Va t'on assister au déclin des services d'aide à l'arrêt du tabac ?
La tabacologie est la discipline médicale qui s'intéresse aux pathologies associées au tabagisme et aux moyens de les prevenir. Les méthodes recommandées aux professionnels de santé sont essentiellement le recours à des traitements pharmaceutiques et, sans que cela soit pratiqué significativement, aux thérapies comportementales et cognitives. Les résultats en sont - nous serons gentil - particulièrement modestes.
Depuis quelques années est apparue une nouvelle facilité : la cigarette électronique, distribuée en pharmacie (toujours), chez les buralistes et plus récemment dans les grandes surfaces. Il existe en France une centaine de sites internet la commercialisant et une vingtaine de boutiques, dont par exemple quatre dans la seule ville de Caen. Assuré par des convertis, son développement commercial est explosif : les fumeurs invétérés ont enfin trouvé un produit qui les a aidé à arrêter de fumer et ils s'engagent, les uns après les autres, pour faire partager leur découverte avec quelque profit. Faute de clients, les tabacologues vont-ils bientôt pointer à Pôle Emploi ?
Ils s'inquiètent d'autant plus qu'ils ne peuvent légitimement recommander l'usage d'une cigarette électronique, aucune n'ayant encore été autorisée comme un produit de santé. En attendant que cela devienne le cas, ils organisent des réunions publiques pour tenter de mieux comprendre le phénomène et aussi pour neutraliser une solution qui rend leurs services sans grand intérêt. Cela a été le cas à Bayeux et à Clermont-Ferrand à la fin de l'année 2011 [1, 2].
Avec l'apparition d'une aide enfin efficace, va t'on assister à un remplacement des services d'aide à l'arrêt du tabac par les conseils et le suivi des marchands de cigarette électronique ? Certains tabacologues reconnaissent se poser la question. L'interview de Nelly Luksenberg, gérante de Altercig, une des nombreuses spécialistes converties à ce produit, conforte cette éventualité.
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UnAirNeuf : Bonjour, tu peux me raconter comment t'est venu cet intérêt pour la cigarette électronique ?
Altercig : Fumeuse invétérée durant 35 ans, je me heurtais toujours au même problème. S’abstenir de cigarette est possible même si cela demande de la motivation et de la détermination. La véritable difficulté était de tenir après 6 mois d'arrêt suite aux effets négatifs : dépression systématique, instabilité émotionnelle, prise de poids, etc. Du coup, à la moindre faille je re-fumais. Je me suis donc intéressée à la cigarette électronique et ça a vraiment changé ma vie. En quelques jours j'ai abandonné les cigarettes de tabac, et je suis restée dans mon plaisir de fumeuse en devenant « vapoteuse ».
UnAirNeuf : Tu aides les fumeurs invétérés à se libérer de leur dépendance au tabagisme. Quelle éthique sous-tend ton action ?
Altercig : Après plusieurs mois d'expérimentation personnelle, j'ai eu envie de faire partager cette découverte en devenant vendeuse de cigarettes électroniques. Je reçois les gens à mon domicile sur rendez-vous. On passe en général une heure ensemble la première fois. Je prends le temps d'écouter leur problématique avec le tabac. J'essaie de les amener à prendre conscience de ce qu'ils cherchent à travers la démarche « électronique ».
On fait du vocabulaire :
- la différence entre fumer et vapoter,
- le plaisir de l'inhalation (contraction du pharynx/hit),
- les méfaits de la combustion,
- le rôle de la nicotine dans l'addiction et son rôle dans le liquide électronique,
- etc.
Parfois, je reçois une personne qui a déjà cessé de fumer ; je l'invite généralement à poursuivre sa démarche d'arrêt avec la méthode qu'elle a choisie en lui exposant qu'elle risque d'aimer la cigarette électronique et que si son but est vraiment de s'affranchir de toute dépendance, il y a un risque de dépendance - infiniment moins risquée, mais dépendance quand même ! - au vapotage.
Mon éthique provient du fait que je viens d’une famille de professionnels de santé et que ma démarche personnelle (et de vie) m'incite à aider les autres.
UnAirNeuf : Comment procèdes-tu de façon générale ? Quels sont tes résultats ?
Altercig : D'abord, le fait de recevoir à la maison sur rendez-vous crée un climat de confiance et de thérapie à la démarche, plus qu'une boutique. Ensuite, je montre mon expérience personnelle et en quoi je pense pouvoir les aider. On parle beaucoup et pas uniquement technique. La technique, c'est moi qui l'apporte, mais je laisse la place pour l'expression de mon client. Ils me confient leurs difficultés, leurs expériences, leurs souhaits.
Les gens qui abandonnent la cigarette électronique ne me le disent pas. Il y en a surement un certain pourcentage. Mais en général, ils en imputent l'échec à un manque de motivation de leur part : souvent ils offrent leur cigarette électronique à un ami, qui vient ensuite me voir pour des recharges en e-liquide. Quelques échecs sur les gens qui sont passés en Zéro nicotine sans solide raison médicale.
Il m’est difficile d'évaluer les résultats de manière tangible dans la durée. Mon activité repose sur le bouche à oreille, et mon activité s'accroit régulièrement. C'est un signe qui ne trompe pas.
UnAirNeuf : Si tu avais à donner un conseil à un fumeur nicotiniqué par un tabacologue et déçu, quel serait-il ?
Altercig : J'explique ça tous les jours : au mieux, les patchs jouent un rôle placebo en concrétisant la volonté d’arrêt de la cigarette, mais on sait que cette volonté ne protège pas de la récidive. J'explique aussi que même si la nicotine joue un rôle dans l'addiction, ce n'est pas à la nicotine qu'on est accro. S'il suffisait d'un apport de nicotine pour arrêter de fumer, on n'en parlerait plus depuis longtemps !
Le rôle politico-financier des firmes pharmaceutiques est infiniment pervers. Et les tabacologues vendeurs de patchs sont (peut-être à leur corps défendant) victimes du système
Tabac = argent
- pour l'État,
- pour les labos,
- pour les publicitaires et même,
- pour la Sécurité Sociale (même si un fumeur coûte cher, il meurt plus vite qu'un non-fumeur et donc on économise sur les pensions de retraite).
UnAirNeuf : Si tu avais un conseil pour faire progresser les tabacologues, ce serait quoi ?
Altercig : Avoir l'esprit plus ouvert. Essayer de voir comment ils peuvent utiliser la cigarette électronique dans une perspective à plus long terme de réel sevrage. Bref, s'informer et collaborer au lieu de nous combattre.
UnAirNeuf : Comment vois-tu l’avenir ?
Altercig : Il serait vraiment intéressant que les médecins ouvrent un peu aussi leur porte à ce dispositif en mettant en œuvre des recherches scientifiques. Trop peu de généralistes s'informent ou cherchent des infos. Quelques médecins m'adressent leurs patients, mais ça reste très rare.
On a tout à gagner à un rapprochement :
- vendeurs de cigarettes électroniques +
- médecins +
- tabacologues +
- chercheurs (indépendants), etc.
Si on voulait prévenir les risques sanitaires, il faudrait en effet faire des recherches objectives, en s’abstenant de confier ces études à des gens qui ont des conflits d'intérêt.
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Présentation de Altercig
Vente directe et conseil sur rendez-vous depuis 2010 :
- via Internet altercig.fr,
- sur Facebook http://www.facebook.com/pages/Altercig/,
- tél. : 06 62 44 96 01
(Au risque de lasser nos lecteurs fidèles, il nous faut rappeler qu'UnAirNeuf.org
restait vierge de tout lien commercial ou publicitaire au moment de cette publication…).
Références
- Banalités à la conférence Pfizer sur la cigarette électronique de Clermont-Ferrand
- L'unité d'addictologie de Bayeux a accueilli l'association COM Addict vendredi 25 novembre 2011 à un colloque intitulé « La fume ».
L'association regroupant les intervenants en addictologie de Basse-Normandie (Calvados, Orne, Manche) a donné la parole au Dr O. Legal de Caen : « Mise au point des données actuelles sur la cigarette électronique »
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