Comment faire pour vivre avec notre souffrance ? Jean-Pierre Hamel, qui nous propose quotidiennement quelque citation à méditer, évoque aujourd’hui André Gide, commentant la correspondance de l’abbé Galiani avec madame d’Épinay :
« L’important n’est pas de guérir mais de vivre avec nos maux. »
On comprend que cette remarque vaut tout particulièrement lorsqu’on est atteint d’un mal incurable mais non foudroyant, comme une malformation cardiaque ou un diabète de type I. C’est en effet dans ce cas, lorsqu’on n’a pas vraiment le choix de rester ou non porteur de la maladie, qu’on peut se demander : Comment faire pour vivre avec notre mal ?
La première idée qui nous vient est une idée chrétienne : comme Pascal qui demandait à Dieu le bon usage des maladies (voir ici), ou plus simplement tous ceux qui voient dans les affres de l’agonie une épreuve pour le rachat de nos péchés.
On objectera qu’alors il ne s’agit pas de vivre avec nos maux mais de mourir avec eux. Est donc plus pertinente l’attitude stoïcienne, et ce sera la seconde idée qui nous vient.
Etre stoïcien, c’est considérer que tout ce qui se produit dans la nature est non seulement inévitable, mais qu’encore c’est une bonne chose et que nous devons l’accepter – et non pas seulement le subir : Sequi naturam, dit-on et ce n’est pas une position de passivité.
Je lisais récemment dans un ouvrage consacré à ces maladies mortelles – enfin, peut-être pas forcément, ou pas tout de suite : ce qui ajoute une note d’espoir au désespoir général – qu’un cancer doit être considéré comme ça, je veux dire qu’il est une partie intégrante de nous, qu’on ne doit pas en souffrir comme d’un corps étranger. Le cancer n’est pas moins toi que tes cellules saines (Emmanuel Carrère – D’autres vies que la mienne), voilà comme on apprend à vivre avec le mal qui nous ronge.
L’idée est sans doute que la souffrance vient non pas de la maladie, mais de la lutte que nous menons contre elle. Pourtant, c’est aussi une attitude inhumaine en ce qu’elle exige de nous d’aller contre notre instinct de survie. Mais c’est surtout une attitude qui implique le rejet d’une disposition naturelle, ce qui est un comble pour un stoïcien.
Nous connaissons en effet fort bien à présent qu’il existe une fonction qui, depuis la conception de notre organisme, élimine impitoyablement tout ce qui n’est pas de même nature que nous. C’est de notre système immunitaire que je veux parler : il refuse que nous vivions avec nos maux.
D’ailleurs, le Nobel de médecine est allé cette année à des chercheurs qui ont fait progresser les connaissances dans ce domaine, et en particulier qui ont mis en évidence le fait qu’un organisme vivant, dès sa naissance, est capable d’opérer une telle distinction entre ce qui lui appartient et ce qui est corps étranger. Il ne s’agit donc pas dans ce cas d’un « apprentissage » mais d’un dispositdonné avec la vie [1].
Quid de la souffrance due à la dépendance au tabagisme ?
Quand le tabagisme est devenu une contrainte, est-ce fatal ? Le tabagisme crée très vite une dépendance : il devient problématique de fumer “à sa guise”, de maîtriser sa consommation. Ceci instille une souffrance dont le fumeur désire s’affranchir. Il lui faut en général tousser un certain temps avant de réaliser qu’il a le choix qu’entre :
- réduire son risque avec des palliatifs (cigarette électronique, nicotine pharmaceutique, tabac oral, etc.) ou,
- s’abstenir complètement, absolument, à vie, d’inhaler la moindre bouffée de fumée de tabac ou bien,
- accepter la fatalité de sa dépendance.
L'option de réduction du risque conduit souvent - mais pas toujours - à l'arrêt au bout d’un certain temps supplémentaire. La corporation médicale, soucieuse de santé radicale, a opté jusqu'à présent pour recommander l’abstinence totale. Il s’agit d’un choix politique et économique, mais qui ne satisfait pas tous les fumeurs, comme en témoigne cette courbe des arrêts du tabac en fonction de l’âge [2] :
Proportion d'arrêt du tabac en fonction de l'âge au Royaume-Uni
Les fumeurs invétérés ayant échoué à arrêter ou déçus par des aides à l’arrêt inefficaces en concluent qu’il n’y a plus rien à faire : accepter de fumer jusqu’à ce que mort s’ensuive.
La dépendance est-elle une fatalité donnée avec la vie ou résulte t-elle d'un apprentissage ? Dans le premier cas, l'approche biologique sera potentiellement efficace ; et si la dépendance résulte d'un apprentissage, un dés-apprentissage sera à même de s'en libérer. Que constate t-on ?
L’arrêt du tabac résulte d’un apprentissage
Même si nous savons bien que l'empreinte de la dépendance restera indélébile, la cessation du tabagisme résulte plutôt d’une révélation et/ou d'un apprentissage : telle est la stratégie préconisée par Robert Molimard ou Allen Carr, l’hypnothérapie, la méditation de la pleine conscience, etc. dont Unairneuf.org a rendu compte. Mis à part les cas de fumeurs atteints de complications pathologiques (schizophrénie, diabète, etc.), cet apprentissage n’est problématique que parce que l'on se s'engage pas pour une méthode permettant de faire son chemin. Ce ne sont pas les solutions comme ci-dessus qui manquent.
L'approche biologique des produits réputés aider à l’arrêt n’a d’intérêt que dans la mesure où, par fainéantise ou par ignorance, l’on se refuse à apprendre pourquoi l’on fume et comment s’en défaire durablement. L’affranchissement du tabagisme ne relève pas de la biologie mais du mental : la biochimie ne joue que dans l’optique d’une réduction du risque. Si cela dépendait d’une réaction immunitaire héritée, on ne constaterait pas une telle courbe continue du retour à l’abstinence au fil des ans (cf. ci-dessus).
Si l’on vise l’affranchissement de la dépendance, l'apprentissage s’impose sous une forme ou une autre. Et la chimie n’y aide aucunement. Au contraire, elle permet au fumeur de survivre – bêtement ? – avec sa dépendance.
Références
- Jean-Pierre Hamel, Citation du 7 novembre 2011
- Source : West R, Fidler J (2011) ; Smoking and Smoking Cessation in England 2010: Findings from the Smoking Toolkit Study, p. 8 ; smokinginengland.info (pdf)