Nous n’avons pas constaté dans le contexte d'actions de prévention du tabagisme au travail que les palliatifs nicotiniques aient la moindre utilité : ceux qui y ont recours - contre notre conseil - pour s'affranchir de leur dépendance au tabagisme augmentent le risque d’une rechute.
Nous ne vérifions pas - sur le terrain - que ces aides médicamenteuses accroissent les chances d’un arrêt durable.
(cf. article publié sur unairneuf.org le 06 septembre 2006 : il reste tout à fait d'actualité).
Ceux parmi nous qui luttent contre le tabagisme ont le privilège de travailler sur un des phénomènes les plus intéressants. Mais nous en sommes arrivé à penser qu’il y a des moments où nous ne les regardons pas vraiment. Ou plutôt, on nous a appris à les regarder d’une certaine façon, en utilisant certains concepts et certaines méthodes, de telle sorte que parfois nous passons à côté de choses qui sont évidentes pour tout le monde, sauf pour les professionnels de santé.
En d’autres termes, en essayant de comprendre tel ou tel phénomène, nous avons tendance à regarder d’abord ce que les chercheurs précédents ont fait et pensé, de telle façon que nous ne puissions pas nous empêcher de regarder ces processus à travers leurs yeux. Pour dire cela en termes méthodologiques, nous faisons l’acquisition de cadres théoriques que nous ne pouvons plus ensuite abandonner afin de regarder le problème d’une nouvelle façon, pour voir comment les choses sont vraiment. Cela entraîne, pour reprendre le titre d’un article classique du fondateur de la psychologie états-unienne William James (1899), « une certaine cécité ».
Etayons cette observation avec deux exemples pris le champ de la prévention du tabagisme en entreprise :
- les modes d'établissement de la preuve,
- le fumeur ne se perçoit pas comme malade.
Le champ couvert par les savoirs scientifiquement établis est réduit, et l'on peut contester l'assimilation d'un fumeur à un 'malade'. La médecine n'est pas la panacée pour permettre à un fumeur de cesser de fumer.
1 - Les limitations de la preuve scientifique en médecine
Notre premier exemple porte sur les modes d'établissement de la preuve utilisés en médecine. Différentes approches d’une même pathologie existent et il est normal que celle ayant fait la preuve de la meilleure efficacité soit préconisée, à l’exclusion des autres, toutes choses étant égales par ailleurs.
Pour mesurer ladite efficacité des études rigoureuses sont menées, en général auprès de vastes populations de patients, en comparant une nouvelle thérapeutique envisagée à celle faisant précédemment référence. Pour éviter les biais, les conditions expérimentales sont définies de façon stricte, en excluant autant que faire se peut toute différence méthodologique. Par exemple l’affectation de la thérapie aux patients doit être faite au hasard, ce qui a soulevé des problèmes éthiques encore récemment au sujet d’une expérimentation de vaccin contre le sida. Le mot magique est ‘objectivité’. L’expérience doit être objective et évacuer toute subjectivité. En pratique un patient est considéré comme passif, sans capacité d’initiative ni d’adaptation du protocole de soin en fonction des ses sensations subjectives.
Malheureusement ceci revient à ignorer la dimension psychologique de toute thérapie. La psychologie représente trente (30) heures dans la dizaine d’années de la formation du médecin, ce qui montre le peu d’intérêt que porte la science médicale à ce qui peut faire la différence entre un être humain d'un animal. Dans le cas des stratégies pour le sevrage tabagique, les solutions médicalement recommandées en première intention auraient pu avoir été testées sur des rats fumeurs, en ignorant les motivations du patient.
C’est bien dommage car ce sont précisément ces motivations qui sont considérées comme le premier facteur de succès : elles sont ignorées dans les études comparatives. Ainsi aucun professionnel de la psychologie (ni d’association de défense des non fumeurs) n’a contribué aux dernières recommandations institutionnelles concernant les aides au sevrage tabagique, comprenant celles relevant exclusivement des sciences humaines [1]…
Il s’ensuit que les recommandations autorisées ne concernent que les thérapies passibles de critères scientifiques et restrictifs d’objectivité et ne peuvent prendre en compte ceux relevant d'autres procédés d'évaluation. Ce sont le cas pourtant d’approches fort intéressantes comme l’acupuncture, l’hypnothérapie (dont les records d’efficacité sont connus depuis 30 ans sans qu’elle ait pu être accréditée) ou la ‘méthode Allen Carr' qui a fait plus pour aider les salariés à cesser de fumer que beaucoup d'autres. Cette méthode est basée sur des considérations psychocognitives et déconseille explicitement - comme nous le faisons - l’usage des palliatifs nicotiniques pour l’arrêt du tabagisme.
Un sondage rapporté par le site www.stop-tabac.ch a montré que l’ouvrage de M. Allen Carr représentait 90 % des achats de livres en français pour cesser de fumer… S’il se confirmait que c’est celui que les dentistes recommandent (et nous avons plusieurs témoignages dans ce sens), ce petit livre devrait être hautement utile à un fumeur désirant s’affranchir de sa dépendance, non ?
Dans la même veine, une évaluation comparative auprès d’entreprises françaises effectuée fin 2005 par une équipe de l’ISSBA d’Angers a montré que l’abord médical, soit par le médecin du travail soit par le prosélyte OFT (Office Français de Prévention du Tabagisme) était moins performant que celui de prestataires privés non contraints par les recommandations s’appliquant aux professionnels de santé. Loin de nous l’idée de proposer n’importe quoi à un employeur mis en demeure de bannir le tabagisme sur les lieux de travail ; un peu de pragmatisme ne fera cependant pas de mal : ce qui marche commence à être connu… Les dénigrements constants des prestataires privés par les conservateurs du dogme médical ne font pas honneur à leur profession.
Est-ce que fumer est une maladie ?
Deuxième exemple d’aveuglement : si vous êtes fumeur, vous voyez-vous comme ‘malade’ ? C’est peu probable ! Pour être légitime dans son action le médecin est astreint à traiter individuellement le fumeur comme un patient atteint d’une pathologie. Malheureusement cela ne lui facilite pas la tâche, notamment quand il s’agit de prévention du tabagisme au travail.
D’abord parce que le fumeur régulier résiste à l’idée qu’il est dépendant : des décennies parfois. Tant qu’un alcoolique par exemple n’a pas reconnu qu’il consommait abusivement, il reste sourd à toute proposition de prise en charge. Il en est de même en matière de tabagisme. Les dégâts interviennent généralement passés vingt ans de consommation quotidienne (de façon active comme passive, soit dit en passant). Le fumeur ne ressent pas son tabagisme comme une douleur articulaire ou un mal de dent.
Le schéma sanitaire habituel est peu pertinent aussi parce que le fumeur met rapidement en place des mécanismes pour cacher ou protéger la contradiction quotidienne « fumer me fait du bien / il faut que j’arrête ça ». Les bombardements massifs de messages sanitaires ne percent pas cette armure résultant d’une adaptation à une situation inextricable : vouloir une chose et son contraire et ne pas trouver la brèche pour résoudre le paradoxe.
Le fumeur s’est adapté à son tabagisme comme l’esquimau au froid. Mettez un esquimau sous les tropiques : il souffrira de l’air tempéré s’il ne consent à quitter sa fourrure d’ours parce qu’il est nu dessous. Le fumeur sent bien inconsciemment que cesser de fumer va l’obliger à l’inconfort d’une inadaptation et préfère l’inconfort de la continuation de son comportement. Il s’est adapté à sa dépendance et malheur à celui qui vise à l’obliger de changer ses équilibres de vie.
Quand on écoute le discours médical, on observe qu’il consiste à amplifier la dissonance entre comportement et désir, en espérant qu’un jour les dangers du tabagisme – qui sont connus même des jeunes – finiront par dégoûter suffisamment le fumeur pour le motiver à cesser son comportement addictif. L’OFT recourt à l’image d’une ‘boite à motivations’, qui a la forme d’une poubelle : quand elle déborde, la dissonance est devenue insupportable.
On ne combat pas un désir avec une interdiction apprend-on cependant en faculté de psychologie. Empiler les raisons de cesser de fumer ne fait que renforcer la culpabilité du fumeur et attente à son identité : cela n’est pas vraiment motivant !
Une paire de psychosociologues de l’université de Genève a précisément étudié l’influence des experts sur la cessation du tabagisme [2] : plus la personne qui parle est dotée d’une autorité sanitaire, moins son message sera pris en compte par le fumeur. Cela me fait penser au gendarme s’énervant en frappant Guignol ! La raison en est ce mécanisme psychologique de protection de la contradiction insoluble.
Donc premièrement le fumeur ne se perçoit pas comme malade, deuxièmement les discours sanitaires sont sans grand effet. Il existe une troisième raison pour démédicaliser l’aide à l’arrêt du tabac : les thérapies recommandées par les autorités de santé se révèlent moins efficaces que les approches n’obéissant pas aux contraintes méthodologiques de la preuve scientifique. Aléatoires, longues, chères et difficiles d’accès, celles-ci gagneraient à être réservées aux cas compliqués, c'est-à-dire aux fumeurs atteints de morbidités pour qui fumer est une béquille pour faire face à la vie au jour le jour : sans cette béquille, le fumeur encourt d’autres risques pathologiques. Ce peut être le cas d’une personne dépressive, d’un diabétique ou d’une personne à la glycémie déréglée par exemple, ou bien au décours d’un accident vasculaire cérébral.
Nous invitons donc nos autorités de santé (DGS, MILDT, INPES, etc.) à cesser d’être dépendantes des discours exclusifs et excluants de la corporation médicale et à écouter également les avis d'autres disciplines autorisant d'autres modes d'intervention efficaces sur le terrain.
La preuve de l'efficacité sur le terrain l’emporte sur des savoirs établis dans le cadre restricitif d'études scientifiques. Sur les 13 millions de fumeurs français, seule une faible minorité est justiciable d’un diagnostic et d’une prise en charge médicale.
Références
- Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l'aide a l'arrêt du tabac, AFSSAPS, mai 2003 (noter que cet avis a été 'retiré' en avril 2012).
- J.M. Falomir-Pichastor et G. Mugny, Société contre fumeur, Grenoble, PUG, 2004
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