Dans des aveux emberlificotés à l'hebdomadaire L'Express [1], le Pr Bertrand Dautzenberg a déclaré avoir “clairement des liens avec la totalité des industriels qui proposent des substituts nicotiniques”. Enfin une déclaration publique ! Extrait :
L’Express : Pourquoi niez-vous l'existence de liens d'intérêts chez les médecins experts ?
B. Dautzenberg : Mais je ne nie rien du tout ! Au contraire, je pense qu'il en existe toujours.
L’Express : Est-ce si difficile de trouver un expert sans liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
B. Dautzenberg : Un bon expert sans lien d'intérêts, ça n'existe pas ! Car s'il est bon, il sera amené à travailler à la mise au point de nouveaux traitements et, donc, de réaliser des essais pour l'industrie pharmaceutique. Dans mon cas par exemple, j'ai clairement des liens avec la totalité des industriels qui proposent des substituts nicotiniques. Du coup, je n'ai aucune raison de privilégier l'un ou l'autre, je pense même que j'exploite les labos davantage qu'ils ne m'exploitent !
Les liens d'intérêts ne se soustraient pas : ils multiplient la probabilité de conflits, au détriment de la santé publique
La déclaration de ses liens d'intérêt reste obligatoire à chaque intervention d'un professionel de santé. En s'abstenant soigneusement de le faire, les leaders d'opinion médicaux se croient au dessus de la loi commune s'appliquant au commun des mortels. Jusqu'à plus ample informé, aucune loi ne leur reconnait ce droit [4] : ils sont alors dans l'illégalité. Comment leur accorder notre confiance alors ?
Les mandarins du sytème médico-universitaire s'estiment-ils légitimes à apprécier si leurs innombrables liens avec l'industrie entrainent des conflits avec l'intérêt des patients ? Malheureusement leur propre avis ne compte pas : impossible de se juger soi-même objectivement. Seuls les bénéficiaires, leurs proches ou leurs représentants éventuellement sont légitimes à apprécier. Alors d'accord ou pas d'accord ?
D'accord ou pas d'accord ?
Ces allégations emberlificotées constituent une dés-information supplémentaire. Jugez plutôt :
1°) Il existe malheureusement des experts qui ont refusé l'allégeance à l'industrie. En France, nous citerons le Pr Molimard, pionnier de la tabacologie médicale en France (cf. sa biographie sur Wikipedia).
2°) B. Dautzenberg n'imagine pas qu'avoir été couvé par l'industrie pharmaceutique pour faire la promotion éhontée de produits inefficaces - et ce depuis des lustres - puisse avoir eu une influence sur son indépendance d'esprit. Prétention jupitérienne : la poutre qu'il ne voit pas est dans son oeil.
3°) Le Pr Dautzenberg, professeur de pneumologie, n'a pas de consultation dédiée à l'arrêt du tabagisme (en tout cas n'accepte pas d'étudiants en tabacologie en stage dans son CHU). Ce qui laisse planer un doute sur l'actualisation de son expertise opérationnelle pour l'aide aux fumeurs désirant cesser leur tabagisme.
4°) Pour mémoire : il est maintenant confirmé qu'en dehors des expérimentations cliniques avec des cobayes volontaires - non représentatives de la pratique en médecine de ville - les aides médicamenteuses ne majorent pas les chances de cessation du tabagisme [2].
Cet aveu est-il une ultime bravade avant la chute de l'idole ou un détail de l'histoire ?
La collusion de M. Dautzenberg avec l'industrie pharmaceutique : un « détail » ?
Il se trouve que Bertrand Dautzenberg est l'une des figures emblématiques du lobby médical faisant de la tabacologie son fonds de commerce (aux frais de la collectivité). Comme le présente L'Express :
« Pneumologue, professeur, chef de service à l'hôpital de La Pitié Salpétrière à Paris, spécialiste de l'addiction au tabac, consultant pour de nombreux laboratoires pharmaceutiques, expert auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) : Bertrand Dautzenberg est un médecin aux multiples casquettes ! ».
Ajoutons qu'il est aussi président d'une toile d'associations (loi 1901) ayant pour objet social l'activisme anti-fumeurs. La plus influente médiatiquement est l'Office Français de Prévention du Tabagisme (OFT). Et M. Dautzenberg est aussi gérant de la société commerciale OFT Entreprise, dont le business est la raison d'être. Il est aussi membre du Conseil d'Administration de l'association Société Française de Tabacologie. Tout ceci constitue beaucoup de liens… qui sont autant de cumuls d'intérêts.
Une logique de parasites
L'association Société Française de Tabacologie ayant réuni son congrès annuel à Nancy en novembre [5] a publié le communiqué suivant, destiné aux media :
« Le congrès de tabacologie réuni les 17 et 18 novembre 2011 a étudié les données médico-économiques sur l’arrêt du tabac en France et en Europe. Le remboursement des produits d’arrêt du tabac est scientifiquement établi comme une des interventions médicales ayant le meilleur rapport coût/efficacité. La Société Française de Tabacologie et les 400 spécialistes réunis à Nancy demandent donc à ce que les traitements de l’arrêt soient intégralement pris en charge en France. »
Pas de problème : faisons prendre en charge nos gri-gris inefficaces par la solidarité nationale, pleine aux as comme on sait. Bien sûr, que les taba-coco-logues soient réunis en conclave sous l'égide des laboratoires n'a aucune influence sur nos idoles au panthéon, qui n’œuvrent que désintéressés pour le bien public.
Avec un rapport coût / efficacité aussi démesuré, on ne peut pas dire que la corporation médicale se montre très responsable dans la gestion des ressources publiques. "Gavons nous avec ce qui reste !" semble être le leitmotiv d'une corporation parasite d'une société qu'elle contribue à rendre malade (cf. les scandales récents). Ainsi dans son autobiographie, Simone Veil raconte ses débuts au Ministère de la Santé [6] :
Je me souviens de réunions au cours desquelles je tentais d'ouvrir les yeux des médecins par des propos qui me semblaient relever du bon sens : "La médecine a un coût, mais elle a surtout un prix. Il faudra en être conscient", leur répétais-je, lisant dans leurs regards l'incompréhension la plus totale.
Un dernier « détail » pour l'histoire : OFT Entreprise, la petite PME du professeur, organise le congrès annuel de l'Association Société Française de Tabacologie, sollicitant et récoltant les financements des généreux industriels dont la seule raison d'être est le profit. M. Dautzenberg affirme qu'il n'y voit pas de conflit, non, non. Pour sa défense, reste l'hypothèse qu'il ait été illuminé par la grâce !
Références
- "Un bon expert médical sans lien d'intérêts, ça n'existe pas !", L’Express, 01.02.2012
- Les patchs ne gagnent pas le match& : une nouvelle étude démontre la totale inefficacité des palliatifs de nicotine
- Communiqué de presse de la Société Française de Tabacologie - Déclaration de Nancy
(pdf) - Cf. Les tabacologues échappent aux plaintes de l’UFC-Que Choisir et du Formindep et Retraits de recommandations de la Haute Autorité de Santé : et deux de chute !
- Congrès 2011 de la Société Française de Tabacologie : pour labo-tomiser ?
- Simone Veil, Une vie, Stock (2007), p. 157
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