La revue indépendante Prescrire destinée aux professionnels de santé publie des fiches à partager avec les patients "pour une information fiable, sans subvention ni publicité". Voici celle relative à la cessation du tabagisme publiée dans son dernier numéro [1]. Pour arrêter de fumer, les deux points clé sont :
1 - Une bonne préparation et une bonne motivation sont des facteurs de succès ;
2- Un soutien psychologique et un traitement à base de nicotine sont éventuellement utiles.
Rien de bien révolutionnaire dans ces propos convenus. Les recommandations de Prescrire mettent explicitement les aides pharmacologiques à la place qui leur revient : une option éventuelle, complétée alors par les nécessaires soutien et accompagnement du professionnel de santé (comme le précise la recommandation Afssaps 2003 soit dit en passant).
Même si elle est généralement suivie d’une rechute, la substitution nicotinique peut apparaître comme une expérience dont le fumeur pourra tirer profit dans une tentative ultérieure : c’est un point de vue. Mais tous les gri-gris d’Europe, d’Afrique ou d’Amérique peuvent aussi bien remplir ce rôle pourvu que l'on croie en leur pouvoir magique.
L'irrationnel toujours tabou
Si l'on cherche à être efficace sans tabou, quelques points méritent d’être repris.
1°) Analyser sa consommation de tabac ?
La motivation n’est pas seulement “le plus important” : c’est ce qui prévient la récidive à terme.
« Pour arrêter de fumer, le plus important est la motivation » |
Certes ! La nouvelle tendance de certains pharmaco-tabacologues est de prétendre pouvoir faire arrêter de fumer sans aucune motivation : c'est de la barbarie. Ce serait équivalent à châtrer chimiquement les accros du sexe…
Il reste au corps médical à prendre quelques leçons de psychologie et à comprendre que la cessation du tabagisme résulte d’un processus IRRATIONNEL. La médecine écarte l'irrationnel de son art pour satisfaire à la rigueur de la science parce qu'il échappe à la mesure. Pourtant, c’est l’irrationnel qui fonde et préside aux décisions importantes dans la vie d’un homme (et d’une femme) : l’amour, l’envie de descendance, l’ambition professionnelle, etc. Il est stupide d’en faire l’économie !
« Pour conforter cette motivation, il est recommandé de faire une liste de ses propres raisons d’arrêter de fumer, … » |
Prescrire confond malheureusement raisons (fondement de la volonté) et motivations, qui relèvent du désir. Cette approche rationalisante peut sembler utile pour faire mûrir le projet, mais elle n’est aucunement nécessaire. Les arrêts francs, décidés sans préparation consciente, sont tout aussi efficaces que les arrêts prémédités [2].
« Penser aux conséquences de la présence de fumeurs autour de soi. » |
Oui. En cas de conjoint fumeur au domicile, lui demander de se passer durant un mois de fumer à l’intérieur. Le but n’est pas tant d’échapper à la fumée passive (qui ne suffit pas à faire rechuter), ni aux odeurs tentantes de tabac, mais de créer une solidarité durant les premières semaines. Il est courant qu'un fumeur tente inconsciemment de se conforter (contre son incapacité à cesser lui aussi de fumer) en faisant en sorte que son conjoint en tentative d'arrêt du tabac échoue. Il pourra sauver la face et continuer à assouvir tranquille sa petite addiction.
2°) Solliciter une aide psychologique
« Les thérapies comportementales ou cognitives [TCC] sont une forme d’aide…» |
Il nous semble que Prescrire est excessivement optimiste. Nous n’avons pas été capable d’identifier une seule étude clinique sans adjuvant médicamenteux montrant l’efficacité des thérapies comportementales pour l’arrêt du tabagisme : si vous en connaissez, nous corrigerons volontiers… Quant à atteindre la cinquantaine, cela nous semble non fondé.
Les prestations d’aide psychologique qui ne sont pas évaluables scientifiquement comme l’hypnose, la méditation, Allen Carr, etc. nous semblent plus efficaces. Cf. Remèdes au tabagisme : les solutions probantes ne sont pas forcément prouvées. La médecine a besoin de preuves établies que la psychologie ne peut fournir. Le désir ne se commande pas : le besoin de preuve instaure un carcan méthodologique défavorable au résultat visé. Il est regrettable que la médecine tienne en si piètre considération ces paradoxes des Sciences Humaines, et s’écarte de son domaine de compétence. En outre, la plupart des fumeurs ne sont pas des “malades”.
3°) Éviter les illusions médicamenteuses
« Mieux vaut être informé de l’efficacité réelle des traitements d’aide à l’arrêt du tabac. » |
Nous dirons même plus : Mieux vaut être informé de l’inefficacité réelle des traitements d’aide à l’arrêt du tabac ! Sans prestation d’aide, il reste à prouver que des médicaments majorent les chances de succès durable. Cf. Les patchs ne gagnent pas le match.
« Au bout d’un an, sur 100 fumeurs, 16 se sont libéré du tabagisme en prenant de la nicotine, 10 sans en prendre. » |
Les tests cliniques de l’usage de la nicotine ne manquent pas. Il n’est pas choquant que Prescrire base ses avis dessus. Il y a un problème non résolu : pourquoi en population générale, en médecine de ville et/ou en auto-médication, la nicotine peine à faire mieux que l'arrêt franc avec rien du tout ? Pourquoi tant d’échecs répétés et répétés ?
La raison est simple : ces tests cliniques, réalisés dans des conditions expérimentales particulières, financés le plus souvent par des industriels, NE SONT PAS REPRÉSENTATIFS des conditions d’utilisation dans la population. Comme il est dit plus haut (et sans que la contradiction soit explicitée par Prescrire), c’est la motivation – et non le traitement pharmacochimique – qui est efficace. Le fait de participer à une expérience majore l'effet : nous n’avons pas de données établissant de façon claire l’utilité de la nicotine seule pour l’arrêt durable dans la population. Il semble que son impact à moyen terme (un an) soit statistiquement neutre, n'en déplaise aux marchands et prescripteurs intéressés.
La science dit une chose, la réalité en dit une autre : à votre avis, où se situe la vérité ?
Une méta-analyse récente (2009) sur l’usage de palliatifs de nicotine a identifié sept essais contre placebo, portant sur des fumeurs ne manifestant pas d'intention d'arrêter ou incapables de tenter un arrêt franc [3]. La plupart des données viennent d'essais cliniques avec soutien psychologique et suivi régulier et il est difficile de savoir si la substitution nicotinique sans ce contact régulier serait aussi efficace. La nicotine double les résultats du placebo, tous ces protocoles, sauf un, comportant différents soutiens dont les effets propres ne sont pas pris en compte dans le résultat global. Dans ces conditions (favorables), l’efficacité reste misérable : 6,75 % d’abstinence continue sur 6 mois, contre 3,28 % avec le traitement placebo. On peut aussi faire d’autres réserves. Six essais étaient totalement financés par la firme Pfizer. Le septième, qui bénéficiait d’un financement public complémentaire n’a pas été publié car il n’avait pas trouvé de différence significative. Il avait de plus montré la faiblesse du double-insu, les fumeurs ayant trop souvent deviné le traitement reçu (pharmacologiquement actif ou “placebo”).
À la décharge des professionnels de santé, la croyance dans l'efficacité de la nicotine pharmaceutique est tellement ancrée dans les esprits qu'il est raisonnable d'accepter que ce mythe perdure encore longtemps, d'autant qu'il n'y a pas d'alternative médicamenteuse. En effet :
« Les autres médicaments proposés pour aider au sevrage ont une balance bénéfices/risques défavorable. » |
Dont acte.
4°) Prendre sa décision
« Choisir une date d’arrêt et prévenir l’entourage afin d’être soutenu. » |
Nous aimerions savoir si ceci a été établi scientifiquement ou s’il s’agit d’avis de tabacologues enclins à conseiller des “aides” médicamenteuses de confort, qu’il convient bien sûr d’approvisionner avant l’échéance. Qu’il nous soit permis donc de contester cette recommandation.
On peut aussi bien réussir son arrêt sans en avoir fixé la date de façon précise et le faire dès que l’on se sent prêt(e).
Prévenir son entourage proche ? Éventuellement, mais claironner sa décision pour se contraindre à respecter sa tentative ne fait qu’ajouter à la pression : cette pression sociale et/ou affective est contre-productive. Arrêter en groupe par contre permet un utile effet d’étayage et est favorable : malheureusement la prise en charge médicalisée étant "personnalisée", cela est peu usité. Dommage !
Références
- Infos-Patients Prescrire - Se décider à arrêter de fumer (sur inscription) ;
La revue Prescrire 2012 ; 32 (339) : 62. Reproduit avec l’accord de Prescrire sans contrepartie financière, en respect de sa charte relative à l'autorisation de diffusion d'un texte tiré à part (pdf) - West R., Sohal T. ‘Catastrophic’ pathways to smoking cessation: findings from national survey. BMJ 2006; 332:458–60.
- Moore D, Aveyard P, Connock M, Wang D, Fry-Smith A, Barton P. Effectiveness and safety of nicotine replacement therapy assisted reduction to stop smoking : systematic review and meta-analysis, BMJ. (2009) ; 338 : b1024.
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