Dans un premier article, Dr Kamal Chaouachi répondait à nos questions :
1°) Comment caractériser un consommateur régulier de narguilé ?
2°) Dans quelle mesure pourrait-on conseiller de se rabattre sur un usage exclusif du narghilé pour se libérer de sa dépendance au tabagisme ?
Puis nous lui avons demandé alors pourquoi les anti-fumeurs profèrent-ils autant de contre-vérités sur le narghilé ? La polémique contre ce que nous nommons la patascience s'aggrave avec ces questions :
- Dans quelle mesure la consommation de narguilé conduit-elle au tabagisme ?
- Quelle est la probabilité de devenir dépendant au tabagisme après avoir fumé le narghilé ? Une fois ? Six fois ? Cent fois ?
Nous apprenons - références à l'appui - que la dépendance au narguilé (au tabamel aromatisé) est une mystification !
________
UnAirNeuf.org : Dans quelle mesure la consommation de narguilé conduit-elle au tabagisme ?
Des chercheurs anti-fumeurs s’évertuent en vain à démontrer que l’usage du narghilé conduit quasi-nécessairement à celui de la cigarette (théorie du tremplin) ; en anglais : « Hookah smoking is a gateway to cigarette use ».
Citons par exemple Bertrand Dautzenberg (Office Français du Tabagisme) et Jean-Yves Nau (collaborateur à la Revue Médicale Suisse et au journal Le Monde) dans leur « livre » à la page 58 et en caractères gras… [9, 10, 11] :
Le grand risque est que la chicha parvienne, progressivement, à se substituer à la cigarette ».
En effet, aussi bien l’industrie du tabac que l’industrie pharmaceutique courent un risque… Nombre de chercheurs anti-narghilé payés par l’OMS et affiliés au réseau Globalink (une organisation hermétique mondiale anti-fumeurs parrainée par l’industrie pharmaceutique) ont également publié des « études » financées par l’industrie du tabac [12-13] ! Même après de telles révélations, par moi-même et par le Pr Michael Siegel (Boston University), les auteurs ont tu cette source de financement, plutôt paradoxale pour des chercheurs anti-tabac. Il y a pire dans la violation de l’éthique de la recherche dans ce domaine.
Les revues scientifiques :
- Food & Chemical Toxicology (quatre études),
- Inhalation Toxicology (cf. Chaouachi K. Letter to Dr Donald Gardner datée du 7 décembre 2010 et correspondance en ligne du 16 décembre 2010, une étude) et,
- Atmospheric Environment (une étude, sur le « tabagisme passif » du narghilé)
et les groupes d’édition correspondants (Elsevier pour 5 études, et Informa Health Care pour 1 étude) ont considéré, soit explicitement (correspondance), soit par leur silence (après nos révélations), qu’un tel conflit d’intérêt ne posait pas problème (sic).
Il apparaît que Big Pharma et Big Tobacco, présentés comme concurrents, ont en fait un intérêt commun dans leur lutte, coûte que coûte, contre le narghilé :
- d’une part, l’industrie pharmaceutique désire commercialiser ses produits (timbres à la nicotine, Zyban, Champix, etc.) auprès des amateurs de narghilé et ambitionne de faire accepter que ces derniers soient considérés comme dépendants ;
- d'autre part, les fabricants de cigarettes perçoivent le narguilé comme une alternative concurrente à leurs produits créant, eux, une dépendance rapide.
Ces derniers mois, le flot de publications pseudo-scientifiques sur le narghilé - conforté par des décisions de justice arbitraires aberrantes et de nature prohibitionniste [14], amplifié par la propagande si caractéristique des grands médias - BBC, Al-Jazeera, New York Times, entre autres - a atteint des sommets de violence contre les faits sans que jamais des excuses ne soient présentées, même après révélation des brèches déontologiques. Récemment, un centre de santé britannique a révélé au journal The Guardian que la BBC a publié un article sur la « shisha » qui était en fait mensonger [15].
Les parallèles avec la guerre en cours depuis six mois contre la Libye sont saisissants. Par exemple, des enquêtes approfondies (notamment par l’équipe de Michel Collon) ont montré comment le chiffre fabriqué des 6000 « victimes du kadhafisme passif » visait à justifier la protection des civils par l’imposition de sanctions criminelles [16-18]. Ce chiffre frappant de 6000 semble doté d’une certaine vertu symbolique ces dernières années puisqu’un rapport européen statistiquement manipulé annonçait « 6000 victimes du tabagisme passif » afin de justifier la la mise en place de mesures quelque peu liberticides pour la protection des civils non-fumeurs [19]. Bref, les mêmes techniques de propagande ou de guerre psychologique utilisent les mêmes effets.
__________
UnAirNeuf.org : Quelle est la probabilité de devenir dépendant au tabagisme après avoir fumé le narghilé ? Une fois ? Six fois ? Cent fois ?
Malgré le grand nombre d’études, généralement pseudo-scientifiques, sur le narguilé, il n’existe à ce jour aucune donnée évaluant le risque de dépendance. Par contre, les témoignages anthropologiques dans le cadre d’enquêtes de terrain menées par des chercheurs sérieux et indépendants ont tôt révélé que la majorité des usagers n’étaient pas dépendants.
En dépit de leurs nombreuses limites, les enquêtes épidémiologiques montrent qu’environ 80 % des usagers de narghilé ne sont pas dépendants [20]. Les données d’enquêtes journalistiques (dans des salons de thé) confirment cette proportion.
Que ce soit après « une fois », « six fois », ou « cent fois », les mêmes réponses tombent :
« Je ne suis pas dépendant » ou encore,
« Je suis resté un mois sans fumer sans jamais ressentir le moindre manque ».
Toutefois, il est très important de souligner que nous parlons ici de la forme moderne du narghilé, celle dont l’usage connaît un engouement mondial : le narguilé servi avec du tabamel (moassel en langue arabe, c'est-à-dire miellé). Il s’agit d’un mélange de tabac (environ 30 %) et de mélasse (environ 70 %) auquel s’ajoutent un ou des humectant(s) comme le glycérol et des essences de fleurs ou de fruits. La fumée résultant du chauffage de ce produit est principalement composée d’eau et de glycérol, ce que les études anti-fumeurs ont laissé sous silence pendant une dizaine d’années.
Les principaux autres produits consommés sont :
- le tumbak (tabac pur lavé et tassé dans le fourneau) et
- le jurak (sorte de tabamel non aromatisé et très fort en nicotine, tout comme le tumbak).
Ces derniers, quasi inexistants en dehors de l’Asie et de l’Afrique, se fument un peu comme le cigare : les volumes et la fréquence des bouffées sont peu élevés. Ces produits peuvent engendrer une dépendance mais la recherche des chercheurs anti-fumeurs anglo-saxons [21] s’intéresse peu à la santé publique des populations d’Asie et d’Afrique. Si c'était le cas, on trouverait des études spécifiques de ces produit dans le flot continu de publications depuis dix ans.
Par ailleurs, les chercheurs anti-fumeurs ont généralisé une confusion par l’utilisation nominaliste et anti-anthropologique d’un terme « waterpipe » (en un seul mot), supposé décrire de manière uniforme toutes les pipes à eaux du monde en dépit de leur grande diversité matérielle et culturelle, avec des conséquences en termes de composition chimique de la fumée. L’emploi systématique de ce terme - véritable code de guerre sociologique et éditorial - a même conduit à l’invalidation d’études ne reflétant pas la réalité.
La quasi absence de dépendance au narghilé (servi avec du tabamel, permettez-moi d’insister) s’explique par plusieurs facteurs :
1 - Facteurs sociaux, culturels et psychologiques
Les facteurs sociaux, culturels et psychologiques jouent : les interactions, le rituel, les dimensions liées à l’exercice de la parole (donc en rupture avec une fume continue), les moments ludiques d’une situation (« faire des bulles ») et, surtout, le temps long (une séance de fume dure aisément une heure). Tous ces aspects ont été analysés en détail dans une thèse de doctorat dont a été tiré le livre Tout savoir sur le narguilé. Société, culture, histoire et santé [22] avant l’irruption de l’objet dans la post-modernité et ses dérives totalitaires.
Dans leurs tentatives de modélisation, les chercheurs anti-fumeurs se sont heurté à la difficulté de reproduire la fume en laboratoire avec des machines à fumer tirant par exemple une bouffée d’un demi-litre toutes les 17 secondes pendant une heure. Ils ont opté pour une approche réductionniste en faisant une moyenne (en fait, un savant calcul intégral) d’un comportement humain couvrant une heure entière… Or, de telles méthodes appliquées à la cigarette - dont la consommation ne dure que quelques minutes - ont été vivement critiquées par les tabacologues les plus respectables pour distorsion de la réalité de la fume. Enfin, et c’est très important, les cobayes fumeurs se savaient observés, ce qui implique un biais dû à une sur-ritualisation (faking good behavior).
J’ai fait remarquer dans une critique détaillée que l’intervalle moyen entre deux bouffées - c'est très important en tabacologie parce que la nature et quantité des goudrons dépendent directement de ce paramètre - pouvait énormément varier en fonction du contexte anthropologique et de l’effet de l’environnement sur le fumeur [23]. Ainsi, Lalwani, un chercheur étatsunien en psychologie sociale, a découvert récemment que le biais de nombreuses enquêtes et études de terrain peut être diminué par la prise en compte de l’occupation cognitive. Lalwani a indiqué comment une simple musique de fond peut rendre les résultats plus réalistes [24]. Or, les fumeurs de narghilé sont bien connus pour bavarder durant une heure entière, ou écouter de la musique ou encore regarder la télévision. J’ai fait remarquer comment, dans une expérience menée par les mêmes chercheurs anti-fumeurs, et dans laquelle les volontaires fumaient en regardant un programme audio-visuel, l’intervalle moyen entre deux bouffées triplait soudainement… Ce fait démontre qu’un fumeur de narghilé n’est pas un robot. Il ne fait pas que fumer continuellement, avec les conséquences thermochimiques que l’on sait.
2 - Facteurs pharmacologiques
Même des études menées par les chercheurs anti-fumeurs mandatés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont montré que qu’une séance de narghilé (au tabamel) de 45 minutes ne délivrerait au fumeur pas plus de nicotine dans le sang qu’une seule cigarette (1,7 fois après correction du modèle pharmacocinétique). Très récemment, d’autres chercheurs anti-fumeurs ont montré que le niveau de nicotine plasmatique est jusqu’à quatre fois inférieur à celui de fumeurs de cigarettes (11 mg/ml contre 41 mg/ml). Les mesures de cotinine urinaire (résultant de la dégradation de la nicotine) ont confirmé ces constats. L’hypothèse d’un risque élevé de dépendance (leitmotiv des chercheurs anti-fumeurs) met en relief une de fois de plus le caractère paradoxal et absurde des équations du type « 1 narghilé = 10 à 200 cigarettes » issues de la littérature de ces mêmes chercheurs [20].
Suite à une publication sur le risque minimal de dépendance causé par la cigarette (une seule bouffée peut-elle être rendre un adolescent dépendant ?)[25], j’ai posé la même question au Harm Reduction Journal, sous forme d’un commentaire en ligne il y a plusieurs mois, en usant de ces arguments. À ce jour, le rédacteur en chef ne veut ni approuver ni refuser ce commentaire, peut-être par peur d’un débat. Quoi qu’il en soit, il s’agit de censure : on peut constater que les chercheurs anti-fumeurs s’intéressent de plus en plus à ce journal dans lequel ils publient régulièrement des études anti-tabac (sur le Snus° notamment et aussi sur le narguilé). Ces dernières sont bourrées d’erreurs très graves : elles ne sont relues que par des pairs eux-même anti-fumeurs, ce qui entraîne une confusion générale au sujet du narghilé. Je vous renvoie à deux « études » au format Globalink [26-28] publiées par une équipe jordanienne dans ce même journal appelant, en l’absence de base scientifique crédible, à des interdictions et encore des interdictions…
En résumé, la dépendance au narghilé (au tabamel aromatisé) est une mystification.
_________________
Références
- Ben Saad H. Le narguilé et ses effets sur la santé. Partie I : le narguilé, description générale et propriétés [The narghile and its effects on health. Part I: The narghile, general description and properties]. Rev Pneumol Clin 2009 Dec;65(6):369-75. Doi : 10.1016/j.pneumo.2009.08.010
- Snowdon, Chris. Shisha Madness: BBC and Department of Health accused of "gross exaggeration" in shisha story. 25 Aug 2009.
- Action on Smoking and Health (ASH). Shisha 200 times worse than a cigarette say Middle East experts. 27 March 2007 (prepared by Martin Dockrell) - Sub-heading: “Three leading experts from across the Middle East have warned that excluding “shisha bars” when England goes smokefree on July 1 could worsen the grave inequalities in health that already affect ethnic minorities.”
- Chaouachi K. A Critique of the WHO's TobReg "Advisory Note" entitled: "Waterpipe Tobacco Smoking: Health Effects, Research Needs and Recommended Actions by Regulators. Journal of Negative Results in Biomedicine 2006 (17 Nov); 5:17. Doi:10.1186/1477-5751-5-17
- Chaouachi K. Narghilistan. A Hot Summer in ““Waterpipe”” Blitzed Lands. Knol 2010 (Sep 25).
- Hayes, Patrick. Big trouble in ‘Little Cairo’. Spiked online 2009 (3 Sep)
- OFT (Office Français du Tabagisme ; président et spécialiste de la chicha : Bertrand Dautzenberg). Brochure sur la chicha, 2007.
- Snowdon, Chris ; A Global Prison ? An interview with Dr Kamal Chaouachi. Velvet Glove, Iron Fist 2009 (8 Apr 2009)
- Dautzenberg, Bertrand & Nau, Jean-Yves : Tout ce que vous ne savez pas sur la chicha. Paris, Editions Margaux-Orange/OFT (Office Français du Tabagisme), 2007.
- Chaouachi K. An open letter against plagiarism and plagiarists. Tabaccologia 2009; 1: 46-7 [pdf]
- Zaga V. Plagiarism in biomedical sciences: a bad habit that needs to be rooted out [Il plagio in campo medico-scientifico: un malcostumbre da estirpare]. Tabaccologia 2009;4:5-7. (pdf)
- Chaouachi K. Big Tobacco & Big Pharma Against "Oriental" Hookah Outsider:Evidence about One Undeclared Funding Source of WHO Shisha (““Waterpipe””-Coded) Antismoking Research. Knol 2011 (25 Mar).
- Siegel M. Dishonest Disclosures? Six Articles on Health Effects of Hookah Use Fail to Mention that Research Sponsor Was Directed by a Tobacco Industry Executive. The Rest of the Story, 10 March 2010
- Prohibition du narghilé (hookah) dans l’état de l’Utah, USA.
- Smoking shisha: how bad is it for you? It is growing in popularity but some experts say a single shisha session is the same as smoking 200 cigarettes. Huma Qureshi, The Guardian; Monday 22 August 2011
“In March, the BBC published a news story claiming that GPs in Leicester "are seeing an increase in teenagers with health problems linked to shisha pipe smoking". But Leicester PCT [Primary Care Centre] now says the story was erroneous; while it maintains the number of teenagers in the city smoking shisha is on the rise, it says GPs have not confirmed an increase in treating patients with health problems caused directly by shisha.”
- Cédric Rutter. 6000 morts avant l'intervention ? L'histoire étrange du bilan des victimes de la répression de Kadhafi. Investig'Action, l'info décodée.
- Investig'Action, l'info décodée. Libye ? Vous vous êtes encore fait avoir ? Oui, encore !
- M. Hardeep Singh Puri, représentant permanent de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU: Où sont les 6.000 victimes de Kadhafi ? Le Grand Soir, 28 mars 2011
- Molimard R. Le rapport Européen Lifting the SmokeScreen: Etude épidémiologique ou manipulation ?, Rev Epidemiol Sante Publique. 2008 Aug;56(4):286-90 [résumé en anglais]
- Sajid KM, Chaouachi K, Mahmood R. Hookah smoking and cancer. Carcinoembryonic Antigen (CEA) levels in exclusive/ever hookah smokers. Harm Reduct J 2008 24 May;5(19). Doi:10.1186/1477-7517-5-19
- Chaouachi K. Narghilé, tabagisme, cancer et nécessité d’une anthropologie médicale critique. Revue de Pneumologie Clinique 2010 (27 Oct)
- Chaouachi K : Tout savoir sur le narguilé. Société, culture, histoire et santé [Eng.: Everything about Hookahs. Society, Culture, Origins and Health Aspects]. Paris: Maisonneuve et Larose, 2007, 256 pages, colour. ISBN : 978-2-7068-1954-4
- Chaouachi K. Assessment of narghile (shisha, hookah) smokers’ actual exposure to toxic chemicals requires further sound studies. Libyan Journal of Medicine 2011, 6: 5934. 5 pages. Published Online 11 May 2011. Doi:10.3402/ljm.v5i0.5934
- Lalwani AK. The distinct influence of cognitive busyness and need for closure on cultural differences in socially desirable responding. Journal of Consumer Research 2009; Doi: 10.1086/597214
- Dar R, Frenk H. Can one puff really make an adolescent addicted to nicotine? A critical review of the literature. Harm Reduction Journal 2010, 7:28. Doi:10.1186/1477-7517-7-28 (online: 10 Nov 2010)
- Dar-Odeh N, Bakri FG, Al-Omiri MK, Al-Mashni HM, Eimar HA, Khraisat AS, Abu-Hammad SMK, Dudeen AAF, Nur Abdallah M, Alkilani SMZ, Al-Shami L, Abu- Hammad OA. Narghile (water pipe) smoking among university students in Jordan: prevalence, pattern and beliefs. Harm Reduction Journal 2010, 7:10. Doi:10.1186/1477-7517-7-10
- Chaouachi K. Jordanian Study on Narghile (Hookah, Shisha) Tobacco Smoking:Errors and Publication Bias. Knol. 2010 (Dec 4).
- Dar-Odeh NS, Abu-Hammad OA. The changing trends in tobacco smoking for young Arab women; narghile, an old habit with a liberal attitude. Harm Reduction Journal 2011, 8:24 (30 August 2011)
[À suivre :
4 - Êtes-vous fumeur régulier de cigarette ou de cigare ?]
À lire sur le même sujet