Une nouvelle étude rétrospective indique que l'efficacité de la varénicline (marque Champix de Pfizer) comme celle des substituts nicotiniques sont beaucoup plus faibles sur le terrain que celle annoncée dans des essais cliniques publiés : la probabilité d'échec y ressort à de plus de 92 %.
L’étude publiée ce mois-ci par la revue European Journal of Internal Medicine fait état des statistiques dans la vie réelle de traitements prescrits comme aide au sevrage tabagique dans deux services de tabacologie en centre hospitalier universitaire en 2008-2009 [1].
L'article présente les résultats du sevrage tabagique de 371 fumeurs à qui avait été prescrit soit de la varénicline soit une substitution nicotinique et suivis à un an afin de déterminer leur statut concernant la consommation de tabac. Parmi ces 371 fumeurs, 69 (19 %) ont bénéficié du soutien d’une thérapie comportementale.
Des résultats médiocres
Les résultats sont les suivants : 247 fumeurs (67 %) ont pu faire l'objet d'un suivi à un an. Parmi ceux-ci 26 (10,5 %) étaient durablement abstinents en semaine 52 :
- 12 arrêts avec la varénicline et
- 14 arrêts avec substitution nicotinique (p = 1,0).
Les perdus de vue avec la varénicline étaient 63 (37 %) et ceux utilisant une substitution nicotinique 62 (31 %, p = 0,20). En comptant les patients perdus de vue comme fumeurs, selon la règle communément appliquée dans la prise en charge des addictions, les probabilités d'arrêt du tabac ajustés avec varénicline et avec substitution nicotinique sont similaires :
- 6,5 % avec la varénicline et
- 7,6 % avec la substitution nicotinique (p = 0,69).
L'étude conclut: "Dans un service en centre-ville, les taux d'abstinence étaient inférieurs à ceux rapportés dans les essais cliniques et ne différaient pas entre substitution nicotinique et la varénicline."
Bien sûr, comme cela est légitime, cette étude rétrospective est critiquable :
- L'impact du suivi psychocomportemental n'est pas pris en compte ;
- Le choix du traitement n'est pas réalisé au hasard ;
- La puissance statistique est faible ;
- Ces résultats sont anciens : pourquoi les avoir publiés si tardivement ?
- etc.
Mais cette nouvelle étude en population en conforte d'autres [2, 3]. Ces résultats en pratique de terrain contrastent fortement avec ceux de l'essai clinique contrôlé de Pfizer qui a comparé l’efficacité de la varénicline avec la substitution nicotinique à l'horizon d'un an [4]. Dans cette expérimentation, le taux d'abstinence du tabac à un un an était rapporté de 26 % pour Champix (exactement quatre fois plus !) et 20 % pour la substitution nicotinique.
Un multitude de biais favorables aux résultats prétendus "scientifiques"
Diverses raisons peuvent expliquer une différence si importante entre les résultats dans la vie réelle et ceux d’essais cliniques. La raison principale est que les volontaires à un essai clinique sont sélectionnés pour majorer le résultat attendu. En aucun cas les essais cliniques n’incluent un public 'tout venant', contrairement aux études en population générale qui prennent en charge toute personne tentant de cesser de fumer en utilisant ces produits, pas simplement les plus motivés.
Les fumeurs choisis ont tendance à être plus impliqués pour arrêter de fumer. Vous devez passer par un certain nombre de filtres :
- passer toutes sortes de tests (notamment ceux visant à exclure les personnes dépressives, alcooliques ou présentant diverses complications),
- lire et signer des formulaires de 'consentement éclairé' à l'expérimentation,
- se déplacer au centre d'expérimentation pour les visites de suivi,
- passer ou accepter des appels téléphoniques, etc.
D'autres facteurs peuvent intervenir : UnAirNeuf.org a déjà fait état des biais divers à prendre en considération [5].
La rémunération des participants ou du médecin les incitant à participer introduit aussi un biais favorable. Un facteur plus subtil est le biais de publication : généralement seules les études favorables à l'industriel finançant l'expérimentation sont publiées ; et il existe peu de possibilités de financement en dehors des industriels intéressés. Ceci se répercute ensuite sur les meta-analyses.
Encore plus subtil est la réputation de la publication : les résultats les plus favorables sont publiés par les plus grandes revues (à fort impact), étant entendu que toutes les revues scientifiques dépendent largement de la publicité des industriels pour subsister. Il est ainsi été estimé que ce seul biais de publication majore les résultats expérimentaux de l'ordre de 30 % [6].
Retour à la réalité des faits constatés
Bien sûr, c'est l'efficacité dans la vie réelle qui est la plus appropriée à l'évaluation de l'efficacité de ces traitements pharmaceutiques, aux recommandations de bonne pratique et aux décisions politiques et économiques (remboursement) les concernant.
Sur son site web, Pfizer stipule "Dans les études, 44% des utilisateurs ont été Champix étaient abstinents au cours des semaines 9 à 12 du traitement (par rapport à 18 % pour le placébo)". Bien que cela puisse être techniquement avéré, il s'agit d'une statistique trompeuse pour les utilisateurs potentiels. Il n'est nulle part mentionné que malgré ces 44% d'abstinence à la fin du traitement dans le cadre d'un essai clinique, le taux de réussite réel de Champix à un an dans la vie réelle puisse être de 6 ou 7 % seulement. S'il est compréhensible que Pfizer fasse des déclarations trompeuses - après tout, il s'agit d'une entreprise pharmaceutique et sa raison d'être est de vendre ses produits - on se demande bien pourquoi les activistes anti-tabac (en France OFT, DNF, CNCT, etc.) relayeraient cette propagande mensongère.
Une hypothèse bien sûr est que les sociétés commerciales procurent des facilités et des financements aux chercheurs et organisations anti-tabac, via quelques leaders d'opinion médiatisés et perclus de liens d'intérêts avec Big Pharma.
Aussi troublant, et encore moins compréhensible, est l'incurie des agences sanitaires ou du Ministère de la Santé à diffuser une information pertinente au public. Par exemple, il est prétendu que les fumeurs peuvent "doubler" leurs chances de succès avec l'utilisation de médicaments pour cesser de fumer. Ceci n'est vrai que dans le cadre d'essais cliniques mais n'est pas confirmé en population dans des situations réelles et les médecins le savent pertinemment.
De plus, omettre de préciser les valeurs absolues des chances de succès qui, quand bien même elles seraient être "doublées" par l'utilisation de substitution nicotinique, est très trompeur. Quelle différence en pratique entre 4 % et 8 % de chance ? Ce serait avouer son incapacité à proposer une solution médicale. Il faudrait alors promouvoir d'autres alternatives sans le soutien intéressé des subsides pharmaceutiques. Cette remise en cause, que nous appelons de nos vœux dans l’intérêt des fumeurs, semble encore lointaine malheureusement.
Crédit Michael Siegel pour l'information
Références
- Effectiveness of varenicline for smoking cessation at 2 urban academic health centers
Dhelaria RK, Friderici J, Wu K, Gupta E, Khan C, Rothberg MB ; Eur J Intern Med. 2012 Jul;23(5):461-4. Epub 2012 May 3. - (A compléter)
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