« Les pharmaco-thérapies sans prise en charge psychologique s'avèrent d'illusoires béquilles, malgré leur matraquage promotionnel » écrivons-nous en haut de Unairneuf.org.
Le journal de l'arrêt de Martine Pagès [1], légèrement romancé et qui se lit avec plaisir, constitue un témoignage lucide et effrayant !
Ce n'est pas de la médecine, mais de la charcuterie pour ne pas dire boucherie : aussi terrible que l'inoubliable Opium où Cocteau raconte son sevrage [2].
Nous avons choisi de citer des extraits et de laisser les avis s'exprimer en commentaires. À vos plumes !
8 décembre 2007 |
J’ai changé de clan, c’est tellement plus ludique, les drogues de substitution ! |
(3 jours) |
Il me propose un antidépresseur, mais comme j’ai des mauvais souvenirs d’une expérience ancienne qui m’avait provoqué des maux de tête infernaux et fait enfler mon corps – gonflée de partout j’avais tout du veau – nous décidons de nous en tenir à un anxiolytique qui tiendra mes pulsions en respect et neutralisera mes nerfs, aidé de ma foi en lui, comme il faut bien que j’apporte ma contribution. J’ai donc un nouveau copain qui s’appelle benzodiazépine, c’est son nom de famille. |
(1 semaine) |
Je passe le cap de la première semaine d’abstinence au lit. Mon arrêt maladie est plus que justifié, j’ai tous les signes de la grippe : fièvre, épuisement, douleurs musculaires, nez pris et gorge en feu. |
(26 décembre) |
Je suis une défumeuse paumée, chamboulée, névrosée, psychopathe et meurtrière. Je suis une défumeuse bancale, désorientée, livide et pitoyable. Je suis une défumeuse fragile, solitaire et suicidaire. |
27 décembre |
J’en ai fini avec les dépendances, donc je renonce aussi aux patches. |
28 décembre au 3 janvier |
Sept jours sans nicotine, sept jours nourrie au grain. Enfin presque. Une centaine d’assauts quotidiens de Tampax ont tenté tant bien que mal de se substituer à la diffusion permanente d’un patch. Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas quitté mon inhaleur un seul instant, pas même la nuit, le consignant sous mon oreiller pour parer facilement à une éventuelle crise. |
5 janvier, 17 h |
Depuis que je suis non-fumeuse, je passe mon temps chez les médecins, dans des centres, dans des cabinets de radiologie, à tester le confort des sièges des salles d’attente, la carte vitale en main, prête à élargir davantage le trou de la sécu. Il y a tout de même un paradoxe de taille, et si tous ces actes n’avaient pas l’avantage d’être remboursés, moi je dirais qu’il me coutait moins cher de fumer que de m’en soigner. |
9 janvier, 13 h |
Dr Dibert prolonge mon arrêt maladie d’un mois. C’est le temps qu’il juge nécessaire pour que l’antidépresseur remplisse son rôle et que je cesse de me vanter de nouvelles maladies mentales. |
11 janvier |
J’envisage sérieusement une psychothérapie pour qu’on m’aide à démêler ce sac de nœuds serrés qu’est ma vie. Parlons de la bouteille d’eau glacée, censée être LA parade à la fameuse envie impérieuse de fumer. Autant la jeter tout de suite à la mer. Aucune gorgée avalée n’a vraiment mis un terme à mon obsession. |
23 janvier |
Aujourd’hui, on m’enlève un grain de beauté sur le sein. J’ai été un peu déçue par la dureté des chaises de la salle d’attente du dermato. Je ne reviens toujours pas du nombre de médecins que j’ai fréquentés ces temps-ci. Me confortant dans l’hypothèse que l’arrêt du tabac peut être à l’origine de mes maux et que les bénéfices qu’on m’avait vendus brillent par leur discrétion et leurs effets modestes. Depuis le premier jour, il n’y a pas eu une heure où je n’aie été sous nicotine. Ça n’a pas empêché les nombreuses crises, pourtant la dose était là, diffusée, active. Alors qu’est-ce qui explique mes réflexes de succion, la tête d’un veau élevé sous la mère, et cette hyper salivation ? |
6 février |
Je reçois le relevé de tous mes remboursements médicaux. Impressionnante, la fidélité dont je fais preuve… C’est tout juste si, au bas de la page, on ne me remercie pas de prêter si fréquemment la partie supérieure de mon corps à la science… |
9 février (9 h 15) |
Je mendie un nouvel arrêt maladie parce que je fais de cette désaccoutumance un véritable métier, alors je ne peux pas être au four et au moulin ! Pour ça, j’en fais des caisses auprès de Dibert, me plaignant de maux inédits et divers, tels que l’agoraphobie, la sociophobie, alternant, selon les situations Docteur, avec des prémices de claustrophobie. J’ajoute qu’une fatigue anormale pourrait coïncider avec un début de mononucléose. Son sourire en coin en dit long sur le degré de complaisance nouveau de mon médecin référent. |
À 9 h 05, ce 21 février, |
je colle sur mon bras un petit disque adorable et discret qui diffusera à partir d’aujourd’hui sept milligrammes seulement. |
21 octobre 2008 (19 mois) |
J’ai toujours envie de fumer, et je brûle d’avouer que c’est une idée qui ne me lâche pas de la journée. |
Un an n'aura pas suffit à Martine Pagès pour en finir avec la cigarette. Comment la médecine peut-elle prétendre qu'elle dispose de solutions "efficaces" pour aider à l'arrêt du tabac ? C'est proprement scandaleux.
Références
- Martine Pagès, Guide de la déFume (Trédaniel 2010)
- Jean Cocteau, Opium, Stock 2003 (1930)
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