Tous les ans se tient la grand messe des tabacologues orthodoxes. Cette année elle sera dite à Nancy, les 17 & 18 novembre 2011 [1]. Apprécions le copieux programme...
Dé-désinformation
Devant la recrudescence de l'épidémie de contestation du dogme médical concernant les traitements pharmaceutiques (dont modestement la contribution de Uairneuf.org), nos dévoués professeurs de médecine ont décidé de proposer une session sur la désinformation dans le domaine du tabagisme.
Comment reconnaître une information utile ?
Méthodes pour approcher une relation cause à effet |
Pr Ivan Berlin, Paris |
Qu’est ce qu‘un placebo ? Son intérêt et son éthique |
Pr Henri-Jean Aubin, Paris |
Comment lire un article d’une façon critique ? |
Dr Carole Willi Clair, |
Une session suivante adresse la question : comment lire les publications relatives au tabagisme de façon critique ?
Revues systématiques : critères d'une méta-analyse de qualité |
Dr Carole Willi Clair, |
Structure d'une étude originale correcte |
Pr Jacques Prignot, Belgique |
Analyse statistique d’une étude en tabacologie |
Dr Jacques Jamart, Belgique |
Motus sur les liens d'intérêt
Nous y ajouterons volontiers une suggestion : commencer la lecture d'une publication financée par la publicité des laboratoires (c'est-à-dire quasiment toutes) par la fin : les déclarations de liens d'intérêt des auteurs. C'est dommage que ceci ne soit pas à l'ordre du jour. Cela éclaire la vision des dépendances intellectuelles éventuelles.
Une caste au dessus de la loi commune ?
Espérons que les intervenants professionnels de santé prendront soin de déclarer leurs liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique comme l'exige la loi française. Chacun peut alors apprécier s'il y a conflit ou pas avec les propos tenus : l'intervenant concerné est la personne la moins légitime pour ce faire ! Les intervenants étrangers, suisses et belges notamment, ne seront pas poursuivis suite à un accord avec le Ministère chargé des migrations mais sont aussi invités à faire part de leurs liens.
Malheureusement, il semble que nos experts médicaux aient du mal à comprendre, à reconnaître puis à accepter qu'ils sont "labo-tomisés" [2]: à force de fréquenter les industriels, ils ne font plus la distinction entre la science et le marketing. Leur esprit critique a été "capté" par les industriels qui financent leur carrière au mieux de leurs intérêts économiques [3]. Comme le poisson rouge dans son bocal qui ne sait pas qu'il nage dans l'eau, les tabacologues sont incapables de réaliser qu'ils sont prisonniers de leurs geôliers pharmaceutiques.
Robert Molimard, pionnier historique de la tabacologie en France, raconte comment il a été mis à l'écart de la Société de Tabacologie qu'il avait fondée dans les années 1990 parce qu'il s'opposait aux largesses des industriels vendeurs de patchs, de gri-gris à la nicotine et autre Champix.
À la limite, on peut discuter de l'avantage qu'il y a à bénéficier de subsides douteux : ne soyons pas puristes. Par contre, là où cela pose problème, c'est quand les "experts tabacologues" s'avèrent incapables de comprendre la nécessité - votée par la repésentation nationale - de déclarer leurs liens d'intérêt, de reconnaître la prégnance de l'investissement consacré par les laboratoires à ce que leur parole soit Big Pharma compatible : faveurs, cadeaux, accès aux médias, etc. [4]
Cacher ses liens d'intérêt est illégal, et c'est mensonger. Nous verrons si, avec le temps, les coups de Trafalgar comme celui du Mediator finiront par convaincre ces experts corrompus (éventuellement à l'insu de leur plein gré, depuis leurs premières années de Faculté, il ne s'agit pas de juger ici) que leur parole est peu crédible, même sous les atours d'un jargon scientifique à la Diafoirus. Toute recherche répond à une intention, et l'intention de ceux qui financent l'essentiel des recherches en médecine est de vendre des produits ou des prestations. La santé est devenue un immense business, pas très transparent, et plus dépendant d'une logique commerciale que de bien-être des bénéficiaires. Tromper le public sur les intérêts en jeu, en les cachant ou en les minimisant, induit une risque sanitaire global supplémentaire.
Prenons un exemple, le cas des liens d'intérêt du Pr Dautzenberg, président de l'association Office de Prévention du Tabagisme (OFT), qui se targue de "former" les intervenants du service (public) de Tabac Info Service. Rien que ces dernières années, c'est un véritable inventaire à la Prévert, des collaborations soigneusement cachées durant des années, et peut-être des décennies. Les risques de dépendance ne s'additionnent pas, et encore moins se soustraient avec l'augmentation de leur nombre : les liens se multiplient. Comment les médias et les autorités de santé peuvent solliciter et rémunérer les avis d'un homme lige de l'industrie pharmaceutique et de son marketing effréné ?
Nancy Rigotti, vedette américaine
Le congrès 2011 est lancé par une séance plénière sur le "Futur de la tabacologie" avec une intervention de Nancy Rigotti. Nous avions parlé d'elle à l'occasion d'une recherche qu'elle a dirigée concernant les effets secondaires de la varénicline (marque Champix de Pfizer) avec des patients souffrant de problèmes cardiovasculaire [5, 6]. Sa conférence est intitulée, avec une déplorable erreur de traduction [7] :
Traitement de la dépendance au tabac : vers une approche compréhensive et intégrée au système de santé
Nancy Rigotti est une des figures marquantes de la tabacologie aux États-Unis. Elle est Professeure à la faculté de médecine de Harvard, et directrice du Tobacco Research and Treatment Center (centre de recherche et de traitement du tabagisme) de l’hôpital général du Massachusetts.
N'attendons pas d'elle qu'elle fasse la promotion de stratégies non médicales : ce n'est pas dans ses compétences. Le fait qu'elle traite de dépendance "au tabac" plutôt qu'au tabagisme, qui est le comportement de consommation du tabac, nominalise et réduit la question. On va probablement l'entendre parler de biologie, de produits, de traitements pharmaceutiques, de médicalisation de la prise en charge plus que de psychologie et/ou de prise en compte globale du comportement de dépendance.
Au cas où Mme Nancy Rigotti omettrait de signaler, comme ses collègues européens dans leur immense majorité, qu'elle a des liens d'intérêt avec Big Pharma, voici quelques mentions relevées sur internet, en anglais dans le texte :
"Nancy Rigotti has received payment and travel expenses from Pfizer, which makes a smoking-cessation medication, and Free and Clear, which provides telephone-based counselling for smoking cessation. She has received research grants from Pfizer, Sanofi Aventis and Nabi Biopharmaceuticals for studies of approved and investigational smoking cessation products." Source CMAJ 2009
Dr. Rigotti does occasional consulting for GlaxoSmithKline (source : BMJ 2007), and has received a research grant and honoraria for lectures from GlaxoSmithKline (BMJ 2004)
She previously served as president of the Society for Research in Nicotine and Tobacco (SRNT)... supported by GlaxoSmithKline, Johnson & Johnson/McNeil AB and Pfizer (source SRNT).
Nous ne voudrions surtout pas minimiser l'influence de Pr Rigotti sur la tabacologie médicalisée : une véritable dealer d'opinion. Dans le monde de la pharmacine, son Curriculum Vitae inspire l'admiration et le respect. Rappelons toutefois que sa vision est exclusivement médicale alors que la dépendance au tabagisme n'est pas qu'une affaire de nicotine, de varénicline ou d'autres gri-gris que les firmes pharmaceutiques nous concoctent. Il est effarant de constater la prétention d'un pilier de la pharmacine à proposer une approche "globale" de l'aide à la cessation du tabagisme : il s'agit de tabacologie en vase clos plutôt, et cela peut être très nocif pour les fumeurs.
Une manifestation financée par Big Pharma (comme d’habitude)
Ce congrès annuel représente un gros travail pour les organisateurs. En contrepartie, c'est l'occasion pour eux de remplir leur escarcelle.
Cette année, trois symposiums sont prévus, sauf erreur ou omission :
Symposium 17h30-19h00 |
Sponsor |
Le rôle du tabacologue au sein de la communauté médicale : comment faire tomber les barrières ? |
Johnson & Johnson |
Le cannabis, un facteur de risque particulier de la BPCO ? |
Boehringer Ingelheim/Pfizer |
Quelles relations entre tabagisme et troubles psychiatriques ? |
Pfizer |
Selon le programme des organisateurs, chaque symposium est facturé de 12 000 à 15 000 €. Ce qui pose problème, c'est que cette générosité a une contrepartie : la critique des produits de ces industriels est interdite. Motus par exemple sur les effets psychiatriques de la varénicline, ou sur ses maigres résultats. Comment une société "savante" peut-elle accepter de s'auto-censurer ainsi, au détriment de ses missions et de l'éthique ?
Pourquoi la santé, à la différence d'autres secteurs où les savoirs évoluent rapidement aussi comme l'informatique, serait-elle condamnée à subir une censure permanente des fournisseurs sur les formations et les échanges d'information ? Cela ne peut que finir droit dans le mur...
La tabacologie veut aussi profiter de l’argent public
Les tabacologues médicaux se sont fixé comme objectif de faire accepter le tabagisme comme une nouvelle pathologie. Les fumeurs deviennent statutairement des "malades", des déviants qu'il faut soigner éventuellement contre leur gré. La mainmise de la corporation médicale sera complète quand elle pourra faire payer son coût à la collectivité. C'est la raison pour laquelle vous pourrez comprendre pourquoi le remboursement des produits pharmaceutiques est stratégiquement important. C'est l'objet d'une session vendredi 18 novembre :
Arguments médico-économiques pour le remboursement intégral du traitement du sevrage tabagique en France |
Benjamin Cadier, Paris |
Faut pas se gêner, il n'y a qu'à piocher dans la caisse... Rappelons que les substituts nicotiniques ne sont pas plus efficaces quand ils sont gratuits : il semble même que ce soit le contraire (cf. les expérimentations de la CNAM en France) !
La dernière goutte : défense de rire !
Nos organisateurs zélés ont le sens de l'humour. Parmi les ultimes séances au programme, nous avons noté celle-ci, qui vaudra son pesant de cacahuètes :
Le traitement de la dépendance aux substituts nicotiniques |
Dr Daniel Garelik, Paris |
Les gommes de nicotine ont cette qualité d'en rendre les consommateurs dépendants [8]. On "soigne" le mal par ce qui entretient le mal ? Les consommateurs mal informés sont d'autant plus piégés qu'il vaut mieux pour eux rester dépendants des produits pharmaceutiques plutôt que reprendre cette satanée cigarette. Recyclage de dépendance et jackpot assuré !
Avertissement : l'abus de médicaments pour cesser de fumer nuit à la santé.
Références
- Congrès de la Société Française de Tabacologie - Tabacologie sans frontières, Nancy, 17 & 18 novembre 2011
- Lobotomisé, -ée, adj. et subst. (Celui, celle) qui a subi une lobotomie, section chirurgicale de la substance blanche d'un lobe cérébral, le plus souvent du cortex préfontal ayant pour objet d'interrompre certains circuits neuroniques`` (Méd. Biol. t. 2 1971).
Labo-timisé : qui a subi une immersion profonde dans la bulle pharmaceutique et ne se rend même plus compte que ses jugements en sont faussés. - Cf. les travaux de George J. Stigler, économiste américain qui reçut le « prix Nobel » d'économie en 1982 pour ses travaux sur la théorie de la capture, théorie économique de la réglementation.
- Cf. Le Pr Dautzenberg s'abstient de déclarer tout lien d'intérêt avec les entreprises du médicament proposant des aides à l'arrêt du tabac
- La varénicline (Champix) majore le risque d'effets cardiovasculaires graves
- Effets cardiovasculaires graves de la varénicline (champix) : mea culpa
- Si Nancy Rigotti a effectivement écrit en anglais "comprehensive", il aurait été judicieux de ne pas traduire en français par le faux-ami "compréhensif". Voici les acceptions de l'adjectif en anglais (source WordReference.com) :
*complet/-ète, détaillé (rapport, liste, formation)
* vaste (savoir)
* global (planning)
* d'ensemble (mesures)
Ainsi "a comprehensive insurance policy assurance" est une assurance tous risques (et pas souvent "compréhensive"). "Une approche globale et intégrée au système de santé" serait alors une traduction plus proche de la pensée de l'auteure... - Cf. Je ne fume plus mais je mâche ou La chanteuse Jessica Simpson révèle son addiction aux chewing-gums à la nicotine
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