Stop-tabac.ch, un site populaire qui boude UnAirNeuf.org
Il était une fois un petit état neutre au centre de l’Europe choisi par l’Organisation Mondiale de la Santé pour y établir son siège : le canton suisse de Genève. Avec des financements publics et l'assistance de la Faculté de Médecine locale, Jean-François Etter a construit un site internet sur le sevrage tabagique nommé Stop-tabac.ch. C’est le site francophone le plus fréquenté sur le sujet : UnAirNeuf.org y a longtemps fait référence dans sa colonne de droite.
Ceci jusqu’à un jour de 2009 où M. Etter a fait disparaître votre blog préféré de sa liste de liens utiles, car « nous avons des avis divergents sur les traitements de la dépendance au tabac » (courriel du 02/06/09). Comme cela est malheureusement souvent le cas dans le monde de la tabacologie, les voix dissidentes du dogme de l’Église de Tabacologie sont excommuniées.
UnAirNeuf.org ne participe en effet pas à la communion des fidèles de la nicotine pharmaceutique ou des autres traitements médicamenteux aussi inutiles pour les fumeurs que la poudre de perlimpinpin. La confrontation de points de vue - documentés - désorienterait-elle et déstabiliserait-elle les fumeurs et les fumeuses à la recherche d'une hypothétique solution pour en finir avec leur tabagisme ? Apparemment, le débat d'idées fait de l'ombre à certains intérêts !
Des études critiquant le dogme pharmaceutique en vigueur
M. Etter, titulaire d’un doctorat ès sciences économiques et sociales est éditeur associé des revues scientifiques Addiction et Nicotine & Tobacco Research et par ailleurs maitre d’enseignement et de recherches à l’Institut de médecine sociale et préventive de Genève. Certaines de ses publications passées nous avaient vivement intéressé :
- l’étude montrant que l’on peut devenir dépendant aux gommes à la nicotine sans même avoir jamais fumé du tabac : Addiction to the nicotine gum in never smokers, BMC Public Health 2007, 7:159
- l’étude sur le score de Fagerström, montrant son absence de fondement scientifique bien qu’il soit dans le catéchisme de l’Église, cf. Au-delà du test de Fagerström ( version PPT, mai 2002) ;
- et aussi l’analyse de la majoration des résultats apparents de la substitution nicotinique par biais de publication, à hauteur de 30 %, cf. Citations to trials of nicotine replacement therapy were biased toward positive results and high-impact-factor journals. J Clin Epidemiol. 2009 Aug;62(8):831-7.
Monsieur Etter s’est dernièrement intéressé au phénomène de la cigarette électronique. Sa familiarité avec internet, réseau de distribution privilégié de ce dispositif et des e-liquides, lui a permis de vite sentir l’importance de cette nouvelle façon d’arrêter le tabagisme. Cette double compétence en recherche et sur internet nous permettait d’espérer de sa part quelques éclairages utiles. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Un parti-pris contre la cigarette électronique en tant qu’aide à l’arrêt
Le site Stop_tabac.ch a actualisé le 25 janvier dernier sa page sur la cigarette électronique “Ce que l'on sait sur la cigarette électronique”. On y apprend que ces OVNI (Objets de Vapotage Non Identifié) ont fait l’objet de recherches se voulant scientifiques, dont les conclusions sont indiquées sans trop s’inquiéter des liens d’intérêt des auteurs et de leurs financements traditionnels. Comme nous le disions dans notre article d’octobre 2011, Interview sur la cigarette électronique à la Télévision Suisse Romande du tabacologue Jean-François Etter, le parti-pris est flagrant : les adhérences avec le dogme tabacologique (les patchs et tutti quanti) restent collées à ses semelles. “Ce que sait Stop_tabac.ch de la cigarette électronique” n'est malheureusement pas objectif pour les fumeurs à la recherche d’informations.
Cigarette électronique, mon amie par bst31 (juin 2011).
Deux enquêtes pour deux conclusions biaisées
Nous relevons dans cet état de l’art "scientifique" deux rapports d'enquête auprès de vapoteurs, qui savent eux, de quoi ils parlent. La première enquête montre que la cigarette électronique est jugée utile pour cesser de fumer ; la deuxième enquête met en évidence qu’une approche complexe et multidisciplinaire s’impose à la recherche.
La e-cigarette est jugée utile (par ceux qui s’en servent) pour l'arrêt du tabac
Nous reconnaissons dans la présentation de la première enquête, menée par J-F. Etter et son équipe, la phraséologie consistant à mettre en doute les qualités du dispositif dans la réduction du risque : quand 96 % des répondants estiment qu’il est utile pour l'arrêt du tabac, maintenir au conditionnel que la ecig “pourrait s’avérer utile…”, c'est manquer de respect à leur parole.
On se moque des vapoteurs pleins de bonne volonté avec cette formulation biaisée. Quoi qu'ils pourront dire à la quasi unanimité, cela pourra se retournera contre eux : M. Etter prend le risque d'avoir à se trouver d'autres naïfs pour ses prochaines enquêtes. La cigarette électronique “pourrait être utile à l’arrêt du tabac”. Stop_tabac.ch instille le doute : les mots de l’auteur trahissent sa pensée, ses a priori et un déni de la réalité.
Voici un extrait de ce qui est rapporté ce jour : passons ces propos au crible si vous voulez bien.
Enquêtes auprès des utilisateurs : des indices de satisfactionPour appréhender la motivation des "vapoteurs", un questionnaire sur Internet a été proposé à 3587 utilisateurs de cigarette électronique [1]. Ce sondage a révélé que la e-cigarette était jugée :
La plupart des ex-fumeurs craignaient une rechute si on les empêchait d'utiliser la cigarette électronique (79 %). Selon le site, “Cette enquête révèle que la cigarette électronique procure une satisfaction élevée chez ses utilisateurs et pourrait s'avérer utile dans l'arrêt du tabac. Cependant, l'innocuité de ce produit pour la santé n'est toujours pas démontrée. D'autres études sont nécessaires pour évaluer la toxicité et l'efficacité de ce nouveau produit.” |
1 - Démontrer l’innocuité d’un produit pour la santé n’est pas possible
Il est dommage que le seul chercheur de langue française sur la cigarette électronique à notre connaissance manifeste sa faible compétence méthodologique en recherche : "Cependant, l'innocuité de ce produit pour la santé n'est toujours pas démontrée." dit l’article.
Au risque de nous faire détester encore un peu plus par les partisans des produits médicamenteux, nous rappellerons à J-F. Etter que démontrer l’innocuité d’un produit pour la santé n’est pas possible. Ses mots trahissent sa pensée et sa myopie scientifique, ce qui est dommage pour sa crédibilité.
- Montrer qu’un produit est sans danger nécessiterait d’autopsier tous ses consommateurs après leur décès pour en analyser les causes. Et même si on n'identifiait aucun lien entre la consommation d’un produit et le décès, rien ne prouverait que des effets nocifs ne puissent survenir à l’avenir avec un consommateur non décédé ;
- Demander à ce que l’on prouve l’innocuité de la cigarette électronique est un discours de patascience, évoquant un principe de précaution qui n’est pas légitime. S’il fallait interdire tout produit dont l’usage dans la durée n’a pas été prouvé sans risque, l’innovation pharmaceutique serait condamnée, ce qui n'est pas l'intérêt général.
Ainsi il n’a pas encore été mené d’étude sur la consommation durable de nicotine pharmaceutique sous forme de gommes à mâcher, alors que l’on sait pertinemment qu’une proportion significative d’anciens fumeurs en sont devenus ‘accro’ et en consomment durant des lustres. Les produits sont en vente libre partout et il est peu envisageable d’obtenir un financement pour une étude, puisque la quasi totalité des recherches en santé est financée par les industriels intéressés : ils n’auraient pas la stupidité de financer une étude laissant entrevoir un risque à l’usage, et d’autant plus que le produit n’est plus brevetable.
En pratique, les produits d’aide au sevrage tabagique sont légalement (juridiquement) considérés comme des médicaments et suivis à ce titre en pharmacovigilance. Le suivi des risques est fait a posteriori. Ainsi la varénicline et le bupropione, deux traitements médicamenteux de sevrage tabagique sont suivis de façon renforcée, compte tenu des nombreux signalements d’effets secondaires. Ils sont toujours dans la panoplie du tabacologue, malgré ces risques identifiés. Dénonçons ce double langage : des médicaments clairement dangereux seraient autorisés alors que la cigarette électronique, qui n'est pas un médicament, devrait “prouver son innocuité” !
2 - D'autres études sont nécessaires pour évaluer la toxicité. Quelle toxicité ?
Toxicité ? Qui parle de toxicité ? Pas les vapoteurs ayant répondu à l’enquête sur internet. Il s'agit de répandre la peur. Le problème c’est que Stop_tabac.ch ne peut mentionner de preuve de toxicité.
Il peut y avoir une toxicité éventuelle, à long terme, mais aujourd’hui cela reste de l’ordre de la supposition. Il n’y a aucune étude montrant que vapoter la cigarette électronique s'est avéré dangereux : ajoutons que nous n’avons pas connaissance d’un seul signalement de risque avec les produits mis sur le marché par les grandes marques (il y a des problèmes récurrents de non-qualité avec certains fournisseurs peu sérieux lit-on sur les forums).
Les spécialistes s’accordent par contre pour reconnaitre que la cigarette électronique, ne comprenant aucun produit cancérogène, est de l’ordre de 100 fois moins nocive que le tabagisme. La nocivité doit être de l’ordre de la toxicité des prétendus “substituts nicotiniques”. Nous tartine t-on avec la TOXICITÉ des “substituts” nicotiniques ? Stop_tabac.ch n’en pipe pas mot. Pourquoi ce double langage ?
3 - Vapoter est une mesure de prudence (mise à jour 02.02.2012)
Selon les propos de Robert Delorme, professeur émérite à l'université dans Le Monde [3] :
« La précaution désigne la situation dans laquelle les connaissances sont insuffisantes pour établir scientifiquement l'existence d'un risque susceptible d'affecter l'environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire.
« En France, le principe de précaution est défini comme l'obligation faite aux autorités publiques de mettre en oeuvre "des procédures d'évaluation des risques" et d'adopter "des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage". En cela, ce principe se distingue radicalement de la prévention. Celle-ci est formalisée sur la base d'expériences de dommages et de distributions statistiques. Le risque est avéré, probabilisable et évaluable selon des procédures disponibles.« La décision dans la démarche de précaution ne peut pas répondre aux mêmes critères qu'en prévention. Elle relève alors d'une logique de décision spécifique qui ne se réduit notamment pas à une décision d'experts surplombant la population intéressée, mais appelle un processus de participation des parties prenantes.
« Le principe de précaution appelle une démarche d'évaluation complexe. Transdisciplinarité, apprentissage, construction participative de connaissances, transparence, exposition à la critique et à l'erreur, possibilité de révision, organisation de l'exercice d'une capacité de jugement incluant experts et autres parties prenantes, sont quelques-uns des maîtres mots de la démarche complexe. Mais il y a un obstacle principal. Il est intellectuel. Il réside dans la croyance, dominante au sein de la communauté scientifique, en l'exclusivité de la démarche fondée sur la démonstration classique en sciences. »
Grâce à l’apport du droit germanique, le texte européen qui est entré dans notre Constitution prévoit une exonération du principe de précaution pour tout ce qui concerne le développement. Ainsi, le développement d’un nouveau matériel de prothèse pourra se faire sans qu’intervienne ce principe.
Mais dès la publication du premier article dans une revue scientifique qui mettrait en garde contre un défaut grave de ce matériel, ce serait la fin de l’exonération du principe de précaution et le médecin devrait prendre les mesures nécessaires. ‘Primum non nocere’, certes mais ‘deinde curare’. D’abord ne pas nuire mais, ensuite, soigner.
Il revient aux pourfendeurs de la cigarette électronique de veiller à ne pas inverser les rôles. Malgré dix millions d'exemplaires vendus et de l'ordre d'un million de vapoteurs actifs, il ne leur a pas encore été possible de démontrer que ce dispositif présente des risques. Pour les fumeurs invétérés, compte tenu du danger reconnu du tabagisme, l'usage de la cigarette électronique est en attendant une sage mesure de prudence.
Qui sont les "vapoteurs" ?
Une étude qualitative américaine mentionnée a cherché à identifier les centres d'intérêts et les préoccupations des utilisateurs de cigarettes électroniques, en menant des entretiens auprès de 15 vapoteurs réguliers [2]. Voici la présentation qui en est faite :
Interview d’utilisateurs“Certains thèmes récurrents sont ressortis de ces discussions. Par exemple, les auteurs parlent d'une courbe d'apprentissage concernant la cigarette électronique. En effet, ces objets sont plus complexes que les cigarettes de tabac, leurs utilisateurs apprennent à s'en servir et à connaitre la technologie qui les compose. Une véritable communauté au jargon spécifique nait de ce phénomène : les utilisateurs expérimentés accueillent et expliquent toutes les "ficelles de la vapote" aux nouveaux venus. Ces particularités d'emploi et cette complexité technologique (les différents fonctionnements des appareils, propriétés des liquides et substances utilisées, etc.) sont à prendre en compte dans toutes recherches futures, qu'elles portent sur l'efficacité de ces systèmes dans l'arrêt du tabac ou sur le danger qu'ils représentent pour la santé.” |
De ces propos, nous tirons la conclusion que les méthodes classiques d’étude pharmacologique pour une molécule ou un mélange titré de molécules ne sont pas applicables, ce qui relativise l’intérêt des recherches citées dans cet “état de l’art” selon Sotp-tabac.ch. Le vapotage relève plus des approches complexes des sciences sociales et humaines que des méthodes de la biologie ou de la médecine, sciences de la certitude, de l’expérimentation, du sûr et du dur. Encore peu standardisée industriellement, évoluant rapidement, fréquemment contrefaite sans vergogne, la cigarette électronique est un objet aussi difficile à appréhender que peut l'être le narguilé, dont les études sont farcies d'approximations hasardeuses [4].
On aimerait que l'on s'intéresse à l'utilité de la cigarette électronique, aux avis des 96 % de vapoteurs la trouvant utile comme remède au tabagisme, plutôt qu'à des recherches sur leur risques hypothétiques à long terme. On aimerait que le vapoteur ne soit pas assimilé à des poumons sur pattes et que son intelligence, son apprentissage, etc. soient pris en compte.
Se focaliser sur les risques éventuels sans les mettre en regard des bénéfices n'est pas légitime. C'est le rapport entre des bénéfices et des risques qui compte : ce rapport est à l'évidence faborable en l'état actuel des connaissances, et pas seulement sur le plan sanitaire des seuls vapoteurs.
Le cadre scientifique habituel de la seule médecine est peu en mesure d’établir des savoirs utiles : il conviendrait de briser l’armure. La cigarette électronique n’est suspectée d'être un “médicament” que par la vertu d’une décision politique contestable et corporatiste. Malheureusement, Stop_tabac.ch tente d’imposer un apanage médico-sanitaire. Comme dans l’arrêt du tabagisme, biaiser avec la réalité a conduit à l’impasse - puis à l’échec maintenant reconnu - de la tabacologie médicale. Compatissons.
“Ce que sait Stop_tabac.ch de la cigarette électronique” n’est donc toujours pas très utile aux fumeurs à la recherche d’informations. Vous pouvez avantageusement en faire l'impasse : les forums – indépendants - d’utilisateurs seront un viatique à préférer. Les parti-pris y sont rapidement détectés et modérés : vive le web participatif.
Note (pour mémoire)
UnAirNeuf.org est un site bénévole d'actualités relatives à l'ensemble des remèdes potentiels au tabagisme et son éditeur n'avait - à la date du 27.01.2012 - aucun lien d'intérêt particulier présent ou passé avec les acteurs du marché de la cigarette électronique. Ni, d'une façon plus générale, avec aucun marchand de produits. Cf. svp. la déclaration publique d'intérêts en page À propos.
Références
- Etter J-F., Bullen C. (2011). Electronic cigarette: user profile, utilization, satisfaction and perceived efficacy. Addiction, 106: 2017–2028. ; Doi: 10.1111/j.1360-0443.2011.03505.x [version pdf]
- McQueen A., Tower S., Sumner W. (2011). Interviews with "vapers": implications for future research with electronic cigarettes . Nicotine Tob. Res., doi: 10.1093/ntr/ntr088.
- Prévention ou principe de précaution ? Une question insoluble scientifiquement, Le Monde, 23.09.2010
- Sur la question, l'analyse critique de K. Chaouachi fait référence : Hookah (Shisha, Narghile) Smoking and Environmental Tobacco Smoke (ETS). A Critical Review of the Relevant Literature and the Public Health Consequences ; Chaouachi K., Int. J. Environ. Res. Public Health 2009, 6(2), 798-843; doi:10.3390/ijerph6020798
À lire sur le même sujet
Excellente analyse ! Si on sait (ou prétend savoir) que la fumée de tabac contient plus de 4000 substances (toxiques ou pas ? P. ex. la vapeur d'eau ?) dont 30, 40, 60 sont cancérigènes, on pourrait très facilement déterminer les substances que contient la vapeur d'une e-cigarette. Probablement en moins d'une heure, une telle analyse pourrait être accomplie.
Si J.-F. Etter prétend ne pas connaitre la toxicité de l'e-cig, c'est qu'il ne veut pas le savoir, car il craint le résultat dévastateur d'une analyse : elle révélerait que la toxicité est comparable à celle d'un bâton de réglisse.
Rédigé par : benpal | 28/01/2012 à 22:47
Boom ! UnAirNeuf a encore frappé ! Excellent article qui offre un point de vue "neuf".
Attention à ne pas tomber dans la guéguerre non plus, ça serait dommage ....
Rédigé par : ma cig | 11/02/2012 à 15:40