Quels progrès ont été accomplis durant les vingt dernières années par les multiples initiatives visant à accroitre la cessation du tabagisme des fumeurs ? Une étude américaine très fouillée montre que les politiques mises en œuvre n’ont globalement pas eu d'effet positif, contrairement aux espérances de leurs instigateurs.
Cette étude analyse les données des interviews d'enquêtes nationales de santé publique aux États-Unis de 1991 à 2010. Les résultats montrent l'absence d'augmentation du taux de cessation du tabagisme dans la population au cours des deux dernières décennies [1].
Diverses explications sont évoquées pour ce manque d'amélioration. Les auteurs suggèrent en conclusion que les acteurs de la prévention du tabagisme ont mis l'accent sur le développement et la promotion des interventions pour améliorer les chances de succès des fumeurs en négligeant les moyens d'obtenir davantage de candidats à l'arrêt et de tentatives de leur part. Les acteurs de la prévention du tabagisme ont mis l'accent sur le développement et la promotion de traitements médicamenteux en supposant que la plupart des fumeurs en profiteraient et que ceci aboutirait à augmenter le taux d'arrêt dans la population. Les recherches futures devraient examiner si un accroissement des tentatives d'arrêt peut être la clé de l'amélioration du taux de cessation dans la population.
La principale cause de cet échec patent provient des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique des experts mandatés pour proposer les actions de prévention
Pourquoi un tel écart entre les discours, les actions et les résultats ? Selon nous, la principale cause de cet échec patent provient des conflits d’intérêts entre les experts mandatés pour proposer les actions de prévention avec les fabricants de produits pharmaceutique. Aussi bien aux USA qu’en France [2, 3], les experts sont perclus de liens culturels, historiques et sociaux avec les fabricants de spécialités pharmaceutiques qu’ils recommandent. Les recommandations officielles relèvent du marketing de l’industrie pharmaceutique. L’échec constaté de façon empirique est nié, et à chaque fois d’autres pistes d’action sont proposées, sans qu’une évaluation soit menée, sans parler de sanction pour incompétence notoire.
Quand un médecin n’arrive pas à remplir sa salle d'attente, qu'il fasse tabacologue…
Que risque un tabacologue hospitalier en cas d’incurie ? Rien de bien grave : les prestations d’aide à l’arrêt ne sont pas évaluées en France. Les quelques 600 centres de tabacologie fonctionnent à fonds perdus sans que l’administration de la santé s’intéresse au retour sur investissement. Comme le disait (méchamment) un médecin généraliste : “Un médecin qui n’arrive pas à remplir sa salle d'attente, qu'il fasse tabacologue”.
Que ces tabacologues aspirent en outre au remboursement intégral d'inefficaces gri-gris médicamenteux ajoute à l'infamie…
Pour une révision complète de la prévention du tabagisme
Face à cet échec et en attendant mieux, nous proposons d'examiner avec le plus grande attention la mesure de précaution consistant à réduire le risque pour les fumeurs. Plusieurs options existent :
- substitution nicotinique à long terme (pour ceux qui la supportent),
- cigarette électronique,
- tabac oral (Snus), etc.
La condition nécessaire de cette salutaire révolution est un affranchissement de la dépendance aux largesses prodiguées par l'industrie de la nicotine pharmaceutique. Il convient de retirer la mainmise de la prévention du tabagisme des affidés de l'industrie, et notamment des leaders d'opinion médicaux présentant des liens d'intérêt manifestes. Il serait parallèlement souhaitable de faire cesser le dénigrement suspect des approches non médicales.
Le taux annuel d'arrêt du tabagisme aux États-Unis de 1991 à 2010 est resté inchangé malgré l'augmentation du recours aux aides médicamenteuses
Les données de la figure suivante sont tirées des enquêtes de la National Health Interview Survey (NHIS). Les résultats ont été chaque fois pondérés pour être représentatifs de la population nationale des adultes âgés de 18 ans et plus. Les taux d'arrêt varient d'année en année mais sans tendance significative à la hausse dans le temps :
Évolution du taux de cessation du tabagisme (> 3 mois) ces vingt dernières années
Les tentatives pour calculer à une tendance linéaire pour ces données (pondérées par la taille de l'échantillon pour chaque année de l'enquête) ont montré des pistes légèrement négatives et non statistiquement différentes de zéro. Bien que certaines années ont des taux d'arrêt plus élevés que d'autres, il n'y a été possible de montrer une périodicité ou une prévisibilité de ces taux. Statistiquement parlant, il n'y a pas de tendance.
En moyenne, le taux d'arrêt annuel (défini comme un arrêt du tabagisme pendant au moins 3 mois) pour tous les fumeurs aux États-Unis et sur la période s'élève à 4,4 %.
L'augmentation de l'usage des aides ne se traduit ni en arrêts ni en tentatives d'arrêt du tabagisme
Une réponse immédiate aux données indiquées dans la figure consiste à attribuer l'absence d'amélioration du taux d'arrêt dans la population à un nombre insuffisant de fumeurs ayant recours à un traitement médicamenteux. Un taux d'utilisation du traitement qui serait considéré comme suffisant n'a pas été documenté ; il a toutefois longtemps été prétendu que leur recours était trop faible. Il est allégué que les fumeurs qui veulent cesser de fumer doivent utiliser un traitement augmentant les chances de réussite. Que beaucoup n’y aient pas recours est considéré comme un problème. Aussi beaucoup d'efforts ont porté sur l'accroissement de la demande des consommateurs pour les traitements de sevrage tabagique.
L'utilisation aux Etats-Unis de produits pharmaceutiques pour le sevrage tabagique a effectivement augmenté de manière significative au cours des deux dernières décennies. La figure 2 montre les données provenant d'enquêtes NHIS en 1992, 2000, 2005 et 2010 lors desquelles l'utilisation de médicaments de sevrage a été évaluée.
L'augmentation l'usage des aides ne se traduit ni en arrêts ni en tentatives
Comme indiqué dans le premier groupe de barres, l'utilisation d’aides médicamenteuses a augmenté de façon significative entre 1992 et 2010. En 2000, 22,1 % des fumeurs ayant fait une tentative d'arrêt du tabac ont eu recours à des traitements pharmaceutiques. Ceci a encore augmenté à 31,2 % en 2010. Cependant on ne constate pas d'augmentation correspondante du taux d'arrêt durant trois mois, comme indiqué dans le deuxième groupe. Ce taux d'arrêt varie aussi mais en correspondance avec la probabilité de tentative d'arrêt (troisième groupe) plutôt qu'à une variation dans l'utilisation des médicaments de sevrage tabagique.
Les données au Royaume-Uni confirment le constat d'incurie
Au Royaume-Uni, la consommation de médicaments s'est accrue de façon plus spectaculaire et dans une période plus courte [4]. De 1999 à 2001, suite à un changement dans la politique de prise en charge des médicaments réputés aider au sevrage tabagique, la proportion des tentatives d'arrêt associées à l'utilisation des médicaments est passée de 28 % à 61 %. Contrairement aux attentes, ceci ne s'est pas traduit dans le taux d'arrêt dans la population durant cette période.
De la même façon, l'introduction fin 2006 de la varénicline (marque Champix de Pfizer) n'a pas accru le nombre de tentatives d'arrêt [5]
UK : pas d'augmentation des arrêts suite à l'introduction de la varénicline (marque Champix)
Des effets contre-intuitifs
Une question importante est la possibilité de conséquences non intentionnelles de la promotion des actions en direction du public. Par exemple, une insistance excessive sur l'efficacité des médicaments d'aide au sevrage peut amener les fumeurs à penser qu'ils ne peuvent arrêter sans aide pharmaceutique, à abaisser leur confiance dans leurs capacités et par là à réduire le nombre de tentatives pour cesser de fumer. Une telle réduction n'est pas normalement détectée dans les essais cliniques, qui sont généralement conçus pour comparer un traitement médicamenteux actif à son placebo et non à comparer un message promotionnel à un autre. Une réduction éventuelle du taux de base de la propension à l’arrêt due à la promotion se produirait de façon égale avec le traitement ou le placebo, sans faire de différence relative quant au résultat (ou bien l'accroissant). Selon un tel scénario, les médicaments peuvent continuer à être prétendus efficaces pour ceux qui les utilisent sans qu'une augmentation du taux d'utilisation ne conduise à un accroissement de la cessation au niveau de la population générale.
Des conséquences indésirables peuvent se produire avec d'autres interventions. Par exemple, quand les taxes sur le tabac sont augmentées, certains fumeurs répondront en cessant de fumer et d'autres en réduisant leur consommation. Ceux qui répondent par la réduction de la consommation peuvent penser qu'ils ont pris une mesure positive et ont moins le désir de cesser de fumer. Si les fumeurs restants sont suffisamment satisfaits de leur réduction et ne tentent plus d'essayer de cesser complètement le tabagisme, le taux d'arrêt peut en fait réduire quelques années après une augmentation des impôts. À ce jour – et ceci constitue une lacune remarquable dans la littérature – peu de chercheurs ont examiné de façon empirique si des conséquences inattendues se produisent.
L'absence évident de progrès dans la cessation du tabagisme dans la population au cours des deux dernières décennies suggère que les acteurs doivent concevoir des études qui seront plus à même d'évaluer spécifiquement les effets des interventions sur le niveau de la population plutôt que de s'appuyer sur des arguments logiques en extrapolant à partir d'études cliniques.
Recommandation : accroitre le nombre des tentatives d'arrêt
Que les fumeurs doivent d'abord essayer de cesser de fumer avant qu'ils puissent réussir est une vérité de La Palisse, ce qui rend évidente l'importance des tentatives d'arrêt. Cependant les acteurs de la prévention se sont tellement concentré sur l'élaboration d'interventions visant à améliorer les chances de succès pour les fumeurs souhaitant arrêter qu'ils ont passablement négligé d'investiguer la façon de les inciter plus nombreux à tenter de le faire et à essayer plus souvent.
Le taux de tentatives d'arrêt chez les fumeurs aux États-Unis de 1991 à 2010 (défini comme une abstinence de tabac pendant au moins 24 heures) varie au fil des ans, mais prédit le taux de cessation annuelle : il est resté inférieur à 50 % dans la plupart des cas. Toutes les interventions mises en œuvre au cours des 20 dernières années n'ont pas permis d’accroitre le taux de tentatives au delà de 50 %. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que le taux annuel d'arrêt du tabagisme n'ait pas augmenté durant cette période.
Références
- Interventions to increase smoking cessation at the population level: how much progress has been made in the last two decades?
Zhu & al., Tob Control 2012;21:110-118 doi:10.1136/tobaccocontrol-2011-050371
- Les conflit d’intérêts profitent aux médecins et à l'industrie de la santé : les fumeurs et les fumeuses en payent le prix
- Déclaration des liens d'interêt du Pr Dautzenberg (OFT) à l'AFSSAPS
- Impact of UK policy initiatives on use of medicines to aid smoking cessation,
West R, DiMarino ME, Gitchell J, et al., Tob Control 2005;14:166–71.
- Did the introduction of varenicline in England substitute for or add to the use of other smoking cessation medications?,
Kotz D, Fidler JA, West R ; Nicotine Tob Res 2011;13:793–9.
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