Nous faisons suite à la transcription des propos du Dr Anne Borgne (tabacologue) avec Michel Cymès et Marina Carrère d'Encausse lors de l'émission Allô Docteurs de France 5 le 4 janvier 2012, au cas où la video deviendrait indisponible :
Tabac, les bonnes méthodes pour arrêter de fumer
UnAirNeuf.org vous propose le décryptage les contre-vérités, approximations, non-dits et erreurs sympathiquement proférés par le Dr Anne Borgne.
Nous tenons à préciser que n'avons aucune dent contre Anne Borgne : d'un abord avenant, elle semble convaincue de ses propos enthousiastes, qui sont tout à fait en ligne avec le catéchisme traditionnel de l'Église de Tabacologie. Vêtue d'une veste en jean, souriante, elle possède des avantages télégéniques qui contribuent à son succès médiatique. Nous notons aussi ses nets progrès dans l'expression orale, suite sans doute à un coaching efficace.
Le caractère plaisant de la forme ne saurait en effet cacher l'énormité des propos, que nous commentons dans l'ordre chronologique.
Le contexte de l'émission
Un "marronnier" de début d'année
Rappelons le contexte de l'émission. Chaque début d'année, Allô Docteurs rebondit sur les bonnes résolutions des fumeurs et propose une revue des approches connues du grand public pour arrêter de fumer. Un marronnier est un article d'information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un événement récurrent et prévisible (cf. Wikipedia). Comme à l'accoutumée, c'est le Dr Borgne qui a été invitée en plateau à représenter les intérêts de l'Église de Tabacologie. Les aides non recommandées ont droit à des reportages enregistrés : un acupuncteur (médecin), un hypnothérapeute (médecin), mais nul témoignage d'une personne diplômée en Sciences Humaines : normal pour une émission Allô Docteurs faite par des médecins, peu familiers avec et incompétents sur les approches non médicales. Passons.
Un témoin qui roule dans la farine les propositions de la tabacologie universelle
« La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie » (Léon Trotski)
Comme à l'habitude aussi, l'émission a invité un témoin, Mme Marie-Claude Anglard, ancienne fumeuse. Elle rapporte en début d'émission avoir arrêté après de multiples tentatives non probantes dont une à l'aide des substituts nicotiniques recommandés, il y a deux ans ; elle a finalement réussi avec une "méthode Chiapi" inconnue du Dr Borgne. Ce n'est pas flatteur pour une spécialiste… C'est même un indice d'incompétence.
On ne peut demander à une spécialiste de TOUT connaître, même dans son domaine. Mais ne pas connaître la méthode Chiapi du Dr Yves Requena est une lacune pour une personne visant à constituer dans son service un centre de formation à la tabacologie [1].
Les techniques aidant à la cessation du tabagisme sont innombrables. Mais tout le monde a entendu parler de l'acupuncture, dont relève la méthode Chiapi. Et cette méthode est loin d'être confidentielle : elle fait l'objet d'enseignement et d'une présentation dans un ouvrage placé en quatrième position, juste après les succès de librairie d'Allen Carr dans le hit parade des ventes Amazon d'ouvrages sur l'arrêt du tabac consulté le 15 janvier 2012 (capture d'écran) :
Et ce livre de Dr Réquéna date de 2004 ! Comment peut-il se faire que l'on invite le Dr Borgne à faire un tour d'horizon sur les méthodes d'arrêt du tabac alors qu'elle n'en connait même pas les plus populaires dans le public (public pas si ignare que ça) ?
La médecine impose son dogme
Il est commun que les médecins aient recours à l'argument d'autorité. Surtout ceux qui se mettent en avant médiatiquement. Le Dr Borgne ne s'en prive pas, comme en témoigne le début de son interview.
(Question auditeur de Jean-Pierre, 4'45) : Je fumais 40 cigarettes par jour. J'ai arrêté il y a 30 ans en 24 heures, uniquement par la volonté. C'est possible. Michel Cymès : C'est un mot que vous n'aimez pas, "la volonté". |
Anne Borgne (AB) : Je n'aime pas le mot "volonté" et je n'aime pas le mot "méthode", que vous employez souvent depuis le début [de l'émission]. Je crois qu'on n'a pas de "méthode" pour maigrir par exemple ; on n'a pas de "méthode" pour arrêter de fumer ; on a des "stratégies thérapeutiques" à partir du moment où on est un fumeur dépendant. |
Détester les fumeurs qui se responsabilisent
Anne Borgne montre sa détestation des fumeurs qui se responsabilisent et prennent en main la gestion de leur dépendance. Elle "n'aime pas" ça, elle ne "Like" pas ! Elle aurait pu avantageusement féliciter l'ex-fumeur. En effet, la quasi totalité des fumeurs qui cessent le tabagisme le font sans aide. Le rapport de American Cancer Society - Cancer facts and figures (2003) a montré que plus de 90 % des anciens fumeurs se sont débrouillés tout seuls [2].
Imposer l'approche médicale, seule option sérieuse
Dr Borgne préfère que les fumeurs se soumettent au grand savoir des docteurs en blouse blanche, qui vont leur donner des drogues : on leur demandera juste d'ouvrir la bouche et de régler la note. C'est ce que subissent environ 1 % des fumeurs consultant un centre de tabacologie pour leur tentative d'arrêt.
Anne Borgne n'aime pas le mot "volonté" : décider librement d'arrêter de fumer n'est pas pertinent ; ce pourrait même être stupide ? Si nous comprenons bien, décider de cesser le tabagisme n'a pas besoin d'être "voulu". C'est la dernière tendance parmi les tabacologues médicaux actuellement. Ainsi le Pr Dautzenberg affirme [3] :
Trop souvent les professsionels de santé demandent aux fumeurs d'avoir la volonté. Moi je demande jamais à un cancéreux : "Est-ce que vous avez la volonté que je vous soigne ?". Je leur propose un traitement, ils acceptent ou ils refusent s'ils veulent refuser le traitement. Pour les fumeurs, je fais la même chose. Je ne demande pas aux fumeurs : "Est-ce que vous voulez arrêter de fumer ?". Je leur dis "Vous avez telle ou telle maladie, il faut vous arrêter, voilà comment on va faire. Tout ce que je vous demande, c'est de suivre mon traitement, je ne vous demande pas du tout de volonté, je vous demande d'appliquer ma thérapeutique et puis après on en discute."
Si la volonté est là en plus, tant mieux, mais s'il n'y a pas de volonté, on peut très bien faire arrêter de fumer un fumeur absolument pas motivé, contrairement à ce que l'on pensait il y a quelques années. Dès que l'on a quelqu'un qui fume le matin dans l'heure du réveil, il est 'en gros' addict, il a besoin d'aide.
Grand manitou de la tabacologie française, le Pr Dautzenberg affirme qu'il est capable de faire arrêter des fumeurs quand bien même ils ne le désireraient pas ! Tout ce qu'il leur demande, c'est d'observer le traitement prescrit et d'avaler les pilules. Les propos du Dr Borgne s'inscrivent dans la même veine sympathique.
Aux USA, la commission d'accréditation des établissements de santé élabore la norme de prise en charge des patients fumeurs. The Joint Commission Tobacco Treatment Measures Overview and Current Status – July 2011 (pdf) indique :
"Not only must every patient be treated with smoking drugs during hospitalization (unless contraindicated), but every patient should be prescribed an FDA-approved smoking cessation drug upon discharge."
Tout patient ressortant vivant devra posséder une ordonnance pour un traitement recommandé par les agences sanitaires. Durant son séjour, à moins de contre-indication, il devra être traité avec des médicaments d'aide au sevrage.
Ce qui se trame pour la suite, c'est le sevrage chimique forcé, et éventuellement avec des molécules en cours de test, puisque l'on est en milieu hospitalier, là où les tests cliniques sont aisés à recruter et à contrôler. Fumeurs, accepter d'être hospitalisé sonnera bientôt le glas de votre droit à rester fumeur.
Dénigrer les "méthodes" alternatives pour arrêter de fumer
Pour mieux imposer sa loi, il est utile d'incaguer les options alternatives. Le dénigrement du terme "méthode" par le Dr Borgne y pourvoit. Provenant du grec μέφοδος, de μετά « vers » et οδος « route, voie, manière de faire quelque chose », le terme qualifie la poursuite, la recherche, une manière de faire méthodique, un ensemble de procédés raisonnés. Son usage d'origine est médical (1537) « manière particulière d'appliquer une médication » précise le TLFi.
En dénigrant ce terme méthode, Dr Anne Borgne dénigre son métier. Pourquoi tant d'opposition ? Parce qu'un expert-comptable anglais a popularisé le terme "methode" pour l'arrêt du tabac (Allen Carr) ? Probablement. L'homme est décédé, sa méthode lui survit, avec toujours autant de succès sur les présentoirs des libraires. Allen Carr : le diable en personne ! Oui, cette méthode honnie est diablement efficace ! Il convient de censurer ce terme concurrent donc, par trop évocateur... Et du coup, toutes les approches qu'Anne Borgne ne connait ou ne recommande pas sont des "méthodes", comprendre : des supercheries. Elle est mal placée pour faire la leçon, et, sans doute au dessus de ces mesquines considérations, se dispense aussi de déclarer ses résultats de terrain.
Inverser la réalité
Ce qui est intéressant avec ces tabacologues dont la dialectique vise à enfumer le public, c'est leur capacité à retourner la réalité. Anne Borgne utilise l'expression "subir une méthode", alors qu'en réalité elle nous explique qu'il convient de subir un traitement pharmaceutique déguisé sous la jolie formule "stratégie thérapeutique" :
Anne Borgne (AB) : Quand on n'est pas un fumeur dépendant et qu'on a décidé d'arrêter et de ne pas subir les signes de manque, on peut faire n'importe quoi. On peut décider de se faire accompagner, de ne pas se faire accompagner, tout marche. Le problème dans l'arrêt du tabac, c'est tous ces fumeurs qui sont très dépendants, qui ont en plus une dépression, qui ne sont pas très bien, qui ont des soucis, etc. et qui n'y arrivent pas seuls, c'est eux qui doivent consulter et là, ne pas subir une "méthode" mais avoir une prise en charge médicale avec un traitement adapté à leur situation. |
Pour les fumeurs non dépendants, tout marche !
« Quand on n'est pas un fumeur dépendant, tout marche. » dit-elle.
Foutage de gueule : les millions de fumeurs apprécieront. Qu'est-ce qu'un fumeur non dépendant ? Un fumeur non dépendant est un oiseau exotique. Fumeur de cigare, crapoteur occasionnel : ces fumeurs n'ont - par définition - aucune difficulté à cesser leur petit plaisir. Ils n'ont pas d'effort particulier à faire, puisqu'ils ne sont pas dépendants ! Ils ne ressentent pas de manque non plus.
Ce que tente de faire ici Dr Borgne, c'est de convaincre tous les fumeurs qui réussiront à cesser le tabagisme sans prise en charge médicale, avec leur propre méthode, ou celle d'Allen Carr, ou l'acupuncture, ou l'hypnose, etc., que leur dépendance était une invention. Ceux qui sont dépendants ne peuvent arrêter qu'avec une prise en charge médicale. Syndrome de la grenouille prétentieuse qui veut se faire plus grosse que le boeuf : plus de 9 fumeurs sur 10 qui cessent de fumer y sont parvenus sans traitement médicamenteux ni prise en charge médicalisée. Et aussi : les arrêts improvisés, sans planification, sont au moins aussi efficaces que les arrêts organisés (selon West, 2010).
Dr Borgne nous épargne le couplet traditionnel : « Fumer est une "maladie" chronique récidivante », « les fumeurs dépendants sont des "malades" », etc. Rendons-lui grâce de l'omission de ces fumisteries culpabilisantes visant à accroitre l'asymétrie entre le praticien et le fumeur, à augmenter le pouvoir d'influence du premier sur le second, à le rendre passif.
Quelle définition les tabacologues donnent-ils de la dépendance ? À quoi reconnait-on - cliniquement - un fumeur dépendant ? Certains affirment, comme nous, qu'il suffit de fumer une cigarette au moins chaque jour. Eh bien, ces "petits fumeurs" ont autant de difficulté à cesser leur comportement que les gros fumeurs que la fumée dégoûte vraiment ; parce qu'ils éprouvent plus de plaisir en fait. Moins on fume, moins c'est dégoutant, plus c'est plaisant et moins on a de motivation à cesser ce qui reste malgré tout une dépendance, un comportement que l'on adopte alors qu'on voudrait avoir la liberté de ne pas le pratiquer.
L'Agence du Médicament recommande d'utiliser le score de Fagerström. Ceux qui ont consulté pour le tabagisme connaissent ce questionnaire, qui vient d'être rébaptisé par son inventeur en 'Test de dépendance à la cigarette' [4]. La dépendance est appréciée par les déclarations du fumeur (de cigarette), dont on sait - soyons gentil - l'objectivité quant à son tabagisme [5]. Ce score ne mesure rien, n'est basé sur aucune théorie : il n'existe pas de théorie de la dépendance tabagique. C'est pour masquer cette ignorance que l'on fait souffler le fumeur dans un testeur de monoxyde de carbone, qui ne mesure rien de plus que le monoxyde de carbone, pas la dépendance au tabagisme.
La dépendance, comme celle à des pratiques sans produit (sexe, jeu, etc.), est liée à un comportement, à un contexte social, psychologique, familial, etc. Mme Borgne se prétend "addictologue" : nous aimerions être certain qu'elle a bien compris sa spécialité. Pour sa défense, nous reconnaîtrons qu'il n'existe pas de consensus sur les différentes définitions de la dépendance "tabagique" : celle de l'OMS diffère de celle du manuel DSM de la psychiatrie américaine, qui fait référence. Les interprétations fluctuent pas mal avec l'époque et le lieu.
En résumé, on ne sait pas définir la dépendance au tabagisme. Et pourtant la médecine prétend être la scientifique solution à ce problème non défini et sans modèle théorique établi.
La médecine omnisciente, solution finale à tous les problèmes
Déclaration de la médecine universelle : elle a vocation à résoudre les soucis professionnels et familiaux notamment. Et les problèmes économiques aussi, les pauvres étant notoirement plus fumeur que les personnes sans problème de fin de mois.
Anne Borgne : Le problème dans l'arrêt du tabac, c'est tous ces fumeurs qui sont très dépendants, qui ont en plus une dépression, qui ne sont pas très bien, qui ont des soucis, etc. et qui n'y arrivent pas seuls, c'est eux qui doivent consulter et là, ne pas subir une "méthode" mais avoir une prise en charge médicale avec un traitement adapté à leur situation. |
Certes ceux qui n'arrivent pas à arrêter seuls ont avantage à se faire aider.
- Par un médecin ?
- Par un tabacologue diplômé formaté à prescrire des patchs et autres gri-gris pharmaceutiques ?
Nous sommes réservé. Cela nous fait penser à ce spécialiste africain qui "fait démmarré les motos russes" (sic) :
Si les gens fument, c'est parce que fumer assure une fonction. Supprimer le tabagisme sans permettre aux gens de résoudre leurs autres besoins sociaux, psychologiques, personnels, professionnels, familiaux, etc. ce n'est pas forcément un cadeau à leur faire. La médecine aurait avantage à se cantonner à son domaine de compétence : c'est probablement la raison de son manque flagrant d'efficacité dans l'aide à l'arrêt du tabac, même en arguant disposer d'armes chimiques massives.
Le tabagisme ne se réduit pas, comme l'Église de Tabacologie le sermonne, à une question de nicotine. Cesser de fumer résulte d'un apprentissage à un nouveau cadre de vie. Les sciences de l'apprentissage et de la conduite du changement sont mobilisables. Elles ne sont pas enseignées à la faculté de médecine toutefois : les médecins bricolent avec leur savoir-faire empirique, la blouse blanche leur servant de caution de compétence. Cela ne fait pas illusion longtemps.
Pour justifier ses médications, la médecine majore les difficultés
Pourquoi est-on irrité durant le sevrage ? La question n'est pas anodine :
[... Témoignage auditeur sur l'irritation] Marina Carrère d'Encausse : Cela n'a rien d'aberrant d'être irrité quand on arrête de fumer et qu'on est dépendant ? |
AB : Non, sauf que si on se fait aider et qu'on a un traitement adapté, on n'est pas obligé d'être agressif. Et quand on suit un patient à qui on donne un traitement, s'il continue à être irrité et agressif, cela veut dire que le traitement n'est pas adapté et on va réévaluer le traitement et l'accompagnement. |
Pourquoi est-on irrité durant le sevrage ? Le manque de cigarette n'a jamais fait mal, NULLE PART ! Il est pourtant bien simple de faire face à une envie de fumer : sensation fugace, sans danger, sans douleur localisable. Les palliatifs de nicotine calment temporairement les besoins récurrents, mais en quelques semaines les envies passagères dominent.
Pourquoi la tabacologie n'enseigne pas comment procéder ? Parce que cela relèverait d'une "méthode" ? La taba-coco-logie médicale préfère droguer les fumeurs, les étourdir avec des produits chimiques dangereux ; car la nicotine est un produit dangereux, mortelle à dose plus faible que la strychnine. Mais les produits chimiques en vente en pharmacie font marcher les usines de produits pharmaceutiques, et ça c'est bon pour les tabacologues biberonnés à Big Pharma depuis leurs premières années à la Faculté.
Des patchs, des patchs, oui mais des patchs Annie...
Les animateurs d'Allô Docteurs ont bien préparé le passage en revue des stratégies adoptées par les médecins pour faire du business grâce aux fumeurs. Marina Carrère d'Encausse tend la perche sur les prétendus "substituts" nicotiniques :
MCd'E : Éventuellement les patchs seraient une bonne solution ? |
AB : Les patchs seraient une bonne solution, l'ensemble des substituts nicotiniques ou d'autres médicaments et avec des doses et une utilisation, et donc l'association de formes entre elles ou pas, adaptées à sa propre situation. Il y a plein de fumeurs qui savent le faire tout seuls, surtout aujourd'hui où il y a des gens qui ont essayé plusieurs fois d'arrêter, donc qui se connaissent très bien et qui se traitent tout seuls, et il y en a d'autres qui ont besoin d'être aidés. |
Malheureusement, comme une étude de Harvard (USA) vient de le révéler (et comme nous ne cessons de le répéter depuis ici depuis 2006), les substituts nicotiniques n'aident pas à cesser le tabagisme [6]. Et encore moins pour les gros fumeurs selon l'étude, contrairement aux recommandations officielles ! D'ailleurs le témoin invité de l'émission confirme que cela n'a pas marché.
Les palliatifs de nicotine n'ont pas d'utilité pour les fumeurs désirant cesser de fumer. Et ils ne sont pas sans risque.
La nicotine est un insecticide
La nicotine est un produit chimique dangereux ; c'est la raison pour laquelle l'argument des vendeurs de patchs : "Si ça ne marche pas, c'est parce que vous êtes sous-dosé" est proprement criminel. La nicotine est très toxique ; sa fonction naturelle est d'être insecticide, pour protéger les grandes feuilles de tabac de ses prédateurs naturels. Ce n'est pas un anodin placebo.
MC [la caméra zoome sur un patch Nicorette] : Si je me mets çà, moi qui ne fume pas : le patch ? |
AB : Vous aurez mal à la tête, le coeur qui s'accélère, la bouche pâteuse, comme les jours où vous avez trop fumé, cette espèce de sensation de dégoût, d'avoir de la nicotine dans la bouche : ça fait exactement ça quand on met un patch et qu'on n'est pas tolérant. |
D'une façon générale, les acheteurs de patchs cessent de les utiliser au bout de quelques jours, moins d'un mois en moyenne. D'abord parce que leur utilisation n'est pas sans effets secondaires (tête loude, nausées), mais surtout parce que leur efficacité à réduire les envies baisse au bout de quelques jours. D'où déception et reprise du tabagisme. Il reste à expliquer aux fumeurs :
- qu'il n'existe pas de substitut à la nicotine, comme il peut en exister pour les opiacés ;
- que ce n'est pas la nicotine seule qui rend dépendant, ni qui maintient dans le dépendance.
C'est apparemment impensable à un tabacologue respectueux des recommandations pharmaceutiques de l'Agence du Médicament en vigueur.
Dr Borgne taille un costume à l'hypnose : une "méthode" !
La production d'Allô Docteurs avait pris soin d'interviewer un hypnothérapeute, enseignant l'hypnose à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris : le Dr Benhaiem. Malgré cette garantie de sérieux - l'homme porte la blouse blanche pour les besoins de la cause, nous aimerions comprendre en quoi c'est utile - l'hypnose est descendue en flammes par Dr Borgne, au motif que cette technique n'a pas été validée par des tests rigoureux. C'est une "méthode", à la Allen Carr. Circulez ! Pas médical !
[... Séquence sur l'hypnose avec le Dr Benhaiem] MCd'E : une réaction sur cette "stratégie" ? |
AB : Là, je dirais "méthode" ! MC : Vous vous foutez de nous ou quoi ? AB : Ah, ah (rire étouffé) ! Je n'oserais pas ! L'hypnose n'a fait preuve d'aucune efficacité dans aucune étude, et l'espèce de truc de jeter le paquet de cigarette à la poubelle, c'est pas du tout dans le sens de la prise en charge médicalisée actuelle, des thérapies comportementales et cognitives, où on accompagne le patient mais c'est lui qui trouve tout seul ses ressources, les outils, on va l'accompagner dans ce chemin là, on va travailler sur la motivation… Là, je… Le côté "magique"… MC : (la coupant) Nous remercions le Dr Benhaiem d'avoir accepté ce reportage ! Il va être content. Il est habillé pour l'hiver… AB : Il y a des personnes pour qui ça marche, ceux dont je parlais au début, chez qui tout marchera. |
Résumons : est "méthode" ce qui n'est pas une prise en charge médicale recommandée par le Dr Anne Borgne. Méthode = arnaque en d'autres termes.
Pourtant l'hypnose permet la communication avec l'inconscient. Potentialiser l'inconscient du fumeur est très pertinent pour l'aider à conduire son changement. Les méthodes hypnothérapeutiques sont maintenant pratiquées en milieu hospitalier, et notamment par le Dr Benhaiem ici interviewé. Le problème pour le Dr Borgne est peut-être qu'avec l'hypnose, nul besoin des gri-gris de nicotine dont la promotion est recommandée ?
Nous sommes effaré par la barbarie de Dr Borgne, qui dénie l'importance de l'inconscient et sa puissance déterminante dans le comportement humain. Évoquer les thérapies comportementales et cognitives (TCC) est un cache-misère, ces "méthodes" (!) refusant délibérément de manipuler la boite noire mentale des patients, en restant à l'extérieur, dans le visible et le comportemental. Elles sont un cache-misère quasi impraticable pour l'arrêt du tabagisme (elles sont efficaces dans différents domaines psychologiques et psychiatriques) : trop longues, lourdes, onéreuses en dehors du cadre de l'hôpital public.
Avant l'apparition des produits pharmaceutiques d'aide au sevrage, l'hypnose était l'aide la plus usitée. C'est suite à une séance chez un hypnothérapeute qu'Allen Carr a trouvé la clé de la sortie de son tabagisme. Les preuves d'efficacité manquent à la médecine, qui n'est pas la discipline à convoquer pour procéder à l'évaluation d'une pratique qui relève des Sciences Humaines, d'une autre épistémologie dirait un spécialiste. Ces allégations relèvent de la patascience, le l'ignorance des phénomènes en jeu. Et il y a en France et ailleurs, beaucoup d'hypnothérapeutes compétents, n'en déplaise aux tabacologues : compétents et efficaces dans l'aide à l'arrêt du tabac [7].
"Gommologue" : un métier d'avenir
Déjà dans le passé, Marina Carrère d'Encausse avait interrogé Dr Borgne sur les personnes devenues dépendantes aux gommes de nicotine. Si ces produits permettent durablement de se passer de fumer, ce sont des béquilles bien encombrantes : un consommateur sur dix ne peut plus s'en passer. Marché lucratif et en forte croissance depuis que les variantes "aux fruits" sont disponibles.
Qu'à cela ne tienne ! Si vous êtes devenu(e) dépendant(e) aux gommes ou aux pastilles de nicotine, consultez votre "gommologue" (le néologisme est de Marina Carrère d'Encausse), celui là même qui vous a conseillé ces produits à sucer ou mâcher. Ce n'est pas grâve : vous donniez votre argent à l'État via les taxes sur le tabac ? Maintenant vous le donnez aux actionnaires des firmes pharmaceutiques. Et accessoirement aux médecins gommologues spécialistes qui profitent de ce juteux business. Nous avons du mal à comprendre l'intérêt de l'Assurance Maladie de les subventionner...
Anne-Monique (question auditeur) : Depuis plus de vingt ans, je prends une moyenne de 12 pastilles de substituts nicotiniques par jour. Y a-t-il des conséquences sur la santé ? MCd'E : Finalement, il y a une certaine addiction à ces gommes à mâcher ? |
AB : Il peut y avoir une addition, surtout aux gommes, un peu aux pastilles mais un peu moins, parce que cela libère de la nicotine et que les gens vont les mâcher rapidement et s'envoyer de la nicotine dans le cerveau et puis avoir une certaine récompense et remplacer le réflèxe ; au lieu de prendre une cigarette, je prends une gomme. Donc il y a des dépendances. Si on compare les risques de 4000 substances de la combustion du tabac à juste la nicotine, ce n'est pas comparable. Donc il faut manger des substituts nicotiniques au lieu de fumer. Par contre, c'est vrai qu'on ne sait pas ce que ça fait que manger de la nicotine pendant 30 ans parce qu'on n'a pas fait d'étude pour suivre çà. L'idéal, c'est d'arriver à les arrêter, d'autant plus qu'au bout d'un moment les gens en ont aussi assez d'être accro à çà ; ils ont assez de cette dépendance, et puis çà coûte cher… |
Il est vrai que la dépendance aux gommes est moins dangereuse que la continuation du tabagisme. On ne sait cependant pas ce que leur consommation durable peut générer comme effets secondaires à terme. Les laboratoires pharmaceutiques ne se précipitent pas pour financer des études évidemment !
MCd'E : Çà fait mal au ventre… |
AB : Çà fait mal au ventre de mâcher des gommes et puis il faut trouver la pharmacie ouverte... Finalement, nous on voit arriver maintenant des gens qui sont accro aux substituts nicotiniques et qui demandent qu'on les aide à arrêter. |
Nous aimons beaucoup ce passage. Anne Borgne recommande des produits qu'elle sait addictifs puis se targue de prendre en charge les personnes devenues dépendantes suite à ses recommandations. Fabrication délibérée de malades pour faire tourner son business. C'est scandaleux. Hippocrate, où es-tu ?
La cigarette électronique aide les fumeurs à cesser le tabagisme ? À déconseiller, pas médical !
[… MC teste un inhaleur] MCd'E : Je me demande si c'est pareil que la cigarette électronique ? |
AB : Pas du tout ! Çà, çà contient de la nicotine ; c'est un médicament vendu en pharmacie, la cigarette électronique n'est pas vendue en pharmacie, n'a pas eu d'autorisation de mise sur le marché comme un médicament et c'est vendu surtout sur internet. Quand on parle de LA cigarette électronique, en fait c'est LES cigarettes électroniques parce qu'il y a plein de modèles dont on ne sait pas très bien quelle quantité de nicotine... Et, et, une question qui n'est pas résolue sur le gaz propulseur, qui amène la... On se demande un peu ce que ça fait, donc faut attendre le résultat des études, qui sont en cours. |
Ces arguments sont tout bonnement PITOYABLES. La cigarette électronique aide les fumeurs à cesser le tabagisme, et rapidement en général. Toutes les études le montrent (et nous le rapportons abondamment sur UnAirNeuf.org). Nous pouvons l'affirmer, puisque nous n'en faisons pas plus commerce que les pois chiche grillés ou autres remèdes au tabagisme.
La cigarette électronique n'est pas un médicament : le Dr Borgne s'interdit de recommander ce qui n'est pas un produit pharmaceutique, même si ce serait une option dans l'intérêt de la santé d'un patient fumeur. Au pays des tabacologues aveuglés par les merveilles marketing de Big Pharma [8], Anne Borgne est la reine.
Notes
- Le plan gouvernemental de prise en charge et de prévention des addictions (2007-2011) définit trois niveaux d’offre de soins : un niveau 1 de proximité, assurant les sevrages simples ; un niveau 2 de recours, permettant des soins aigus, des hospitalisations complètes pour sevrage ou des soins complexes ; un niveau 3 de référence, qui aux missions du niveau 2 ajoute la coordination de l’enseignement, la formation et la recherche. L’unité d’addictologie de l’hôpital René-Muret dirigée par le Dr Borgne entend également s’appuyer sur des activités de recherche et d’enseignement. Agréée niveau 2, elle élabore actuellement un dossier de demande d’agrément niveau 3. Source : Nora Berra, Secrétaire d’Etat chargée de la Santé, inaugure une unité d’addictologie à l’hôpital René-Muret (AP-HP), APHP Actualités, 29 juin 2011
- Cf. American Cancer Society - Cancer facts and figures (2003), p. 25
- Carenity.com, La dépendance tabagique, Traitement et surveillance (video)
"Le traitement du tabagisme repose sur la prise de conscience de sa maladie tabagique et de sa volonté de se soigner. Une forte motivation est une aide mais n’est pas indispensable."
http://youtu.be/WOmGfPFLf7U - Cf. Karl Fagerström rebaptise son test de dépendance à la nicotine en "Test de dépendance à la cigarette" eu égard aux autres facteurs du tabagisme
- Les patchs ne gagnent pas le match : une nouvelle étude démontre la totale inefficacité des palliatifs de nicotine
- One in Ten Smokers Lies to His or Her Doctor
Washingtonian.com, 17.01.2012
The survey was funded in part by Pfizer and conducted by researchers from Legacy in March-April 2011.
“A lot of people have been subjected to a kind of rant from their doctors,” says Dr. Cheryl Healton, president and CEO of Legacy, a nonprofit health organization dedicated to helping smokers quit, a former smoker. “I actually think the providers are just as responsible, if not more so, for these results.” - Psychothérapies pour l’aide à la cessation du tabagisme : une petite place svp.
- Cf. Médecins médiatiques et labos : leurs liaisons resteront secrètes, @rrêt sur images, 30.01.2008 :
« Un cas d'école : le 21 novembre 2007, l'émission de radio Le téléphone sonne, diffusée sur France Inter, était consacrée à (l'alors future) interdiction de fumer dans les lieux publics. Parmi les invités, on comptait le docteur Anne Borgne, tabacologue à l'hôpital Jean Verdier de Bondy, et le docteur Daniel Thomas, cardiologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Tous deux ont été amenés à parler de traitements de sevrages tabagique (gommes à la nicotine à mâcher, mais aussi le Champix, traitement à base de varénicline destiné à désensibiliser les fumeurs à la nicotine, et délivré uniquement sur ordonnance). Problème : tous deux sont aussi conseillers scientifiques, de façon ponctuelle, pour les laboratoires Pfizer, qui produisent le Champix (au coeur d'une récente controverse). Et selon cette nouvelle loi, ils auraient dû l'évoquer avant leur intervention. "Ce n'est pas un secret" , répond le docteur Anne Borgne. "Quand on me le demande, je le dis toujours clairement. Je donne ponctuellement mon avis d'expert aux laboratoires Pfizer, j'ai alors un contrat sur honoraire que je remets au conseil de l'ordre des médecins. En général on essaie de ne pas privilégier un laboratoire. Mais le problème avec le Champix, c'est qu'il est le seul sur ce segment", explique-t-elle.
« Argument récurrent des deux médecins : personne ne leur a rien demandé. Or, que ce soit en congrès, en presse écrite, à la télévision ou à la radio, les médecins doivent déclarer spontanément leurs conflits d'intérêt, précise le docteur Chanu, Président de la Commission relations médecins-industries au conseil de l'Ordre.
« "On ne l'applique pas parce qu'on n'a pas l'habitude", se justifie le docteur Thomas. "Je trouverais ça normal de le faire", renchérit le docteur Borgne.
« Et pourtant... personne ne le fait. Dans les textes, tout citoyen lambda qui soupçonne un médecin de ne pas avoir correctement communiqué sur ce sujet peut déposer une plainte devant le Conseil de l'Ordre, qui prendra ensuite les mesures nécessaires. Seul dépositaire des conventions signées entre les médecins et les industries, le Conseil ne peut pas s'auto-saisir. Si un journaliste a un doute, il dépose plainte, en conclut le docteur Chanu. »
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