Determinants of Tobacco Use and Renaming the FTND to
the Fagerström Test for Cigarette Dependence
© Karl Fagerström, 2011 ; traduction française par UnAirNeuf.org
Quand fut mise au point la première version du test de Fagerström pour la dépendance à la nicotine (Tolerance Questionnaire, Fagerström, 1978) devenu ensuite le Fagerström Test of Nicotine Dependance (FTND ; Heatherton, Kozlowski, Frecker, Fagerström ; 1991), fumer n'était pas considéré comme une addiction.
La preuve que ce pourrait être le cas commençait néanmoins à se faire jour et certains chercheurs se sont appliqués à préciser l'importance de la nicotine dans l'habitude de fumer [NdT : nommée ci-après la 'fume'] et à informer le public à ce sujet. Ces recherches ont conduit à un changement profond dans la compréhension de la fume de cigarette et en 1988 le Surgeon General des États-Unis établit "une fois pour toutes" le rôle déterminant de la nicotine dans le tabagisme (Nicotine Addiction, Ministère américain de la Santé [U.S. DHHS], 1988).
Le rôle de la nicotine dans la dépendance ayant été établi, la communauté des chercheurs perdit de vue l’éventualité que d'autres facteurs déterminants puissent également être considérés. Mais il a été reconnu récemment que si la nicotine est le principal composant rendant addictive la fumée de tabac, elle n'est probablement pas la seule substance impliquée. À la lumière de ce qui est maintenant connu sur ce qui induit la dépendance au tabagisme, il semble opportun de proposer de rebaptiser le FTND « Test de Fagerström de dépendance à la cigarette » (FTCD). Les raisons en sont détaillées ci-après.
Le rôle prépondérant de la nicotine dans le tabagisme
La nicotine joue un rôle prépondérant dans la consommation du tabac. Sa présence est nécessaire pour induire une consommation durable de tabac, mais suffit-elle ? Le tabagisme semble créer une dépendance chez les usagers aussi - si ce n'est plus - rapidement que les autres drogues (DiFranza & Ursprung, 2010), la dépendance s'établissant à un niveau comparable à celui des drogues dites "dures" (U.S. DHHS, 1988).
La plupart des effets de la nicotine proviennent de ce qu'elle est absorbée dans les poumons, puis rapidement amenée par le circuit sanguin vers le cerveau et d'autres cibles potentielles. Les effets neurochimiques de la nicotine dispensée de cette manière font l'objet des principales recherches contemporaines. Cependant la nicotine peut aussi avoir des effets directs importants sur le système nerveux périphérique. Il a été montré que la nicotine stimule les terminaisons des nerfs sensitifs (Ginzel, 1973) : le fait d'inhaler stimule fortement les voies respiratoires. La nicotine de la fumée de cigarette agit d'abord sur les récepteurs des voies respiratoires supérieures et profondes, où elle provoque des actions réflexes, suivies par la stimulation des nerfs sensitifs du cœur, de l'aorte et de la région du sinus carotidien à mesure que le produit progresse (Ginzel, 1975). Des études du système respiratoire ont montré que le passage provoqué par la fumée de tabac dans la gorge (« hit ») semble rendre gratifiante l'inhalation de fumée de tabac (Levin, Rose, & Behm, 1990; Rose, Zinser, Tashkin, Newcomb, & Ertle, 1984). Les résultats d'expériences sur des rats suggèrent que cet effet activateur est obtenu par une stimulation nerveuse directe et rapide d'afférents périphériques vers, par exemple, le locus cœruleus (Comroe 1960; Tung, Ugedo, Grenhoff, Engberg, & Svensson, 1989).
Le niveau élevé de dépendance que génèrent la cigarette et le tabac est difficile à concilier avec l'idée que c'est uniquement une dépendance à la nicotine. Certains éléments de preuve pour cela sont résumés ci-après :
- Les animaux ne s'auto-administrent pas aussi volontiers la nicotine qu'ils le font de drogues "dures" comme les amphétamines, la cocaïne et l'héroïne (Villégier, Blanc, Glowinski, & Tassin, 2003).
- La nicotine est aussi un renforçateur relativement faible dans les études de laboratoire sur l'homme (Hughes, Rose, et Callas, 2000; Perkins, Gerlach, Broge, Fonte, & Wilson, 2001)
- Les fumeurs abstinents semblent préférer les cigarettes à très faible rendement en nicotine à des produits à plus fort dosage comme les gommes à la nicotine ; les cigarettes à faible rendement réduisent l'envie de fumer (Barrett, 2010; Buchhalter, Acosta, Evans, Breland, & Eissenberg, 2005; Donny, Houtsmuller, & Stitzer, 2007) et modifient l'occupation des récepteurs cholinergiques nicotiniques cérébraux (Brody et al., 2009). Ces effets peuvent être induits par ce qui est appelé le « hit » dans la gorge.
- Bien que la consommation de nicotine pharmaceutique soit une aide efficace pour cesser de fumer, son efficacité est modérée (Fiore et coll., 2008), même lorsque les doses compensent presque ou entièrement la nicotine des cigarettes habituellement fumées (Dale et al., 1995).
- Il n'existe pas de preuve d'usage abusif de nicotine pure.
Facteurs pharmacologiques autres que la nicotine
Le tabac semble avoir des effets autres que ceux de la seule nicotine. Il est bien connu que la fumée de tabac contient des milliers de substances chimiques. La question la plus intéressante est de savoir si certaines de ces substances contribuent également à renforcer les propriétés de la fumée de tabac. Il est connu depuis un certain temps que la fumée de cigarette inhibe la monoamine oxydase (MAO), enzyme qui catalyse le métabolisme de neurotransmetteurs monoamines comme la dopamine, potentialisant ainsi leurs effets dans le cerveau des fumeurs et contribuant ainsi de manière significative à la sensation de plaisir et à la dépendance (Fowler et al., 1999, 2003). La nicotine n'est pas directement responsable de cet effet (Fowler et al., 1999). L'acétaldéhyde, un composant démontré de la fumée de tabac, est un puissant inhibiteur de MAO (des deux sous-types A et B) et il a été suggéré que ce composé provoque l'inhibition de MAO. Chez les rats de laboratoire, l'auto-administration de nicotine est accrue lorsque de l'acétaldéhyde est administrée aux animaux. D'autres études suggèrent que des produits de condensation de l'acétaldéhyde tel le salsolinol, et les harmanes, sont des causes plus probables de l'inhibition de la MAO. Le salsolinol (Rodd et al., 2003) et les harmanes (Baum, Hill & Rommelspacher, 1996) sont également eux-mêmes directement récompensants chez les rats. D'autres alcaloïdes du tabac comme la myosmine, l'anatabine, l'anabasine et la nornicotine semblent également avoir des effets récompensants dans la mesure où ils peuvent remplacer la nicotine dans les tests de discrimination de drogue, augmentent l'auto-administration en nicotine (Clemens, Cailille, Stinus, & Cador, 2009), et réduisent l'évitement de stimuli nociceptifs (Holtman, Crooks, Johnson-Hardy, & Wala, 2010).
Facteurs non pharmacologiques
Jusqu'à relativement récemment, fumer était considéré comme simplement une habitude accentuée et c'est ce que pensent encore beaucoup de fumeurs. Est-il possible qu'à la recherche des mécanismes sous-tendant la dépendance à la nicotine et au tabagisme, les chercheurs aient négligé d'autres aspects importants de la fume ? Ceci pourrait comprendre :
a) L'habitude et le conditionnement associés à la fume
b) Le rôle de l'objet, c'est-à-dire la cigarette elle-même
c) Les aspects psychosociaux.
Habitude et conditionnement associés à la fume
La durée de demi-vie de la nicotine est courte - environ 2 heures - et elle est encore plus courte pour bon nombre d’autres substances pharmacologiquement actives composant la fumée de tabac. Une administration fréquente est nécessaire pour obtenir ses effets renforçateurs à la fois positifs et négatifs. Aussi, afin de maintenir les niveaux souhaités de nicotine ou d'autres composants de la fumée de tabac, le fumeur répète plusieurs fois par jour, peut-être 15 fois par jour, les gestes associés au tabagisme : par exemple prendre une cigarette dans le paquet, l'allumer, la tenir 5 à 10 minutes et inhaler la fumée 10 fois par cigarette. Chaque inhalation produit un impact sensoriel, d'abord dans la bouche puis dans la gorge et dans les poumons ; de même pour l'expiration par la bouche ou le nez. Toute cette séquence peut être relaxante en elle-même, bien que l'inhalation et l'exhalation de la fumée de tabac semblent être particulièrement importantes (McClernon, Westman, & Rose, 2004).
Il n'est pas inconcevable que tous ces comportements soient difficiles à abandonner. Des comportements sans renforçateurs chimiques comme se ronger les ongles, parier ou jouer sur un ordinateur peuvent être difficiles à cesser et être associés à des symptômes de sevrage lors d'une tentative d'arrêt (Gilbert, Gilbert, & Schultz, 1998). Les addictions sans produit comme le jeu pathologique semblent mobiliser les mêmes mécanismes du fonctionnement du cerveau que les dépendances aux produits (van Holst, van den Brink, Veltman, & Goudriaan, 2010). Ces activités semblent partager quelques mécanismes communs avec les troubles obsessionnels compulsifs qui sont réducteurs d'anxiété et anxiogènes lorsqu'ils sont inhibés. Comme fumer est relativement ritualisé, c'est-à-dire qu'il survient essentiellement dans des situations répétées ; un conditionnement s’instaure, si bien que ces stimuli peuvent suffire à déclencher l'envie de fumer [craving]. Ceci est étayé par le fait établi que l'auto-administration de nicotine chez les rats est nettement favorisée lorsqu'elle est jumelée à des stimuli lumineux (Caggiula et al., 2009). Bien que la nicotine puisse être nécessaire ou au moins facilitatrice du conditionnement initial aux envies de fumer ou à l’appétence pour certains stimuli et à leur accomplissement, il est possible qu'avec leur répétition fréquente, ces stimuli deviennent très résistants à l'extinction. Il est à noter que les cigarettes sans nicotine sont préférées aux gommes à la nicotine et soulagent mieux les symptômes de sevrage durant la durée (en semaines) où cela a été étudié (Barrett, 2010;. Buchhalter et al, 2005;. Donny et al, 2007).
La cigarette en tant qu'objet familier
La cigarette est restée la même aujourd'hui qu'il y a cent ans, de marque en marque et de pays à pays. Cela suggère que sa forme, sa couleur et sa taille ont un certain attrait. Elle est douce, chaude et confortable à tenir et mettre à la bouche. Bien que très peu de recherches aient exploré la satisfaction de juste tenir et manipuler une cigarette, il n'est pas déraisonnable de croire que ceci puisse contribuer quelque peu à rendre l'expérience de fumer agréable. Savoir si la cigarette présente des similitudes fonctionnelles avec une tétine n'est pas avéré mais pas complètement invraisemblable. Savoir si le paquet de cigarettes, le briquet ou les allumettes ont aussi une fonction gratifiante est encore moins clair. Des patients rapportent à l'occasion que tenir et caresser son paquet de cigarettes peut soulager un peu du stress.
Le tabagisme et ses fonctions psycho-sociales
Les drogues culturelles ont des fonctions psychosociales en général. Nous buvons souvent du café et de l'alcool ensemble, et ceci semble jouer un rôle de lubrifiant pour le comportement en société. C'est vrai aussi pour la fume de tabac. Offrir une cigarette peut être un acte grâce auquel on établit le contact avec une personne inconnue. Fumer peut être une occasion de prendre une pause ou se reposer d'une tâche ennuyeuse, parfois avec d'autres fumeurs. Cela accroît potentiellement les liens et la convivialité. Quand on est pris de court, allumer une cigarette donne un fumeur peu de temps pour formuler sa pensée. Même si aujourd'hui fumer est dénigré dans de nombreuses cultures, il y a encore des contextes culturels où fumer permet au fumeur de s'identifier et de se conformer aux autres. Fumer une cigarette peut stimuler les activités via des propriétés gratifiantes ("je dois finir ça avant d'aller fumer une cigarette"), être une "compagne" quand on est seul ; et dans certaines circonstances le tabagisme donne quelque chose à faire de ses mains, ce qui réduit l'anxiété.
Considérer le tabagisme comme une dépendance vaste et complexe
Il n'est pas étonnant que cesser la consommation de nicotine pharmaceutique, avec son implication comportementale moindre, soit plus facile que d'arrêter la cigarette. Il y a aussi des différences dans la façon dont les différents produits de substitution nicotinique sont utilisés. S'il n'y a presque pas d'utilisation à long terme de timbres transdermiques, ceci est moins rare avec les gommes à la nicotine. De même il semble que l'abandon du tabac oral, qui a moins de composantes comportementales et est une activité plus solitaire que la fume du tabac, soit plus aisé que l'arrêt de la cigarette (Fagerström, Gilljam, rue Metcalfe, Tonstad, & Messig, 2010).
Une des raisons pour lesquelles cesser de fumer est aussi problématique que le sevrage aux drogues dures - qui sont habituellement des renforçateurs plus puissants – tient peut être à la contribution des facteurs autres que la nicotine discutés ci-avant. Une analogie avec la caféine pourrait être utile pour expliquer pourquoi les fumeurs préfèrent une cigarette à rendement en nicotine réduit à une avec un rendement normale en nicotine. Prenons le cas d'un utilisateur régulier et fréquent de Coca Cola qui devient fatigué et assoiffé et rêve d'un Coca bien frais mais à qui il est offert une tasse de café chaud. Si la motivation première de boire du Coca-Cola est d'obtenir de la caféine, la tasse de café chaud devrait faire aussi bien. Très probablement, le buveur de Coca-Cola refusera catégoriquement le café chaud comme la plupart des fumeurs ayant envie de fumer une cigarette refuseront une gomme à la nicotine. Cela se produit en partie parce que l'envie de Coca ou de cigarette ne sont pas seulement une affaire de produit mais comprend également toutes les autres fonctions associées aux objets respectifs.
La délivrance beaucoup plus rapide de la fume peut aussi contribuer au potentiel élevé de dépendance à la cigarette. Le potentiel hydrogène (pH) des cigarettes moderne est si bas que, pour être efficace, l'absorption de nicotine doit se faire par une inhalation dans les poumons. Les caractéristiques du filtre permettent également un titrage précis de la nicotine.
Mettre l'accent sur le tabac et non sur la seule nicotine
Beaucoup de chercheurs cliniciens, d'épidémiologistes et de praticiens utilisent fréquemment l'expression « dépendance à la nicotine » pour décrire leur travail sur le tabagisme ou avec les fumeurs, bien que ce qu'ils étudient est la fume de tabac. Outre qu'ils utilisent une formulation réductrice, ceci peut également signifier que le problème, c'est la nicotine. La nicotine n'est pas le problème majeur concernant la santé. La nicotine pure ou pharmaceutique n'est probablement guère différente de la caféine et certainement moins dangereuse que l'alcool. La nicotine est un facteur important de dépendance, mais la dépendance au tabagisme est une dépendance vaste et à multiples facettes. La nicotine pourrait d'ailleurs dans une certaine mesure faire partie de la solution au problème du tabagisme si le besoin de fumer du tabac pouvait être remplacé par la consommation de nicotine pure. Ce qui doit être mis en avant est le problème du tabac et particulièrement du tabac fumé.
Fumer des cigarettes provoque à la fois les maladies physiques et une forte dépendance. Il est intéressant de noter que - contrairement au répertoire DSM de l'American Psychiatric Association (1994) - la dénomination utilisée dans la Classification internationale des maladies par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS, 1993) est la « dépendance au tabac » et non la dépendance à la nicotine. Mettre l'accent sur le tabac ne signifie pas que la nicotine doit être ignorée. Elle reste un composant essentiel du tabac.
Au moment de rectifier l'appellation du test de dépendance, que choisir ?
Test de Fagerström de dépendance « au tabac » ? Ou « à la cigarette » ?
Le tabac se présente sous de nombreuses formes dans les cigarettes, le narghilé, le cigare, le tabac à chiquer, le tabac à pipe et bien d'autres. Ces produits sont évidemment très différents non seulement dans leurs caractéristiques physiques, mais aussi dans les normes culturelles et des modes de consommation qui les environnent. Le panorama global de la dépendance sera très probablement différent entre un fumeur de cigarettes et un amateur de tabac sous une autre forme, par exemple de tabac oral (Fagerström et coll., 2010). Un questionnaire de test pour la dépendance au tabac en général devrait être validé avec toutes les formes d'usage, des cigarettes au tabac oral. Cela n'a pas été considéré dans le FTND et d'ailleurs la plupart des questions dans ce questionnaire concernent spécifiquement l'acte de fumer. Par conséquent, il semble approprié de renommer le FTND ainsi : test de Fagerström de la dépendance à la cigarette.
© Karl Fagerström, 2011
Références
Voir original : Karl Fagerström, Nicotine & Tobacco Research (2011), doi: 10.1093/ntr/ntr137
Publié en ligne par Oxford University Press pour le compte de la Society for Research on Nicotine and Tobacco. All rights reserved. Traduction française par UnAirNeuf.org.
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