Dans le cadre des tchats Neuroblog organisés par la Fédération pour la Recherche sur le Cerveau (FRC), le Pr Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, professeur au Collège de France et membre du conseil scientifique de l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies animait jeudi 8 mars un chat sur la question que se posent les fumeurs (cliquer sur le lien) :
Les substituts nicotiniques sont-ils efficaces ?
La réponse est NON comme le savent tous ceux qui les ont essayé en vain, même de façon répétée : ils soulagent le portefeuille sans réduire ni augmenter les chances de réussite à terme. La béquille des premiers jours apporte un réconfort mais très vite on se rend compte que la nicotine pharmaceutique ne règle rien, quel que soit le dosage.
Avec son équipe, J-P. Tassin a montré que la nicotine seule n'induisait pas les phénomènes d'addiction dus à l'alcool, aux opiacés ou à la cocaïne. Ceci invalide la théorie de la "dépendance à la nicotine", construction mythique des entreprises de médicaments pour écouler des produits pharmaceutiques inutiles. Voici sa démonstration scientifique :
« Du point de vue neurobiologique, l’addiction est la conséquence de l’activation répétée de deux systèmes qui normalement sont liés et qui perdent ce lien. J’utilise la métaphore suivante :
- la noradrénaline est un coureur de sprint,
- et la sérotonine un coureur de fond.
Ces deux coureurs tournent sur un stade et sont reliés par un fil. Au coup de feu, le sprinter se met à courir et le coureur de fond le ralentit, le sprinter se fatigue mais le coureur de fond continue et tire à son tour le sprinter.
Quand vous prenez de la drogue vous faites courir les deux coureurs ensemble, à la même vitesse : vous les synchronisez. Une fois synchronisés, ils n’ont plus de raison d’avoir un lien puisqu’ils tournent ensemble. Si vous rééditez régulièrement cette opération, notamment parce que vous y trouvez du plaisir, vous faites disparaître le lien originel. Lorsque le lien est défait, vous ne pouvez plus réassocier les coureurs : ils continuent à tourner chacun à leur vitesse, de façon complètement désynchronisée. Et s’il y a un coup de feu, la noradrénaline se remet à sprinter, tandis que la sérotonine poursuit à son rythme, etc.
Dans ce modèle, une fois que le fil est rompu, vous êtes découplé, à vie, semble-t-il, et vous êtes découplé indépendamment du produit qui a induit cette situation. Autrement dit, la morphine va vous soulager même si vous êtes cocaïnomane. Et de même, on le vérifie, la cocaïne soulage l’héroïnomane. Il y a un croisement spectaculaire. Pour supporter le manque, quand vous êtes morphinomane, ce qui donne des sensations intenses, vous allez prendre de l’alcool. De même, l’alcool va devenir la cicatrice de l’héroïnomanie. Les toxicomanes héroïnomanes vont finir alcooliques.
En résumé, voici donc le nouveau concept de la pharmaco-dépendance que nous avons proposé : les drogues découplent les neurones noradrénergiques et sérotoninergiques, ces derniers devenant autonomes et hyper-réactifs. Le toxicomane sevré est alors hyper-sensible aux émotions, et la drogue, en re-créant la situation qui a donné lieu au découplage, devient une source de soulagement temporaire. On démontre cette dissociation pour l’alcool, pour la morphine, l’héroïne, l’amphétamine, la cocaïne. Tous ces produits entraînent la dissociation.
Reste la nicotine. Or justement, quand on étudie le cas de la nicotine, on s’aperçoit qu’elle ne produit pas cet effet : elle ne découple pas [...]. »
La suite est ici :
La Lettre du Collège de France, hors série no 3 : Le tabac, http://lettre-cdf.revues.org/273, Collège de France, Paris, février 2010, ISSN 1628-2329
- Tabac : entretien avec Jean-Pol Tassin, professeur au Collège de France
- Jean-Pol Tassin et Marc Kirsch,Entretien avec Jean-Pol Tassin, La lettre du Collège de France, Hors-série 3 | 2010, mis en ligne le 24 juin 2010, http://lettre-cdf.revues.org/283
- Chat « Les substituts nicotiniques sont-ils efficaces ? » avec J-Pol Tassin mercredi 07 mars 2012
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