Smoking and Health décrivait l’addiction tabagique en termes expérientiels :
« Les gros fumeurs de cigarettes, qui inhalent, décrivent souvent cet acte comme une expérience sensorielle agréable qui constitue pour eux l’une des premières motivations de continuer à fumer. »
En résumé, « La consommation habituelle de tabac est liée en premier lieu à des motivations psychologiques et sociales, renforcées et perpétuées par les actions pharmacologiques de la nicotine sur le système nerveux central, cette dernière étant perçue subjectivement soit comme un stimulant, soit comme tranquillisante (sic), en fonction de la réponse individuelle » (p. 354).
Au lieu de fournir une explication indiquant pourquoi le tabagisme n’est pas addictif, ceci constitue en fait un modèle expérientiel de l’addiction. L’intérêt de prendre note d’une telle définition, est que rien ne la limite à traiter l’addiction comme étant exclusivement un effet de la drogue – l’expérience « stimulante ou tranquillisante » à laquelle les fumeurs peuvent finir par s’attacher de manière addictive, peut être produite par des investissements et des activités absolument hors substance.
Cela se produit, quand un investissement ou une expérience puissante, préoccupante ou accaparante
- fournit des gratifications psychiques essentielles, tel qu’un sentiment de confort, de contrôle, d’excitation, ou de sa valeur personnelle ; néanmoins
- l’engagement dans l’activité a des effets de plus en plus néfastes sur l’existence.
- diffuser des informations sur les effets nocifs du tabagisme dans le Rapport du ministre de la Santé de 1964 n’a pas éradiqué le tabagisme, et il fallait que les responsables de la santé publique placent la barre plus haut ;
- l’addiction était redéfinie au-delà du champ des stupéfiants, par exemple pour la cocaïne, et sa définition était désormais élargie pour inclure le tabac/la nicotine ;
- un plus grand réalisme prévalait sur la variabilité des réactions – et les schémas de consommation avec elle – aux stupéfiants et aux autres substances illicites puissantes ;
- la légalité d’une substance n’était plus perçue comme incompatible avec l’addiction, et on ne considérait plus que les toxicomanes fussent des psychopathes ;
- les effets expérientiels d’une substance sont devenus le centre de l’addiction, même si une drogue n’était pas toxique au sens conventionnel ;
- l’addiction était désormais caractérisée en premier lieu par les schémas de consommation compulsive des gens et leur difficulté à arrêter.
Ainsi je décrivais les expériences addictives dans Love and Addiction et The Meaning of Addiction (et aussi dans la première édition de Psychotropes dès 1983) :
Les gens développent une addiction aux expériences. L’expérience addictive est la totalité de l’effet produit par un investissement ; cela provient des sources pharmacologiques et physiologiques, mais prend sa forme définitive dans les constructions culturelles et individuelles de l’expérience. La forme la plus reconnaissable d’une addiction est un attachement extrême, dysfonctionnel, à une expérience extrêmement nocive pour la personne, mais qui est une partie essentielle de l’écologie de cette personne et à laquelle cette dernière ne peut pas renoncer. Cet état est la conséquence d’un processus dynamique d’apprentissage social dans lequel la personne trouve une expérience gratifiante, parce qu’elle remédie à des besoins ressentis urgemment, alors que sur la durée elle détériore la capacité de la personne à faire face et son aptitude à produire des sources stables de gratification à partir de son environnement.
La motivation à poursuivre l’investissement, en comparaison avec d’autres investissements, est fonction d’une couche supplémentaire des variables sociales, situationnelles et de la personnalité. Tous ces éléments fluctuent en permanence étant donné qu’un individu grandit, change d’environnements, développe des mécanismes plus matures pour faire face, perd et gagne de nouvelles opportunités de satisfaction et est soutenu ou découragé quand il s’agit de se forger de nouvelles manières de penser et idées de soi.
Il y a des éléments indéterminés – par exemple, ceux activés par les engagements moraux de la personne – qui ont une incidence sur le fait qu’elle continuera ou non à revenir à une expérience qui devient progressivement plus néfaste pour le reste de sa vie. Même après que la personne a développé un attachement addictif, elle peut subitement (aussi bien que progressivement) modifier les valeurs qui entretiennent l’addiction. C’est là le remarquable processus du mûrissement, ou de la rémission naturelle de l’addiction.
Stanton PeeleExtrait de Psychotropes, Vol. 15 n° 4, 2009, pp. 27-40.
http://www.peele.net/lib/amerique.html
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