Pour le Pr Dautzenberg, la réduction du tabagisme ne peut être un objectif. Et les produits “prétendus plus sains” comme la cigarette électronique ont globalement plus d’inconvénients que d’avantages : ils ne doivent pas être encouragés.
Voici ses propos lors des 5e Assises nationales de la Fédération Française d’Addictologie le 27 septembre 2012 à Paris Réduire les dommages des pratiques addictives : une priorité politique [1] :
Pr Dautzenberg tire quelque gloire de ses liens d'intérêt avec tous les industriels proposant des produits pharmaceutiques pour la prise en charge du tabagisme [2]. Il n’est donc pas étonnant qu’il s'applique à mettre ces marques en avant.
Ce qui nous intéresse ici, après les scies habituelles, c’est l’argumentation finale : la réduction de la consommation grâce à une "substitution nicotinique" ouvrirait la porte de la cessation complète “sans effort” du tabagisme. La raison invoquée est que cette réduction accroitrait la confiance dans la possibilité d’un arrêt complet chez les fumeurs déclarant ne pas y être motivés.
Une étude clinique sape la crédibilité du propos
On aimerait y croire. Il y a cependant un hic. Prenons par exemple une étude clinique financée par Novartis Consumer Health concernant les pastilles de nicotine Nicotinell auprès de fumeurs motivés pour cesser de fumer datant de 2007 et publiée en 2008 [3]. Bertrand Dautzenberg en était l’investigateur principal dans le bras français.
Dans cette partie de l’expérimentation, 211 fumeurs ont bénéficié de pastilles de nicotine et 222 de pastilles placebo (sans nicotine). A l’horizon de six mois, 25 fumeurs du premier sous-groupe étaient complètement abstinents (soit 11,8 %). C’est l’ordre de grandeur de ce qui est souvent annoncé. Mais par comparaison, 18 fumeurs sur 222 bénéficiant des pastilles placebo avaient aussi cessé le tabagisme, soit 8,1 %. La hauteur de ce dernier score, inhabituellement élevé, laisse à croire que des conditions expérimentales particulières ont été adoptées pour majorer l’efficacité de la prise en charge.
On en a confirmation en comparant les résultats français avec ceux du bras américain, où les participants sélectionnés étaient fortement dépendants et donc - c'est le discours habituel - plus susceptibles de profiter de palliatifs de nicotine pour réussir leur arrêt. Les deux sous-groupes sont ici de 230 fumeurs :
- Sur 230 fumeurs utilisant les pastilles placebo, deux participants seulement (0,9 %) avaient cessé le tabagisme ;
- Et sur les 230 fumeurs ayant disposé de pastilles dosées à 1mg de nicotine, huit (soit 3,5 %) ont cessé de fumer.
Par arrêt franc, sans rien du tout, sans nicotine, sans placebo, sans tabacologue, il est possible que le résultat des tentatives d'arrêt aurait été meilleur qu'un succès sur 29 tentatives. Qu’il nous soit permis d’insister : ces participants sélectionnés étaient motivés pour cesser de fumer.
- Qu’en aurait-il été avec des fumeurs non motivés ?
- Est-il possible que le cas échéant cela aurait amélioré la prétendue “efficacité” de la nicotine pharmaceutique ?
- Comment procède t-on pour recruter des centaines de cobayes non motivés à l’arrêt à participer durant six mois à une expérimentation aussi peu probante (pour eux) ? En les payant ? Est-ce alors représentatif de l’usage dans la vraie vie ?
- Comment fait-on croire à des fumeurs très accros qu’un gri-gri censé soulager le manque contient de la nicotine quand il n’en contient pas ? La plupart découvrent vite ce qu'il en est et alors les statistiques comparatives n'ont plus aucune signification.
Même énoncées doctement, les fumeurs ne peuvent ni croire ni faire confiance à de telles allégations biaisées ou mensongères. Et nous doutons que les addictologues soient tous bêtes et naïfs aussi.
Le recours aux palliatifs de nicotine n'augmente pas la probabilité d'arrêt durable aux fumeurs non motivés à cesser le tabac
Dans l'article de UnAirNeuf.org daté du 22 décembre 2011 Le recours aux palliatifs de nicotine n'augmente pas la probabilité d'arrêt durable aux fumeurs non motivés à cesser le tabac, nous lisons :
Le traitement nicotinique de substitution a marginalement majoré la probabilité d'une abstinence de sept jours ou plus pendant la durée de l'étude. À six mois, il n'y a pas de différence significative de taux d'arrêt entre les deux groupes : 14 % et 16 % (RR=1,15, intervalle de confiance 0,9-1,6).
La conclusion des auteurs est [4] :
"Nicotine therapy sampling during a practice quit attempt represents a novel strategy to motivate smokers to make a quit attempt".
Si nous comprenons bien, ce qui est une stratégie innovante, c'est de proposer de la nicotine pharmaceutique aux participants d'un programme d'aide à l'arrêt, quand bien même cela n'augmente pas leur chances de succès à l'horizon de 6 mois.
L'examen des liens d'intérêt des auteurs avec les industriels du médicament explique cette bizarrerie : les palliatifs de nicotine sont inutiles dans leur indication (pour la cessation du tabagisme) mais pas inutiles pour les intérêts financiers de ceux qui les fabriquent, les vendent ou en font la promotion. La santé n'a rien à voir là dedans.
La cigarette électronique s'avère efficace pour la réduction du risque : c'est ce qui fait son succès phénoménal
À titre de comparaison, l'étude Polosa [5] montre l’impact de l’usage de cigarette électronique auprès de fumeurs non motivés à l’arrêt : "Combined, sustained 50% reduction and smoking abstinence was shown in 22/40 (55%) participants, with an overall 88% fall in cigs/day."
Force est de constater que les progrès dans la réduction du tabagisme soient accomplis contre l'avis des personnes et organisations qui ont fait voeu d'y contribuer.
Références
- Alcoologie et addictologie 2012 ; 34 (4) et Congrès FFA 2012 : résumé des interventions (pdf)
- Cf. Cigarette électronique : "On est à un niveau d'insécurité en dessous du Mediator" selon B. Dautzenberg
- Pharmacokinetics, safety and efficacy from randomized controlled trials of 1 and 2 mg nicotine bitartrate lozenges (marque Nicotinell de Novartis) ; BMC Clin Pharmacol. 2007; 7: 11.Published online 2007 October 8. doi: 10.1186/1472-6904-7-11.
- Nicotine Therapy Sampling to Induce Quit Attempts Among Smokers Unmotivated to Quit,
M. J. Carpenter, J. R. Hughes, K. M. Gray,A. E. Wahlquist, M. E. Saladin, A. J. Alberg ;
Arch Intern Med. 2011;171(21):1901-1907. doi:10.1001/archinternmed.2011.492 - Effect of an Electronic Nicotine Delivery Device (e-Cigarette) on Smoking Reduction and Cessation: A Prospective 6-Month Pilot Study ; BMC Public Health 2011, 11:786 doi:10.1186/1471-2458-11-786
Merci de votre analyse contradictoire et en profondeur.
J'etais fumeur depuis 16 ans, 1,5 paquet/jour en tabac brun et blond et depuis 1 mois, à mon corps défendant, je n'ai plus touché une seule cigarette tabac.
Et je n'avais aucune motivation pour arrêter (33 ans). J'avais commandé une cigarette électronique juste pour diminuer (capacité respiratoire) et varier les plaisirs...
Rédigé par : Galeenet | 26/11/2012 à 14:31