Ceux qui lisent Unairneuf.org savent que nous sommes catégoriquement opposé à l'usage d'aides médicamenteuses ou autres gri-gris pour aider au "sevrage tabagique". Cet article présente une série d'arguments à partir d'une recherche d'un psychologue américain célèbre.
Dan Ariely est un chercheur d'origine israélienne spécialisé dans l'étude des comportements irrationnels de l'homme. Nous l'avions déjà cité dans un article sur l'impact du prix d'un médicament fictif (placebo) : Pourquoi les substituts nicotiniques chers devraient être plus efficaces. Tout le monde sait que l’échec du fumeur à cesser le tabagisme défie la logique, sa volonté et la science médicale : Ariely nous aide à comprendre pourquoi.
La vidéo ci-après est un commentaire de son dernier livre Upside of Irrationality, qui est un succès de librairie phénoménal aux USA actuellement. Son sous-titre est : Le bénéfice inattendu de défier la logique.
La capacité à s'adapter à la souffrance est variable suivant les individus
Sévèrement brulé, Dan Ariely a été confronté à une souffrance extrême. Dans cette vidéo en anglais, il montre que les personnes ayant été accidentées résistent mieux à la douleur, dans l'expérience en laissant tremper leur bras dans de l'eau brulante. Non pas que ces blessés ressentent moins la douleur, mais la résistance à la souffrance, c'est-à-dire la capacité à lui donner un sens et à faire avec, s’est développée. Deux expérimentateurs soumis à une douleur aiguë chronique atteignent des records.
L'interprétation de Ariely est - en substance - que les circonstances de la vie nous dotent d'une capacité de résistance inversement proportionnelle aux épreuves que l'on a enduré. En d'autres termes, faire face à la souffrance, c'est-à-dire au sentiment et à la sensation de ressentir une douleur, est quelque chose que l'homme sait développer.
Savoir résister à l'envie de fumer
Résister à une envie de fumer obéit à cette règle. Gérer les envies ("craving" en anglais) est la clé pour ne pas rechuter suite à une cessation du tabagisme. Contrairement aux allégations des vendeurs de gri-gris pharmaceutiques (ou non), les fumeurs nous disent que le problème de l'arrêt du tabac n'est pas le "sevrage" qui dure au plus quelques semaines, mais la capacité à ne pas reprendre des semaines ou des années plus tard.
L’expérience de Dan Ariely démontre que la capacité de chacun à faire face à une envie est variable. Nous sommes enclin à penser que l'envie n'est que marginalement liée à la dépendance. La dépendance se mesure (s'observe) par la souffrance que le fumeur éprouve lorsqu'il a envie de tabac et se le refuse, soit par volonté soit parce que son environnement le lui interdit. Plus la contrainte à s'abstenir de fumer est forte, plus l'envie ressentie l'est certes, c'est comme l'envie d'uriner ! Mais il convient de remarquer que l'intensité d'une envie ne croit pas avec le temps à y faire face, c’est seulement sa fréquence qui augmente. En d’autres termes, une envie est un signal, une information, qui se répète avec une fréquence croissante. Mais si l’on est capable de faire face à UNE envie occasionnelle sans aide chimique, on est également capable de résister à la suivante… puis à la suivante et à toutes celles qui suivront.
Sans souffrance et sans aide médicamenteuse, les arrêts "miraculeux" de fumeurs et de fumeuses sont légion. Le cas typique est celui de la jeune femme qui apprend qu'elle est enceinte : cette information déclenche fréquemment un arrêt immédiat qui durera sans difficulté jusqu'à l'accouchement. Et tous les tabacologues doivent avoir connu le cas de gros fumeurs (par ex. trois paquets par jour depuis des années !) qui ont arrêté instantanément - sans éprouver de difficulté notable : malgré un score de dépendance élevé (sur l’échelle de Fagerström par ex.), cesser de fumer ne leur a pas causé de problème notable. La plupart des consommateurs de tabac, neuf sur dix environ, cessent le tabagisme sans aide. Il est fâcheux que la médecine, se focalisant sur les cas compliqués, généralise faussement ses constats à l’ensemble des fumeurs, notamment dans ses recommandations de prise en charge [1]. Répétons-le : l’immense majorité des fumeurs est capable de se libérer du tabagisme sans adjuvant. C'est une bonne nouvelle.
Distinguer souffrance mentale et douleur physique
La raison peut être liée à ce que nous démontre Ariely : faire face aux envies peut se faire de façon aisée, sans effort notable dès lors que l'on à donné un sens utile à son envie de fumer. Tout fumeur régulier, petit ou gros, jeune ou vieux, femme ou homme, continuera à éprouver des envies occasionnelles, jusqu'au terme de sa vie peut-être. Ne pas rechuter est fonction de sa capacité de ne pas céder à une quelconque de ces envies : une autre bonne nouvelle, c'est qu'il est avantageux de s'y préparer mentalement.
Les aides au sevrage du tabac sont des leurres qui favorisent la rechute
Que voulons-nous dire par "donner du sens à l'envie de fumer" ?
C'est reconnaître que :
- les envies surviendront forcément, à l'occasion ; que personne ne peut y échapper dès lors qu'elle a fumé régulièrement ;
- les envies de fumer ne créent pas de douleur. Où avez-vous mal alors ? Nulle part ! Tout juste pour certain(e)s, une sensation de gratouillis au niveau du foie ;
- inversement, on peut souffrir sans douleur ressentie (par ex. si votre patron vous refuse une augmentation ou que votre partenaire vous fait des noises...) ;
- la souffrance est une fabrication mentale. L’idée de souffrir entraîne la peur de la rechute et cette peur est auto-amplificatrice. On a peur d'avoir peur.
La raison de fond pour laquelle Unairneuf.org est si critique envers les approches assistées avec des médicaments est que ces produits fabriquent le doute de la réussite et laissent croire qu'il y a une douleur quand il n'y en a pas : ceci contribue à inhiber l'apprentissage à gérer ses envies. Ces béquilles n'ont pas d'effet durable (à l'horizon d'un an [2]). Ce sont éventuellement d'efficaces palliatifs au début mais pas un traitement améliorant pas les chances de réussite d'un arrêt durable.
Ces pseudo "médicaments" :
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sont donc des leurres,
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favorisent la rechute en permettant d’esquiver le geste mental consistant à gérer les envies,
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ne traitent pas la prévention de la récidive.
Pour tous les fumeurs sans complication, il est préférable de s'en passer. Se matraquer avec de la nicotine est sans effet durable, d’autant que la nicotine seule n’est pas la cause de la dépendance [3]. Les premiers jours du sevrage peuvent entraîner dans certains cas des phénomènes liés à l’accoutumance : insomnie, constipation, etc. Les personnes en bonne santé peuvent surmonter ces syndromes transitoires, en attendant que ça passe comme pour un gros rhume ; les autres pourront bénéficier d'aides diverses, pharmaceutiques ou pas.
Les professionnels de santé auraient avantage à reconnaître que soulager les effets physiques et psychiques éventuels durant les premiers jours d'abstinence de tabac ne sont pas liés à la fréquence d'envies, qui - répétons-le - ne créent aucune douleur sensible dans le cas du tabagisme.
Références
- Les recommandations médicales concernant les aides à l'arrêt sont contestables
- Les patchs ne gagnent pas le match
- Neurobiologie des addictions exposée par Jean-Pol Tassin
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