurs de mesure utilisez-vous ?
Existe-t'il des fumeurs réguliers qui ne sont pas dépendants ?
Je ne crois pas qu'il y ait de dépendance physique au tabac. Peut-être quelques désagréments au début de l'abstinence pourraient être liés à la disparition de certains effets de la nicotine. Par exemple l'irritabilité est un des signes de l'hypoglycémie et l'on sait que la cigarette du matin fait monter la glycémie plus vite que le petit déjeuner. Si l'on mène contre soi-même un combat pour ne pas fumer, il est moins pénible d'évacuer cette agressivité contre son entourage. Cependant si l'on est prêt, mûr pour arrêter, cela se passe pratiquement toujours sans aucun trouble, sans énervement particulier. Rien à voir avec le delirium tremens à l'arrêt de l'alcool, ou les chills de l'arrêt des opiacés.
L'accrochage au tabac est très puisant. Je crois qu'on peut dire dépendant celui qui ne peut passer facilement une journée sans ne serait-ce qu'une cigarette. Je n'utilise aucun critère "objectif". Si un fumeur vient à ma consultation, c'est qu'il se sent "subjectivement" dépendant.
A quoi sert de vouloir chiffrer cette dépendance? J'ai vu des fumeurs à 5 paquets par jour s'arrêter du jour au lendemain sans aucun trouble et des fumeurs avec un score de 2 au test de Fagerström ne pouvoir rester 24 heures sans fumer. Etablir un pronostic à partir de ces chiffres est une illusion. Donner au patient l'occasion de le faire peut simplement le désespérer.
Si vous étiez président d'une Mission interministérielle contre le tabagisme, quelle(s) mesure(s) phare prendriez-vous pour aider les fumeurs à s'affranchir de leur dépendance ?
Je commencerais par mettre un terme à une politique qui ne lutte pas contre le tabagisme mais contre les fumeurs. Ce sont eux les véritables victimes du tabac : ils lui paient un énorme tribut et, comme beaucoup de victimes, ils se sentent coupables et deviennent complices objectifs de leurs bourreaux. Coupables dès qu'ils allument leur première cigarette du matin, se disant qu'ils grèvent le budget de la famille et qu'ils l'exposent à être laissée dans le dénûment s'ils décèdent d'un cancer ou d'un infarctus à 45 ans.
Et on en ajoute une couche, en les accusant d'être - à cause du tabagisme passif - les assassins de leurs voisins ou de leurs enfants : ceci est une indigne manipulation manigancée par les firmes pharmaceutiques au moment du lancement commercial du Champix®. J'en ai analysé le mécanisme dans un article publié dans une grande et courageuse revue scientifique [2], dont évidemment aucun média ne s'est fait le relais.
Par son omniprésence dans la vie du fumeur la cigarette finit par faire partie de son identité. Attaquer cette identité suscite une réaction de défense qui se traduit par un repli sur un tabagisme dit "retranché". Quoi d'étonnant que, depuis que la prohibition s'est répandue en Europe,
- la prévalence du tabagisme soit passée de 27 à 29% en Irlande,
- les italiens comptent 2 millions de fumeurs de plus,
- les jeunes redécouvrent le tabac (et le cannabis),
- le nombre d'étudiants du Diplôme de Tabacologie que j'organisais encore cette année à Paris ait diminué des deux tiers,
- les consultations de tabacologie se vident et que,
- les ventes de médicaments dits "de sevrage" soient en chute libre ?
[À suivre]
Notes
- ppm : partie par million
- The European report "Lifting the Smoke-Screen": epidemiological study or manipulation?
Rev Epidemiol Santé Publique; 2008 Aug; 56(4):286-90.
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