Renaud de Beaurepaire, praticien hospitalier à Paul-Guiraud à Villejuif (dans le Val de Marne) a publié dans Le Courrier des addictions un vibrant plaidoyer pour l'usage du baclofène pour l'aide au sevrage alcoolique [1].
« “Je suis contre”.
Ah bon, vous êtes contre, mais pourquoi ? Et là, pas d’argument ! Rien que des gens butés, incapables d’expliquer leur position. Des médecins, pas mauvais sûrement, mais sous influence. Sous influence de quoi, de quels messages, directives, peurs ou menaces ? Le journaliste s’en donnera à cœur joie. Quelles influences ont pu être assez fortes pour que des médecins agissent ainsi, contre l’intérêt de leurs malades, contre le serment d’Hippocrate ? »
Le fait que ce produit n'ait jamais fait la preuve de son efficacité à long terme ne trouble pas ce spécialiste, pas plus que ce usage se fasse en dehors de toute autorisation de mise sur le marché (AMM).
Une apologie de l'illégalité
Cette apologie de l'illégalité est très intéressante.
Quand on est praticien hospitalier, sur la crète des recherches de nouveaux traitements, il est légitime d'envisager et de tester de nouvelles approches. C'est essentiellement comme ceci que la science médicale progresse. Des considérations éthiques encadrent normalement ces expériences, concernant un nombre très réduit de volontaires. Ainsi en 2008, R. de Beaurepaire affirmait [3] :
« Ces prescriptions hors AMM sont très délicates. L'alcoolisme est un gros problème en France. C'est dommage de botter en touche avec le baclofène. Il n'y a rien d'absurde à vouloir faire des essais thérapeutiques d'autant que l'on dispose d'une expérimentation animale encourageante chez le rat. »
Certains médecins se placent donc délibérément au dessus du droit commun : aucune étude 'contrôlée' n'a encore permis de démontrer scientifiquement l'efficacité de ce traitement expérimental pour l'abstinence durable. Il est donc illégitime d’en conseiller la généralisation.
La cause de cette absence de preuve est l'absence de financement. Les brevets du baclofène étant tombés dans le domaine public, une entreprise pharmaceutique commerciale a plutôt intérêt à développer une molécule similaire dont elle peut s'attribuer l'exclusivité des bénéfices qu'à étendre une indication qui pourrait profiter à ses concurrents. Seule la recherche publique pourrait conduire une telle étude. La maille budgétaire à prévoir est de l'ordre de 10 millions d'euros.
« Contrairement à ce que certains croient, il n’y a aucun budget significatif, au moins en France, pour lancer des études cliniques avec des fonds publics pour un produit appartenant au domaine public » écrit Dominique Dupagne dans un papier faisant le point sur la question [4].
Passée l'étude scientifique, monter un dossier pour une extension d'AMM est coûteux : l'agence du médicament AFSSAPS étant intégralement financée par les budgets des firmes pharmaceutiques, elle n’a pas le moyen de s'auto-saisir d'un dossier. Au niveau français, à moins que l'Assurance Maladie ne décide d'investir, le baclofène ne sera jamais un traitement qu'un médecin de ville peut prescrire à son patient alcoolique, quand bien même des indications montrent que cela pourrait éventuellement lui être bénéfique.
Transposition de l'alcool au cas du tabac
Psychiatre, Dr de Beaurepaire a assuré le cours "Neuropathologie, neuromédiateurs et tabac" du DIU (Diplôme Interuniversistaire) de Tabacologie de Paris. Comme il y a des points communs dans les différentes addictions, il est normal de tenter de savoir si une approche thérapeutique utile dans un cas le serait dans un autre. Les recherches pour bricoler dans le cerveau des personnes dépendantes pour leur permettre de gérer leur addiction sont nombreuses. Le baclofène est un agoniste des récepteurs dits GABA : d'importantes recherches sont en cours pour identifier de nouvelles classes thérapeutiques basées sur les agonistes des récepteurs GABA pour l'aide au sevrage tabagique [2].
Dr Dominique Dupagne dans son article fait aussi le parallèle entre l'alcoolisme et le tabagisme :
« Depuis des années, l’industrie pharmaceutique fait campagne pour convaincre médecins et patients de la nécessité de médicaments pour traiter les dépendances : patchs à la nicotine et Champix© ou Zyban© pour le tabac, Revia© pour l’alcool. Et je passe sur les antidépresseurs et tranquillisants pas toujours nécessaires.
« Or cette approche est très critiquable et critiquée par les spécialistes non médecins de l’approche comportementale. Ces derniers, thérapeutes ou associatifs (anciens buveurs) obtiennent depuis longtemps des résultats probants sans recours ni à la médecine, ni à des médicaments. Ils savent que le problème n’est pas d’arrêter, mais de ne pas reprendre. Cette protection vis-à-vis des rechutes suppose un travail psychologique en profondeur.
« Mettre en avant un médicament comme solution miracle risquerait de faire perdre de vue au buveur l’objectif fondamental : comprendre que son succès à long terme ne dépend que de lui et non d’un facteur extérieur. »
C'est une des raisons pour lesquelles il a finalement décidé d'interdire les échanges sur le Baclofène sur le forum Atoute.org, premier forum médical en trafic en France (45 000 visites par jour, 1 700 000 visites par mois [5]). Le raisonnement est limpide (lire l'article de Dr Dupagne pour les détails).
UnAirNeuf.org n'ira pas jusqu'à s'auto-censurer et à ne plus faire mention de ce que nous considérons être des gri-gris pharmaceutiques : il nous reste encore beaucoup à faire pour 'dénormaliser' cette approche médicale si médiocre, onéreuse et éventuellement toxique. Mais symboliquement, la censure du Baclofène sur Atoute.org pourrait nous y autoriser.
La cigarette électronique recommandée en usage hospitalier ?
Si nous reprenons les arguments du Dr de Beaurepaire, la cigarette électronique devrait faire partie des options permises en tabacologie hospitalière. Quel spécialiste osera franchir le Rubicon et s'exposer aux foudres non du Sénat romain mais de la sectaire OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à Genève, dans l'intérêt bien compris des patients ? Nous ne manquerions pas de l'en féliciter.
Car il ne fait plus aucun doute, parmi ceux qui savent de quoi ils parlent, que la cigarette électronique s'avère utile dans la cessation du tabagisme. Si cet usage n'est pas sans risque a priori, aucun signalement d'effet scondaire néfaste n'a été rapporté depuis 2006 et probablement des millions d'utilisateurs. Or le risque à fumer un mois supplémentaire est comparable à celui de vapoter A VIE la cigarette électronique d'après certaines simulations. Pour la santé des patients, ce dispositif gagnerait à être autorisé au plus vite.
Mais le "scandale" du baclofène comme le titre Dr de Beaurepaire devrait de se reproduire. Tant qu'un industriel de la cigarette électronique n'alignera pas quelques millions sur les tables de l'AFSSAPS, sans compter les dessous de table généreusement distribués aux experts concernés, ce dispositif n'obtiendra pas d'homologation médicale. Et il n'existe pas de véritable leader industriel, la production est atomisée. Il semble difficile de sécuriser la propriété intellectuelle d'un dispositif innovant, au demeurant très simple. On peut évidemment regretter cette impasse administrative.
L'option de modifications de la législation
Il reste l'espoir que la cigarette électronique soit un dispositif d'aide au sevrage tabagique, que tout le monde le sache, sans qu'administrativement cette revendication soit illégale.
Il suffit d'un amendement à l'article L.5121-2 du code de la Santé publique. L'article L.5121-2 précise [depuis le 22 juin 2000] que sont considérés comme médicaments les produits présentés comme supprimant l'envie de fumer ou réduisant l'accoutumance au tabac.
Il est en effet peu connu dans le grand public que la définition d'un médicament est de nature légale et non technique. Ce qui soigne une maladie est un médicament. Or il a été décidé, sous l'influence bienveillante des lobbys qui ne pensent qu'à la santé des fumeurs évidemment, que fumer est une maladie. Tout ce qui permet de cesser de fumer est réputé être un 'médicament', norme à laquelle s'applique une réglementation tatillonne (normalement).
Si UnAirNeuf.org prend un malin plaisir à citer les gri-gris les plus improbables, de la racine de Kudzu aux tisanes à sucer en passant par les pois chiche grillés [6], sans oublier les forums d'entraide comme l'excellent Atoute.org, c'est pour montrer la stupidité de cette revendication concernant les aides à l'arrêt du tabagisme. Il n'y a que les lobbys pharmaceutiques, représentant les gri-gris de nicotine... pharmaceutique, à prétendre qu'ils peuvent tenir cette position, comme Gbagbo éructant sur son trône. La santé ne vaut rien, seule la maladie rapporte : fumer est une maladie pour ceux qui en tirent profit. Il semble que le public ait compris cela, l’affaire en cours du Mediator n’étant que la prémisse de beaucoup d’autres inéluctables.
Le scandale en France est que les gri-gris de nicotine pharmaceutique, à l'utilité quasi nulle, soient la seule option qu'un médecin puisse officiellement recommander sans risquer des pénalités professionnelles.
- La lecture d'Allen Carr ? Devrait être interdite (par le Pr Dautzenberg en personne [7]) !
- Forumer sur Atoute.org ou autre ? Pas bien !
- Acupuncture ? Non recommandé !
- Vapoter la cigarette électronique ? Dangereux ! Etc.
Mensonges éhontés que tout cela. L'article L.5121-2 mérite d'être annulé.
Le temps est venu de démédicaliser les prestations
Les intérêts de la médecine conventionnelle n'ont vraiment plus rien à voir avec ceux des personnes qu'elle est censée soigner. Médecine inefficace, si l’on considère la croissance de un million de fumeurs en France entre 2005 et 2010 [8].
L'option logique, la plus simple finalement est, comme le demande Patrick Peretti-Watel, de démédicaliser la prévention du tabagisme [9]. Il suffit de cesser de considérer que fumer est une maladie et que les seules personnes compétentes pour prendre en charge le tabagisme soient les docteurs en médecine.
Références
- Le baclofène : une énigme et un scandale
Renaud de Beaurepaire, Le Courrier des addictions (12) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2010 (pdf)
- Team awarded $7.5 million to identify potential drug candidates to treat nicotine addiction
EurekAlert.org, 15.12.2010
The grant from the National Institutes of Health (NIH) will fund research focused on finding novel positive modulators for GABAB receptors that have the potential to become treatments for nicotine addiction.
- Le baclofène : traitement de l´alcoolodépendance ?
- Usage du Baclofène chez l’alcoolique - Au delà du "pour ou contre"
- Statistiques du site Atoute.org (mise à jour 2010)
- Cf. les 42 articles de la catégorie "Gadgets" de UnAirNeuf.org
- La méthode Allen Carr doit être interdite (Dautzenberg)
La France peut/doit-elle devenir un pays non-fumeur ? Radio Campus Paris, 15.11.2010
- Bilan de Roselyne Bachelot : la consommation de tabac est en hausse de 1.8% sur les cinq dernières années
- Patrick Peretti-Watel & Jean-Paul Moatti, Le principe de prévention (Paris, Seuil, 2009), p. 97.