Une équipe dirigée par Michael Siegel, professeur de médecine préventive à Boston (USA), vient de publier une étude sur l’efficacité de l'aide à la cessation du tabagisme par la cigarette électronique [1] :
Electronic Cigarettes As a Smoking-Cessation Tool (ahead of print)
American Journal of Preventive Medicine ; Am J Prev Med ; 40(4), 2011
Un tiers des utilisateurs affirment avoir cessé de fumer à six mois de l’achat du dispositif. Ceci est appréciable.
Cette étude va être critiquée
Cette étude sur l’efficacité de la cigarette électronique comme aide à la cessation du tabagisme va être critiquée. Et les possiblités en sont nombreuses effectivement.
- La première critique est qu’il ne s’agit pas du suivi d’une cohorte de cobayes acceptant, comme cela est l’usage dans les études contrôlées, de participer à une expérience. Le taux de réussite est certainement beaucoup plus faible : seulement 4,5 % des personnes sondées ont répondu à l’enquête par courrier électronique. Il est probable que les personnes ayant témoigné sont les plus satisfaites de leur achat : cela renforce la pertinence de leur décision (bonne pour eux). Il est impossible de connaître l'efficacité réelle.
- D’autres critiques détaillées ont été publiées [2, 3]. Elles ne remettent pas en cause l’honnêteté des chercheurs (M. Siegel est quelqu’un d’assez rigoureux), mais elles méritent d'être prises en compte. Pas d’euphorie svp ! Il faudra d’autres études, menées avec des protocoles plus précis, pour mieux évaluer l’efficacité de la cigarette électronique pour l'arrêt du tabac.
Trois limites à la recherche sur la cigarette électronique
Nous pouvons en outre pointer trois limites essentielles à la recherche :
- Il ne sera jamais possible de prouver que la cigarette électronique est sans risque.
- La cigarette électronique ne convient pas à tout le monde
- On ne peut étudier les effets à long terme des vaporisateurs
1°) Il ne sera jamais possible de prouver que vapoter est sans risque
Les tabacologues acoquinés avec Big Pharma et autres lobbys anti-fumeurs réclament à cor et à cri de prouver que la cigarette électronique est sans risque. Ce ne sera jamais possible, c’est une impasse théorique. Il s'agit avant tout d'insinuer qu'il pourrait y en avoir.
On pourra savoir si ce dispositif est risqué une fois que tous ses utilisateurs seront décédés, dans quelques décennies. Il est proprement impossible d’imaginer un protocole d’étude prouvant l’innocuité d’un produit, quel qu’il soit.
Qu’il nous soit permis de rappeler aux promoteurs des produits chimiques que tout médicament est potentiellement un produit dangereux, pour certaines personnes, à certaines doses. La nicotine pharmaceutique est notoirement létale, à une dose similaire à la strychnine [4]. Toute la nicotine purifiée du commerce provenant du tabac, sa qualité dans les cartouches de vaporisateurs peut a priori n’être pas plus nocive que celle des produits labélisés 'médicament' par les agences de certification.
2°) La cigarette électronique ne convient pas à tout le monde
La deuxième remarque, provenant de notre petite expérience familiale avec des proches ayant testé ce dispositif, est que la cigarette électronique ne convient pas à tout le monde. Certains deviennent ‘fana’ du gadget, d’autres la laissent dans un tiroir très vite. Avant de tirer des conclusions générales sur l’efficacité de l’usage du produit, il sera nécessaire d’étudier dans quelle mesure le dispositif est effectivement utilisé. Ceci peut varier considérablement suivant les utilisateurs, leur âge ou leur sexe, les marques, les modèles, les recharges, etc.
Si les machines à fumer ont permis une standardisation des mesures relatives la cigarette de tabac, la créativité des concepteurs de cigarettes électronique semble inentamée : des nouveautés apparaissent chaque mois. Dès lors, il sera impossible d’obtenir autre chose que des données anecdotiques. Les scientifiques se basant sur les preuves (EBM par ex.) rejeteront cela avec mépris, notamment parce que les protocoles scientifiques statistiquement solides impliquent un nombre de volontaires impossibles à rassembler dans une période de temps ad hoc. Il faudra se contenter d’observations dans la vraie vie. Ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain : la science expérimentale ne traite qu'une minuscule partie des phénomènes qui nous environnent et nous conditionnent. Les méthodologies psychologiques, sociales, anthropologiques, et d'une façon générale les méthodologies des Sciences Humaines et Sociales sont à envisager.
3°) On ne peut étudier les effets à long terme des vaporisateurs
La nocivité potentielle de l’inhalation de la vapeur des vaporisateurs est un souci légitime. Les enquêtes montrent qu’il n’y a pas a priori lieu de penser que la cigarette électronique, utilisée comme palliatif pendant une durée limitée, cause des risques pour la santé. Et s’il y a des risques, il sont de l’ordre de 1 % des risques de la continuation du tabagisme.
La réduction du risque est un argument utilisé pour justifier l’usage de gommes à la nicotine, même pendant des durées dépassant l’année ou le lustre (5 ans). La nicotine pharmaceutique a été mise sur le marché sans connaître les effets à long terme : pour étudier les effets à long terme des vaporisateurs (avec ou sans nicotine d’ailleurs) il y faut des volontaires, ce qui est évidemment une impossibilité expérimentale autant qu'éthique.
La cigarette électronique apparaît toutefois plus sûre que les traitements médicamenteux Champix° et Zyban°
Ce que l’on sait, c’est qu’il n’y a encore eu aucun signalement d’effet secondaire indésirable. À ce titre, la cigarette électronique est considérablement moins dangereuse que les traitements médicamenteux de prescription à base de varénicline (marque Champix° de Pfizer) ou de buproprion (marque Zyban LP° ou Wellbutrin de GSK) : ces traitements restent sous surveillance en pharmacovigilance des années après leur introduction. Qu’un produit soit potentiellement dangereux ne suffirait donc pas à justifier son interdiction…
Il n’est pas légitime de suspecter la cigarette électronique, pour laquelle aucun risque n’est avéré.
Il est légitime par contre de réexaminer le rapport Bénéfice/Risque de la varénicline, comme s’y emploie actuellement l’AFSSAPS, en espérant que sa nouvelle direction fasse le grand ménage dans les conflits d’intérêts des experts sollicités pour travailler sur la question. Nous y reviendrons dans un prochain article [5].
Références
- Electronic Cigarettes As a Smoking-Cessation Tool (ahead of print pdf)
American Journal of Preventive Medicine ; Am J Prev Med ; 40(4), 2011
"The 6-month point prevalence of smoking abstinence among the e-cigarette users in the sample was 31 %. Of respondents who were not smoking at 6 months, 34.3 % were not using e-cigarettes or any nicotine-containing products at the time." - Unhealthful News 40 - The unhealthful news about e-cigarettes could fill a book (hmm...)
Ep-ology, 09.02.2011 - A politically incorrect assessment of the new e-cigarette study,
Tobacco Harm Reduction: News & Opinions, 10.02.2011 - L'article Nicotine de Wikipedia précise que sa dose létale 50 ou DL50 (dose de substance causant la mort de 50 % d'une population) pour les hommes est de 0,88 mg·kg-1. Ceci correspond pour une femme de 50 kg à 44 mg de nicotine : moins d'un paquet de cigarette y pourvoirait largement. Heureusement une bonne partie n'est pas inhalée en fumant.
- Champix : le jeu en vaut-il la chandelle ? Le Pr Molimard pose la question qui fâche
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