Voici le deuxième extrait suite au premier du livre de Robert Molimard : Petit manuel de Défume.
J'ai peur de grossir
Tout le monde est d'accord, arrêter de fumer fait grossir. Encore une peur d'arrêter. Pas vitale, mais si importante, en particulier pour les femmes, sous la pression des modèles de mode. Selon une étude américaine, les hommes ont pris 2,8 kg, les femmes 3,8 kg en 10 ans. On précise que c'est parce que les fumeurs sont plus maigres, et ne font que retrouver à l'arrêt du tabac le poids de ceux qui n'ont jamais fumé.
Ce dernier point cependant est contesté. Une étude finlandaise montrait en 1999 qu'à en juger par l'indice de masse corporelle, on ne trouvait aucune différence entre les fumeuses et les femmes qui n'avaient jamais fumé. Chez les hommes, cela dépendait du niveau d'éducation. S'il était bas, les fumeurs étaient plus minces. S'il était élevé, ils étaient plus gros.
L'indice de masse corporelle tient compte de la différence de taille. Il est clair qu'un géant est en général plus lourd qu'un nain, sans être pour autant plus gros.
Cet indice, c'est P/T2, c'est-à-dire le poids en kg divisé par le carré de la taille en mêtres. Au dessus de 25, c'est un début d'obésité.
Etudier les jeunes est plus intéressant, car l'effet du tabac est plus pur : ils viennent de commencer à fumer, ils n'ont pas encore de maladies liées au tabac qui peuvent faire maigrir. Ainsi une étude sur 3000 collégiens de Londres n'a trouvé aucune différence de poids entre les fumeurs et les non-fumeurs. Pire, une étude écossaise sur 9000 sujets des deux sexes de 15 à 24 ans a trouvé au contraire que les fumeurs étaient plus gros, et que la moitié des femmes fumeuses étaient en surpoids, avec un indice de masse corporelle supérieur à 25.
Ceux qui arrêtent de fumer semblent donc différents des fumeurs et des non-fumeurs de toujours. Voici le résultat d'un sondage récent fait sur le forum d'atoute.org. Il confirme la plupart des enquêtes à ce jour :
Arrêt de la cigarette et prise de poids | |||
+1 kg | 16 | 6,30% | |
+2 kg | 25 | 9,84% | |
+3 kg | 25 | 9,84% | |
+4 kg | 25 | 9,84% | |
+5 kg | 23 | 9,06% | |
+6 à +10 kg | 54 | 21,26% | |
+11 à +20 kg | 22 | 8,66% | |
Plus de 20 kg | 6 | 2,36% | |
Je n'ai pas grossi | 38 | 14,96% | |
J'ai maigri | 20 | 7,87% | |
Votants: 254. Source forum Atoute.org (2005) |
On prend donc effectivement du poids lorsqu'on arrête de fumer. Jusqu'à 2 à 3 kg, ce n'est pas dramatique. C'est même dans la fourchette des variations normales, qui font que certains ont maigri. On peut donc dire que le poids n'a pas fait vraiment problème pour la moitié des gens. Mais ce qui est curieux est que cette prise de poids n'est pas obligatoire, et qu'elle est très variable. Cela ne cadre pas avec l'idée simple que la nicotine fait brûler des calories. Elle devrait faire plus ou moins maigrir tout le monde, et tout le monde devrait plus ou moins reprendre son poids à l'arrêt. Pourquoi aussi tant de différences ? Prendre plus de 10 kg signifierait-il qu'on les aurait eus si l'on n'avait pas fumé? Cela devrait se traduire dans la comparaison entre fumeurs et non-fumeurs de toujours !
Je vois trois explications, dont vous pourriez tirer bénéfice :
- l'effet de la nicotine sur la régulation de la glycémie ;
- l'habitude ;
- arrêter par la contrainte.
Première explication : l'effet de la nicotine sur la régulation de la glycémie
En premier, l'effet de la nicotine. Elle augmente la glycémie (niveau du glucose, c'est à dire du sucre dans le sang), plus rapidement que ne le ferait le petit déjeuner. Quand la glycémie est basse, cela déclenche une fringale et peut provoquer des malaises hypoglycémiques. Mais si l'on n'a plus de cigarettes, le seul moyen de lutter contre l'hypoglycémie est de manger un peu plus, en particulier des sucreries. Ce sont peut être ceux là qui prennent beaucoup de poids, et quand ils s'en aperçoivent, c'est aussi pour eux une bonne raison pour reprendre la cigarette.
Si vous avez tendance à allumer très tôt une cigarette le matin; si vous avez des fringales avec des petits malaises tant que vous n'avez pas fumé, vous faites peut-être partie de ces fumeurs hypoglycémiques. Vous pouvez certes en parler à votre médecin. Il vous fera sans doute doser la glycémie (à jeun et sans avoir fumé), d'autant que ces signes peuvent traduire un diabète débutant.
Mais le remède est simple : il faut que vous souteniez le niveau de votre glycémie, mais en évitant qu'elle monte trop rapidement.
- Prenez un petit déjeuner sans sucre (café au lait, thé) avec tartines de pain, de préférence complet, avec du beurre plutôt que de la confiture.
- Evitez de grignoter entre les repas. En ca
- s de fringale dans la matinée, fuir les boissons sucrées, bannir les bonbons, et tout ce que l'on appelle des sucres rapides, surtout avec un estomac vide. Croquez plutôt une olive, une noix, mangez à la rigueur un œuf dur, un yaourt nature !
- Aux repas de midi et du soir, préférez des sucres lents qui se trouvent dans les lentilles, les légumes secs. Mangez de la salade, des légumes avec des fibres qui retardent la digestion et l'absorption. Ne prenez les fruits, ne cédez à la tentation d'une pâtisserie et d'aliments sucrés qu'à la fin du repas principal. Mêlés aux autres aliments, les sucres rapides seront absorbés moins vite.
Surtout, si vous voulez ne pas prendre trop de poids, ne compensez pas l'arrêt de la cigarette par une augmentation des boissons alcoolisées. Divisez plutôt par deux votre consommation habituelle.
Deuxième explication : l'habitude
La deuxième explication, c'est l'habitude. Même si vous n'êtes pas un hypoglycémique, vous avez l'habitude de porter une cigarette à la bouche. La montée de glycémie est ressentie comme partie du bien-être qu'elle vous apporte. Alors vous vous ferez un pain-beurre, vous croquerez un bout de chocolat, sucerez un bonbon … Attention aux bonbons sans sucre, ou aux sodas édulcorés au cyclamate ou à la saccharine. Le simple goût sucré dans la bouche fait fabriquer de l'insuline et donnera des fringales. Prenez plutôt un cachou, sucez un bâton de réglisse (n'en abusez pas cela peut donner de l'hypertension), sucez un bout d'allumette, un chewing-gum un peu usagé, éventuellement à la nicotine…
Troisième explication : arrêter par la contrainte
Je crois beaucoup à la troisième explication. C'est cette dame dont je parle dans "La Fume", qui me téléphone pour m'annoncer qu'elle ne fume plus déjà depuis un an. Elle dit combien elle est heureuse de n'avoir pas pris un gramme, alors qu'elle avait pris 10 kg lors d'une précédente tentative. C'est mon ami Jean-Louis, assez maigre, qui vient me voir se plaignant d'une douleur dans la poitrine, anxieux, terrorisé par la crainte d'un infarctus. Après avoir vu l'électrocardiogramme, je le rassure, c'est une banale névralgie intercostale. De peur, il arrête pourtant de fumer. Il prend 13 kg. Après 8 ans d'abstinence, il recommence à fumer et perd ses 13 kg. Quelques années plus tard, en regardant un match à la télévision, il ressent à nouveau une forte douleur de poitrine. Cette fois, c'était un infarctus. Pas très important. Il se remet très vite, et arrête de fumer : dans les années qui suivent, son poids ne change absolument pas, il reste sec et maigre.
Ces deux cas ont en commun que c'est la même personne qui avait pris tant de poids lors d'un premier arrêt, et qui ne grossit pas la seconde fois. Cela ne cadre pas avec la théorie d'un simple effet de la nicotine. J'y vois le résultat d'une évolution psychologique. Lors de la première tentative, ils n'étaient pas mûrs pour arrêter. Ils se cherchaient une bonne raison valable de reprendre une cigarette, comme ceux qui deviennent irritables, énervés, odieux à la maison. Quand on est mûr pour arrêter, cela se fait dans le calme, sans conflit interne. Ils n'étaient pas au dernier stade de leur démarche d'arrêt. Même ne fumant plus, ils n'étaient encore que ce qu'on peut appeler des STOPPEURS. Ils n'arrivaient à ne plus fumer que grâce à une contrainte quasi-permanente sur eux-mêmes. Pour Jean-Louis, elle était d'origine extérieure. C'était d'évidence un arrêt forcé par la peur de l'infarctus. Et le tabac, qui le connaissait sur le bout des ongles, savait que la cuirasse avait un défaut. Que s'il lui faisait prendre 10 kg il finirait par craquer et reprendrait une cigarette. Il les prit. Et il craqua.
Tant qu'on n'a pas réglé ses comptes avec le tabac, on n'est pas encore un EX-FUMEUR. Si l'on arrête parce qu'on a peur, à cause de la pression de l'entourage, parce que le médecin vous l'a ordonné, cet arrêt n'est pas la conséquence d'un travail personnel sur soi-même. C'est un emplâtre imposé, dont on ne songe qu'à se débarrasser. L'augmentation de poids apparemment générale à l'arrêt du tabac me semble uniquement provenir des stoppeurs, pas des ex-fumeurs. Un ex-fumeur ne refume JAMAIS. Il ne prend pas de poids.
= O =
Référence
Petit manuel de Défume - Se reconstruire sans tabac ; Robert Molimard ; Paris, De Borée (2011) ; 6,09 €. Les sous-titres sont un ajout de UnAirNeuf.org.
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