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Dans une lettre au Président de la Haute Autorité de Santé (HAS) adressée le 27 juin 2012 au nom de l’association Formindep, le professeur Robert MOLIMARD, fondateur de la tabacologie en France, récapitule les données scientifiques sur l’effet réel de la nicotine chez les fumeurs. Avec l’accord des intéressés, UnAirNeuf.org publie trois extraits de ce testament scientifique. Les références indiquées sont celles de la lettre, dont la conclusion sonne le glas d'une tabacologie sous influences !
Les effets de la nicotine
Il apparaît clair que la nicotine n’est pas l’unique facteur de la dépendance au tabac. Mais ce n’est pas une molécule inerte, et certains fumeurs peuvent tirer partie de ses effets pharmacologiques, sans pour autant créer une dépendance, tout en étant un facteur capable de l’entretenir.
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La glycémie
La nicotine augmente rapidement la glycémie en mobilisant le glycogène hépatique par son action adrénergique. Par voie humorale, elle libère de l’adrénaline par action directe sur la médullosurrénale. Par voie nerveuse, en stimulant le neurone sympathique post ganglionnaire qui émet les nerfs glucosécréteurs hépatiques. Ainsi, la première cigarette du matin augmente la glycémie plus rapidement que le petit déjeuner. C’est ce que confirme l’étude non publiée sur un patch dont j’ai fait état. Les sujets avaient un bilan biologique à jeun le matin de la pose de leur premier patch, et un contrôle après 6 semaines de traitement. La glycémie des 80 succès n’avait alors pas varié depuis la valeur de départ, tandis que chez les 277 qui avaient repris leurs cigarettes, elle s’était accrue de 4,7 % (p<0,001). Mais, en ne considérant que les sujets qui avaient reçu le timbre placebo, la glycémie initiale des 25 succès était de 5 mOs/l, alors que celle des 101 échecs était inférieure à 4,6 mOs/l. Tout se passe donc comme si certains fumeurs légèrement hypoglycémiques n’avaient pas supporté la privation de leur cigarette. La compensation alimentaire suscitée par les fringales est alors la seule façon d’y faire face, avec pour corollaire la prise de poids [31]. Ceci peut expliquer certains succès thérapeutiques de la nicotine, en général limités aux premières semaines d’abstinence, avant que les fumeurs retrouvent leur équilibre glycémique en reprenant une cigarette.
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La stimulation
Beaucoup de fumeurs disent que fumer les stimule, les maintient en éveil, les aide à travailler, physiquement et intellectuellement. C’est clairement une action stimulante de la nicotine sur le locus coeruleus [32]. A l’arrêt du tabac, certains fumeurs peuvent ressentir une diminution d’efficacité et trouver une amélioration dans la nicotine médicamenteuse. D’ailleurs des comprimés de glucose ont eu une action favorable sur le désir de fumer. [33]. Cependant une étude randomisée n’a pas démontré d’effet sur l’abstinence [West R, May S, McEwen A, McRobbie H, Hajek P, Vangeli E.. A randomised trial of glucose tablets to aid smoking cessation. Psychopharmacology (Berl). (2010) 207(4):631-5]. Ceci démontre que la correction d’une hypoglycémie n’est pas un facteur de la dépendance tabagique, bien que bénéfique pour atténuer les effets du sevrage.
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La relaxation
Une majorité de fumeurs déclarent que la cigarette les relaxe, ce qui paraît paradoxal, contrastant avec l’effet adrénergique de stimulation centrale, tel qu’on le voit dans le stress qui, comme ce terme l’évoque, s’accompagne au contraire d’une tension musculaire par stimulation du système réticulé descendant. Ce phénomène est connu sous le nom de « paradoxe de Nesbitt », qui a reçu de nombreuses tentatives d’interprétation, sans qu’aucune soit parfaitement satisfaisante [34]. En fait la réponse était déjà donnée bien avant la publication de Nesbitt. [35]. La nicotine stimule directement l’interneurone de Renshaw de la corne antérieure de la moelle. La conséquence est l’inhibition de l’activité des motoneurones α qui devraient normalement répondre par une hyperactivité tonique à la contraction des fuseaux neuromusculaires sous l’influence de la stimulation réticulée par la nicotine. Il en résulte une chute du tonus musculaire, une réelle relaxation perçue par le fumeur, d’origine médullaire, contrastant avec la stimulation centrale. Cet effet, en particulier chez les sujets stressés, peut être ressenti par le fumeur comme un bénéfice, et expliquer également des effets initiaux favorables de la nicotine au début de l’abstinence.
Cependant par son action centrale, la nicotine entretient anxiété et le stress, qui ont tendance à s’atténuer à l’arrêt de la cigarette [36].
Nicotine et système de récompense du cerveau
La mise en évidence d’un système de récompense [37] a déclenché une foule de travaux sur les relations entre les produits générateurs de dépendance et le nucleus accumbens. En effet, pratiquement toutes les drogues connues stimulent ces structures cérébrales, de façon souvent intense. Bien entendu, on a expliqué la dépendance au tabac par le fait qu’à l’instar de autres drogues, la nicotine les stimulait et de nombreux schémas explicatifs ont été publiés dans la presse de vulgarisation.
Cependant, la stimulation par la nicotine est très faible, comparée à l’amphétamine et la cocaïne. Il est très difficile d’obtenir des auto-administrations chez le rat, je m’y suis essayé sans succès pendant des années, alors que je les obtenais facilement avec la cocaïne. On n’y arrive que par des subterfuges, où l’on remplace par de la nicotine un renforçateur ayant déjà induit une addiction, et dans des souches de rats sélectionnés. L’extension au tabagisme humain d’un modèle où la sécrétion de dopamine dans le nucleus accumbens à partir de données animales, très variable selon l’espèce et la souche, pourrait ne pas être suffisamment justifiée [38]. Chez l’Homme en effet, les études de libération de dopamine dans le striatum sous l’influence de la nicotine ne donnent pas des résultats aussi tranchés. Il n’y a aucune différence générale de concentration de dopamine dans aucune des régions du striatum explorées sous l’influence de la nicotine. Cependant les modifications individuelles de concentration en dopamine étaient corrélées avec des sensations subjectives agréables (joie, amusement), suggérant que la dopamine puisse cependant jouer un rôle dans les effets de la nicotine [39].
A l’opposé, apparaissent comme une voie plus intéressante les effets de la nicotine sur les structures impliquées dans la réaction aux stimulus à fumer, amygdale et cortex cingulaire [40] et dans les structures de mémorisation comme l’hippocampe [41].
C’est ainsi que peuvent s’interpréter les remarquables résultats de mon ancienne thésarde Caroline Cohen. Ayant obtenu que des rats s’auto-administrent de la nicotine par voie veineuse, elle associa un stimulus audiovisuel à la pression du levier, mais la moitié d’entre eux ne recevaient plus de nicotine. Ne recevant que du sérum salé, ce groupe ne pressa rapidement plus le levier, démontrant que le stimulus audiovisuel ne suffisait pas à entretenir le comportement d’administration.
Après un temps, elle supprima alors la nicotine dans le premier groupe. Ne recevant plus de nicotine, les rats continuèrent à presser les leviers, avec une fréquence croissante, pendant une durée supérieure à 3 mois, où elle arrêta l’expérience [42]. Ainsi la nicotine s’est montrée nécessaire pour obtenir le comportement mais celui-ci continuait en son absence, comme si elle avait gravé en mémoire le stimulus associé. Ceci permet d’éclairer des observations, dans lesquelles les fumeurs abstinents préfèrent des cigarettes dénicotinisées à des gommes à la nicotine [43], ainsi sans doute que certains ex-fumeurs sont satisfaits par des cigarettes électroniques ne contenant pas de nicotine. [...]
Conclusion
Nous ne disposons hélas d’aucune médication suffisamment efficace pour faire l’objet d’une recommandation, qu’il s’agisse de la nicotine sous toutes ses formes, du bupropione (Zyban°) ou de la varenicline (Champix°). Le niveau de preuve de leur efficacité est très faible et critiquable. Les médecins sont formatés à la prescription quasi-obligatoire de ces produits par une littérature scientifique biaisée et des leaders d’opinion liés par des conflits d’intérêts, et par la demande d’une population conditionnée par les revues grand public et la publicité. Le rôle des autorités de santé serait d’apporter une information objective à l’égard de ces produits, dont l’activité n’est guère supérieure à un effet placebo, mais avec des conséquences financières qui grèvent inutilement le budget des familles et de l’Assurance Maladie. Une analyse sérieuse me semble ne pouvoir conclure qu’à un très faible rapport bénéfice/coût ou risques. |
Pr Robert MOLIMARD, 27.06.2012
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