Nous avons sollicité l’avis de Dr Chaouachi sur le narguilé : permet-il une pratique du tabagisme à moindre risque ? Auteur de publications et d’ouvrages dont la référence Tout savoir sur le narguilé, le spécialiste francophone du narghilé a accepté de répondre aux questions de Unairneuf.org : nous l'en remercions.
Ce long interview fera l’objet de quatre articles. Ce premier billet répond à deux questions :
1°) Comment caractériser un consommateur régulier de narguilé ?
2°) Dans quelle mesure pourrait-on conseiller de se rabattre sur un usage exclusif du narghilé pour se libérer de sa dépendance au tabagisme ?
Déclaration de liens d’intérêt de Dr Chaouachi (15.09.2011)
Dr Kamal Chaouachi déclare n’avoir ni n’avoir jamais eu aucun lien d’intérêt ni avec l’industrie pharmaceutique au sens du décret 2007-454 du 25 mars 2007 (Art. R. 4113-110 ; thérapies de « substitution » de la nicotine), ni avec les industriels du tabac.
Parce qu’il avait, très tôt, constaté que la grande majorité des substances toxiques présentes dans la fumée du narghilé - à commencer par le monoxyde de carbone (CO) - provient, à 90 %, du charbon utilisé pour le chauffage du mélange inhalé, Kamal Chaouachi a participé en 2005 à la conception et au développement d’un dispositif fonctionnant avec une source de chauffage alternative (électricité, puis gaz), dans une visée de réduction des risques. Il a quitté ce projet (droits d‘invention compris) le 15 juin 2005, date à partir de laquelle il s’est engagé dans une série de publications critiques, notamment sur le rapport de l’OMS sur le narghilé.
Dès lors ses recherches et publications scientifiques ont été autofinancées. Avec une certaine ironie Kamal Chaouachi souligne que s’il avait hurlé avec les loups contre le narghilé, comme le font la plupart des auteurs d’articles sur le sujet qui bénéficient de l’appui de l’industrie pharmaceutique, laquelle soutient le gros des recherches sur le tabagisme à travers le monde, il aurait eu l'opportunité d'occuper des postes prestigieux : au sein de Ministères de la Santé, comme expert près l’OMS, etc. Une chercheure de l’INSERM en France, lui dit un jour que contester le dogme en vigueur - comme il l’a fait notamment dans sa critique du rapport de l’OMS - équivalait à un suicide… Il a opté pour l’intégrité scientifique dans l’indigence et l’incertitude plutôt que le déshonneur scientifique et la duperie systématique dans un confort matériel assuré par l’argent.
________
UnAirNeuf.org : Comment caractériser un consommateur régulier de narguilé ?
En dehors de l’Afrique et de l’Asie, toutes les études ces dix dernières années montrent des consommateurs fumant en moyenne un à deux narghilés au tabamel - qui est un mélange de mélasse, d’humectants et d’essences pour les arômes avec 30 % de tabac - par semaine. Cela fait, dans l'année, entre 52 et 104 pipées.
En termes techniques, on compte en narguilé-années : 1 NA= 1 narguilé par jour pendant un an. La consommation moyenne se situe entre 0,14 narguilé-année (1 jour sur 7) et 0,28 NA (2 jours sur 7). Sur une période de 10 ans, cela fait un cumul entre 1,4 NA et 2,8 NA.
Une étude indépendante menée en Tunisie (sur des fumeurs réguliers d’un produit de type jurak, non pas de tabamel) révèle des individus - certains anciens fumeurs de cigarette - ayant une carrière caractérisée par 14 NA (médiane) [1]. Dr Helmi Ben Saad précise : « Il est recommandé de définir comme fumeur régulier de narguilé ceux ayant une consommation supérieure ou égale à cinq narguilé-année ».
Je pourrais également citer le cas d’une étude indépendante en Syrie (sur des fumeuses « lourdes » de tumbak, non pas de tabamel) révélant des femmes fumant jusqu’à plusieurs narguilés par jour des années durant. A ce niveau, les pathologies pulmonaires (BPCO) semblent rejoindre celles des fumeurs de cigarettes.
________
UnAirNeuf.org : Dans quelle mesure pourrait-on conseiller de se rabattre sur un usage exclusif du narghilé pour se libérer de sa dépendance au tabagisme ?
Comme le rendement en nicotine du narghilé au tabamel est faible, les fumeurs réguliers de cigarette sont souvent déçus par le narghilé. On peut en voir certains poser le tuyau sur la table et s'allumer une cigarette, avant même la fin d’une séance…
Quelques études menées en Asie ont montré que - comparativement aux niveaux de nicotine (et de cotinine) observés chez les fumeurs de cigarettes - ceux de fumeurs de certains produits (jurak, tumbak) n’étaient pas aussi tranchés que dans le cas du tabamel. Bref, on pouvait conclure de ces études que les fumeurs de cigarettes pourraient « y trouver leur compte » de nicotine s’ils pouvaient y dédier le temps nécessaire : être rentier ou chômeur et fumer jusqu’à dix pipées quotidiennes de jurak ou tumbak. Ces individus existent mais… dans les régions plutôt rurales d’Asie et d’Afrique. Ils intéressent peu la recherche anti-fumeurs ciblée sur les pays solvables développés. Par ailleurs, les produits en question ne sont pas disponibles dans nos contrées.
Même si cet aspect a très souvent été exagéré, il ne faut pas oublier qu’un narghilé fonctionne avec du charbon incandescent et que sa fumée contient, par conséquent, plus de monoxyde de carbone que celle d’une cigarette. Dans le cas d’un narghilé quotidien fumé dans un endroit ventilé les choses peuvent toutefois se valoir puisque le monoxyde de carbone est évacué assez vite par l’organisme [2].
Vous me voyez insister en permanence sur l’indépendance des recherches. En effet, pour ne prendre que l’exemple du benzo[a]pyrène, une substance cancérigène, une étude récente a trouvé des niveaux vingt fois inférieurs à ceux divulgués par l’équipe de l’US-American University of Beirut, équipe de référence pour l’OMS, financée par l’industrie pharmaceutique et celle du tabac.
Une méthode scientifiquement très malhonnête pratiquée par les chercheurs anti-fumeurs et relevant du domaine du cirque et des illusionnistes consiste à comparer quantitativement :
- une séance de narghilé (au tabamel) d’une heure environ avec,
- la consommation d’une (1) seule cigarette (de l’ordre de 5 minutes).
Les résultats comparatifs sont présentés de telle manière que le lecteur - souvent naïf même quand il s’agit d'un professionnel de santé - croit que l’on a comparé un usage de 20 à 40 cigarettes par jour à celui d’un narghilé par jour (ou par semaine) et que cela est valable pour toutes les formes de pipes à eau du monde. Le substantif « waterpipe » est caractéristique de ce nominalisme : dans la réalité, les usages varient grandement.
Il conviendrait aussi d'étudier, dans le cadre de recherches indépendantes et sérieuses, l'impact des hydrocarbures polycycliques aromatiques (HAP) principalement produits par le charbon et celle des aldéhydes, principalement dus aux glucides présents dans le tabamel. Des moyens simples de réduire leur risque mériteraient d’être connus.
________
Références
- Ben Saad H. Le narguilé et ses effets sur la santé. Partie I : le narguilé, description générale et propriétés [The narghile and its effects on health. Part I: The narghile, general description and properties]. Rev Pneumol Clin 2009 Dec;65(6):369-75. Doi : 10.1016/j.pneumo.2009.08.010
- Snowdon, Chris. Shisha Madness: BBC and Department of Health accused of "gross exaggeration" in shisha story. 25 Aug 2009.
Suite de l'interview
2 - Pourquoi les anti-fumeurs profèrent-ils autant de contre-vérités sur le narghilé ?
3 - « La dépendance au narguilé est une mystification »
4 - Êtes-vous fumeur régulier de cigarette ou de cigare ?
(L'ensemble de l'interview est publié ici)
À lire sur le même sujet
Commentaires