Proposé par la société néerlandaise Insight Pharma Services BV, meamedica.fr a pour objectif d’apporter “un soutien au patient dans son utilisation des médicaments, grâce à l’avis d’autres utilisateurs, ce que ne fait pas ou peu l’approche théorique dans les brochures ou dans la notice d’emploi”.
Il permet aux consommateurs de médicaments de faire part de leur expérience [1]. On pourrait penser que dans l'esprit du web 2.0 ce service va permettre de se forger un avis indépendant de la pression marketing des firmes pharmaceutiques. Rien n'est moins sûr !
Une vaste opération commerciale de Big Pharma
Plusieurs indices laissent penser que ce service, disponible dans plusieurs autres pays dont les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche, est une vaste opération commerciale de firmes de Big Pharma. Peut-être d'une seul : Pfizer.
C'est la couleur du site qui nous a mis la puce à l'oreille : bleu évoquant celui des publicités "Pour arrêter de fumer, consultez votre médecin" [2, 3].
La question qui vient ensuite est : à qui ce site profite, ses soutiens restant mystérieux ? Alain Breckler, membre du conseil national de l'ordre des pharmaciens, se montre d'emblée dubitatif : « Il doit bien y avoir une volonté derrière, un business model ou quoique ce soit d'autre. »[4]
Le but nous semble être principalement de contrer les ventes de génériques, que le public connait moins bien que les marques commerciales. Un indice nous met sur la piste en effet : la dénomination commune internationale pour le Champix°, la "varénicline", est absente de la liste, seul le produit de marque y figure. Les 'substituts nicotiniques' en vente devant le comptoir comme l'emblématique Nicorette ne sont pas référencés. Le site semble cibler les médicaments de prescription, les plus onéreux et pour lesquels la publicité est interdite. Ceux dans lesquels Pfizer se spécialise justement.
Tous ces facteurs nous permettent de suspecter que le fabricant du Champix° finance en sous-main cette opération, pour être mieux référencé dans les requêtes sur internet. Champix° dans la catégorie "Toxicomanie" figure ce jour en 12e position par le nombre d'avis (23), après quatre traitements de la dépression notamment. Vingt-trois avis - anonymes - à prendre avec des pincettes...
Trois biais majeurs
1 - Au cas où vous ne le sauriez pas, il n'existe aucune étude montrant l'utilité de la varénicline seule, sans prestations d'accompagnement par un professionnel de santé s'étant un peu spécialisé dans la gestion de la dépendance tabagique, que tout le monde reconnait comme particulièrement retorse. Au mieux les avis jugent de la qualité du médecin traitant. Ainsi en centre de tabacologie médicale, la probabilité de succès avec Champix° n'est pas significativement différente de celles avec palliatifs nicotiniques, qui elles-mêmes ne sont pas significativement différentes de celles des prises en charge sans adjuvant médicamenteux [5]. Ce site ne va évidemment pas rapporter de l'efficacité de l'arrêt franc, sans médicament... Premier biais.
2 - Si Champix a bien un effet pharmacologique réduisant les envies de fumer durant le traitement, c'est sur l'intention du traitement qu'il convient de juger. Les avis des consommateurs sont la plupart du temps émis alors que le traitement est toujours en cours : cela n'a pas grande valeur quant à l'abstinence durable, car un traitement avec à vie sous varénicline n'est pas recommandé ! L'arrêt du tabac n'est pas le principal problème du fumeur, le piège est de rechuter. Il n'existe pas de traitement médicamenteux réduisant le risque de récidive ou la dépendance psychologique. Les avis favorables risquent d'induire en erreur.
3 - Il existe enfin un mécanisme psychologique visant à conforter ses décisions, modélisé par les psychosociologues sous le nom de "théorie de l'engagement". C'est l'histoire du bus que l'on attend patiemment : une fois prise la décision d'attendre le bus, il nous est extrêmement douloureux de changer d'avis, on peut poireauter de longues minutes avant d'appeler un taxi... Une fois engagé dans un processus, il nous est difficile de constater que l'on a eu tort. Ainsi les témoignages sur ce site seront biaisés favorablement : ceux qui y publient leurs commentaires sont incités, par ce mécanisme d'engagement, à penser qu'ils ont bien fait. En réalité, ce n'est qu'à horizon d'un an qu'ils pourraient juger de la pertinence de leur choix, 90 % des rechutes ont lieu après la fin du traitement.
Les avis négatifs seront-ils 'filtrés' ?
Ce site à vocation commerciale est déclaré modéré par des pharmaciens. Il est possible que les avis les plus négatifs sur les traitements soient 'filtrés' pour des raisons commerciales. Car comme Unairneuf.org l'a rapporté par le passé, la varénicline n'est pas sans danger : tendances suicidaires ou agressives, rêves marquants, etc.
Aussi nous invitons tous ceux qui ont eu des effets secondaires sérieux sous Champix à prendre le temps de poster leur avis sur meamedica.fr et à vérifier qu'il est bien publié. À défaut, veuillez le faire savoir en commentaires ici, ou sur les autres forums d'entraide que nous indiquons en colonne de droite, qui sont modérés par des personnes a priori sans lien d'intérêt avec la corporation pharmaceutique.
Références
- meamedica.fr (Champix)
- « Consultez votre médecin » : disons stop aux marchands du Temple !
- Knock ou le triomphe de la Pharmacie : parlez-en à votre médecin
- Méamédica, mystérieux « Vidal » participatif, agite la pharmacie (Rue89)
- Communiqué de presse de GSK, 28 juillet 2008
"Les résultats d'une étude comparative ne révèlent aucune différence importante entre le timbre NiQuitin et Champix dans les taux d'abandon à long terme."
À lire sur le même sujet
[Mise à jour 07.01.2011]
Notre amie Denise Silber publie un interview de la fondatrice de la firme néerlandaise Meamedica Denise Silber's Blog, 05.01.201 ; extrait :
Denise Silber : Meamedica a un financeur non identifié. Ce qui a conduit à supposer qu'il s'agit d'une source de financement que vous seriez mal à l'aise de révéler, comme une société pharmaceutique. Quelle est votre réponse ?
Wendela Wessels : Non, il n'a certainement aucun rapport avec la pharmacie ou la médecine. C'est une famille aisée (un investisseur privé) voilà tout. Du fait d'expériences personnelles, ils sont particulièrement attachés à l'amélioration des traitements médicaux. Ils ne veulent pas avoir leur nom dans les journaux, comme on peut le penser.