Suivons le fil de nos lectures recommandées avec le deuxième livre de Robert Molimard : Petit manuel de Défume.
Nous en publierons quatre extraits puis nous oserons une critique.
Et les médicaments ?
Le premier rêve du fumeur est de s'arrêter tout en continuant. Il souhaiterait revenir à cet état béni de l'adolescence, où il savourait chaque semaine une ou deux cigarettes clandestines avec des copains, mais sans ressentir le moindre manque.
Il voudrait pouvoir fumer uniquement quand cela lui ferait plaisir. Avoir une consommation contrôlée à un niveau qui lui semblerait raisonnable, mais sans la contrainte d'exercer ce contrôle. Il connaît quelques fumeurs qui parlent avec passion du plaisir que leur apporte un bon cigare, et qui oublient de fumer pendant trois semaines. Il a essayé, mais avec lui ça n'a pas marché.
D'ailleurs si sa nature lui avait permis de pouvoir fumer, par snobisme, éventuellement pour le plaisir, par provocation ou pour ne pas se singulariser dans un milieu de fumeurs, s'il n'avait simplement pas été dépendant, son problème serait depuis longtemps réglé. Il n'aurait même pas besoin d'exercer un contrôle. Cela se serait fait tout seul.
Faute d'appartenir à cette catégorie bénie, il rêve donc d'un médicament qui lui permettrait de continuer à fumer en réduisant le risque à le faire. Il devrait supprimer le besoin de prendre ces cigarettes automatiques dont il n'a que faire, mais lui laisser le plaisir de savourer à sa guise celles qu'il apprécie.
Le deuxième rêve, lorsqu'il a sans succès tout essayé pour réduire sa consommation, qu'il a compris qu'il lui faudrait y renoncer et que la seule issue est d'abandonner définitivement la cigarette, ce rêve est que cela se fasse sans douleur, sous anesthésie, comme maintenant chez le dentiste, et progressivement.
Dans notre civilisation moderne, tout tend à se résoudre par des médicaments. Un problème = un médicament. Malgré la question classique et sa réponse
"Combien de temps faut-il pour guérir un rhume ?
Bien traité 8 jours. Non traité une semaine",
on n'ose plus faire sans médicament. On est constipé ? Un laxatif. On est anxieux ? Un tranquillisant. On dort mal ? Une petite pilule le soir. Et quand on craint de mal supporter un médicament, une pilule homéopathique. Il n'y a rien dedans, mais le nom fait savant, il y a de la pub à la télé… et ça marche. Qu'il serait facile de ne plus fumer si un médicament vous débarrassait à jamais de ce besoin impérieux de prendre une cigarette. Comme on se sentirait libre, si l'on ne sentait plus le manque !
La nicotine calme un peu ce besoin. On fume moins intensément les cigarettes qui en apportent beaucoup. On fume plus intensément et davantage de légères, et l'on en retire ainsi autant de nicotine, et certainement d'autres produits importants. Ceci parce que leur tabac est le même que celui des cigarettes fortes. Il contient autant de nicotine. Le truc formidable qu'ont inventé les fabricants de tabac, c'est de percer de tout petits trous au laser dans le papier au niveau du filtre. Quand la machine prend la bouffée standard de 35 cm3 toutes les minutes, si 25 cm3 sont de l'air de la pièce qui rentre par ces trous, elle n'aspire que 10 cm3 de fumée. Pas étonnant qu'on dose moins de nicotine et de goudrons dans ce qu'a aspiré la machine. C'est qu'on peut désormais légalement imprimer sur le paquet. Comme le fumeur n'est pas une machine, rien ne l'empêche de prendre des bouffées plus grosses, de les prendre plus souvent, de les inhaler plus profondément.
Le cas de la nicotine est tout à fait ambigu. Si comme veulent le faire admettre les fabricants de gommes ou timbres, elle expliquait totalement la dépendance au tabac, si elle en était LA drogue, elle ne serait pas plus un médicament du tabagisme que la morphine n'est un médicament de l'opiomanie. Ce serait simplement donner au toxicomane sa drogue. Etant donné la puissance de l'addiction au tabac, que l'on peut mesurer à la quantité d'argent qu'il soutire des poches des plus pauvres, ce serait une drogue effroyable. Mais son intérêt serait grand, car elle permettrait de se passer de ce qui est le plus grand danger du tabac : la fumée.
Heureusement cependant que la nicotine n'a pas la puissance du tabac. Le chewing-gum, les timbres (patches), les pastilles ou les inhaleurs diminuent effectivement un peu le besoin de fumer dans les premières semaines de l'arrêt. Ils permettent à certains de ne pas reprendre une cigarette sous la pression du manque dans les tous premiers jours de l'arrêt, et de commencer à apprendre à gérer les situations-signal. Leurs chances de succès s'en trouvent augmentées, car après quelques semaines de traitement ils sont un peu armés pour résister aux tentations lorsqu'ils arrêtent de prendre de la nicotine. Mais les résultats au bout d'un an ne sont guère brillants. Ils varient selon les études, entre 15 et 40 % de succès. Au mieux, les produits à la nicotine doublent les chances de succès par rapport aux placebos qui n'en contiennent pas. C'est curieux pour une substance considérée comme unique responsable de la dépendance. Si l'on donnait des chewing-gums ou des inhaleurs à morphine ou héroïne pour désintoxiquer les fumeurs d'opium, on aurait vraisemblablement plus de chances de succès, et surtout ils en deviendraient dépendants. Or personne ne devient dépendant de la nicotine pure, ne devient accroc des timbres. Si, après avoir arrêté de fumer, quelques uns continuent à mâcher ou à sucer de la nicotine pendant plus de quelques semaines, à peu près autant sucent des cachous ou mâchent de simples chewing-gums, par habitude.
= O =
Référence
Petit manuel de Défume - Se reconstruire sans tabac ; Robert Molimard ; Paris, De Borée (2011) ; 6,09 €.
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