La nouvelle convention liant les médecins et l'Assurance Maladie a été signée le 26 juillet dernier par une majorité de syndicats professionnels. Elle introduit pour la première fois en France une prime financière annuelle aux médecins généralistes suivant des critères d’efficience économique pour la collectivité. Une telle incitation financière pourrait favoriser une prise en charge médicale plus systématique de l'arrêt du tabac. Il n'en a pas été convenu ainsi. Est-ce une occasion ratée ?
Nouvelle convention médicale avec intéressement à la performance
Cette nouvelle rémunération des médecins (en anglais « Pay For Performance », ou P4P) en vigueur le 1er janvier 2012 comprend vingt neuf objectifs, se rapportant :
- aux suivis des patients (pathologies chroniques comme le diabète et l'hypertension artérielle, neuf indicateurs),
- aux prescriptions (sept indicateurs) et,
- au système d’informatisation des cabinets médicaux
et suivis pour chacun par l'Assurance Maladie. Les débats font rage dans la corporation [1-3], notamment au sein des médecins libéraux, soucieux de défendre leurs intérêts et ceux de leurs patients, avant ceux - politiques et économiques - de l'Assurance Maladie. Un médecin généraliste parisien affiche ainsi dans sa salle d'attente :
"Vous appréciez que votre médecin se préserve des influences ? Vous avez raison. Soyez rassuré, je vais continuer.
C'est à ce prix que je rédige mes ordonnances avec l'esprit libre d'influences commerciales, dans votre seul intérêt. Je vais continuer en refusant la prime annuelle que l'assurance maladie allouera aux médecins qui suivront ses recommandations. Pour vous rien ne changera. Pour moi, la perte de revenu ne dépassera sans doute pas 5 % de mon chiffre d'affaires. C'est à ce prix que notre relation restera fondée sur la confiance. L'assurance maladie est un opérateur financier qui n'a pas à dicter ma conduite, d'autant que certaines des contraintes associées à la prime sont couteuses et néfastes pour votre santé.” |
Pas d'indicateur sur le tabagisme
Une publication a montré que la rémunération à la performance conduit les médecins à se concentrer sur les objectifs qui servent à mesurer leur "performance" et à délaisser les autres, non rémunérateurs. Comment s’en étonner ? Une application éventuelle de ce système (qui s'impose par défaut à moins d'un refus explicite) aurait été la prévention du tabagisme. Compte tenu des discours tenus par les autorités, la réduction de la prévalence du tabagisme aurait un impact significatif sur l'état de santé de la population, notamment au sein des publics défavorisés. Doit-on le regretter ?
L'action médicale en direction des fumeurs est-elle inopérante ?
Serait-ce une reconnaissance de facto que l'incitation financière en direction des fumeurs est inopérante ? En effet, une telle incitation se heurterait à quelques réalités têtues. En effet, allouer une prime aux fumeurs pour qu'ils s'engagent dans un arrêt du tabac puis restent abstinents ne se conclut pas par une majoration du taux d'arrêt. Ceci a été établi par des études aux USA [4] et une expérimentation en Écosse qu'Unairneuf.org a rapporté dans le passé [5].
Subventionner les professionnels de santé ne paye pas
Une revue systématique britannique vient de faire part d'un même résultat - décevant - du commissionnement des professionnels de santé [6].
Aider à la cessation du tabagisme, au delà des conseils évidents bien connus de tout le monde mais pouvant avoir un effet dans la bouche d'un professionnel de santé, est consommateur de temps. Or l'accompagnement d'un sevrage tabagique requiert environ quatre heures : c'est du moins l'investissement réalisé dans les tests cliniques pour l'autorisation de la varénicline [6].
Il est impossible aux médecins généralistes de ne pas succomber à un impératif de volume : leurs revenus sont en proportion directe du nombre de consultations. "Comment alors assurer la prestation autrement que par une bobologie plus ou moins améliorée ?" demande JFM, un médecin généraliste français dans un forum de discussion. Prescrire un adjuvant médicamenteux est loin de suffire dans le cas présent : d'ailleurs l'Affsaps, dans sa recommandation de 2003 précise :
« Le suivi et l’accompagnement psychologiques doivent toujours être associés à la prescription des médicaments du sevrage. »
Car il y a la difficulté propre aux dépendances : l'arrêt durable du tabagisme est très aléatoire, aidé ou non. Pour un fumeur qui arrête avec l'aide de son médecin, il est raisonnable d'en compter neuf autres qui échouent dans leur tentative passés douze mois. Ramené à un arrêt du tabagisme, le temps investi s'élève alors à 4 h x 10 = 40 heures. Soit une semaine ouvrée (sans compter les gardes !). Quel médecin de proximité, "spécialiste de médecine générale" avec une salle d'attente pleine comme un oeuf, va investir de son temps pour un résultat si peu concret à court terme ? Il serait difficile dans ses conditions d'instaurer des indicateurs reposant sur les résultats d'une prise en charge, mesurant l'efficacité pour le fumeur.
Lien avec des intérêts économiques et industriels
En pratique, il semble que les indicateurs retenus soient liés à une prescription durable de médicaments. On sait que passé un mois, les fumeurs rechignent le plus souvent à prolonger leur prise de substituts nicotinique ou autre traitement médicamenteux. Pour l'Assurance Maladie, l'impact économique potentiel est faible donc.
D'autres raisons doivent nous échapper et le tabagisme ne fera pas l'objet d'un suivi par l'Assurance Maladie. C'est sans doute mieux comme ça : qu'ils aient accepté ou pas ce mécanisme d'intéressement, les médecins n'auront pas d'intérêt particulier à stresser les fumeurs lors de leurs consultations.
Références
- "Paiement à la performance des médecins : en route vers le chaos", Atoute.org
- Le site les-medecins-qui-refusent-la-prime-secu.org
- Nouvelle convention médicale : pourquoi, contre toute logique, j'accepte la prime à la performance conventionnelle , Seulement de la médecine générale, 24.12.2011
- Tabagisme : de l'argent pour ne plus être accro ! in Brèves tabagisme 2009 #5
- Le National Health Service (NHS) écossais met un terme à un programme d'incitation financière à l'arrêt du tabac
- Cochrane Collaboration: The effect of financial incentives on the quality of health care provided by primary care physicians, 07.09.2011
- Champix est AR RI VÉ, hé hé, …
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