UnAirNeuf.org n'a de cesse de dénoncer les conflits d'intérêts de certains tabacologues avec l'industrie pharmaceutique. Mais c'est toute la médecine qui est victime de ce cancer à l'origine de toutes les métastases se nommant Mediator, pilule contraceptive, statines non justifiées, médicaments relationels pour la maladie d'Alzheimer, surdiagnostic de personnes en bonne santé, vaccins contestables (grippe, HPV...), etc.
Les conflits d'intérêt peuvent dorénavant être considérés dans notre société occidentale marchande comme le premier facteur de risque sanitaire. C'est le cas en ce qui concerne l'aide aux fumeurs, avec dernièrement le projet de la Commission Européenne d'interdire de fait la cigarette électronique, remarquable alternative au tabagisme. Ce risque devra aussi être correctement pris en compte par la Haute Autorité de Santé lors de la révision de ses recommandations concernant les aides à la cessation du tabagisme.
Voici l'inspirant témoignage de Dr Philippe Foucras, médecin généraliste, qui nous a autorisé à le publier et nous l'en remercions vivement.
Le 1er décembre 2012, à l'île de la Réunion, s'est tenue la première "Journée Internationale de l'Indépendance Médicale" (JIIM). Organisée par un médecin généraliste de l'île, Philippe de Chazournes et l'association Med'Océan de formation médicale qu'il préside, près d'une centaine de participants ont réfléchi et débattu sur l'indépendance de la médecine. Parmi les intervenants de cette journée,
- le président de la Haute Autorité de Santé, Jean-Luc Harousseau,
- le directeur de la revue Prescrire, Bruno Toussaint,
- des responsables sanitaires de la Réunion : ordre des médecins, agence régionale de santé,
- des philosophes et sociologues,
- des intervenants venus d'Australie,
- des contributions de personnalités par Internet ou par vidéo,
- et deux représentants du Formindep, dont votre serviteur.
Cette journée a permis de rappeler que nombre d'influences s'exerçaient sur la médecine, les soignants, les patients, les autorités sanitaires. Pour ma part, j'ai tenté de dresser rapidement le constat de près de dix années d'engagement au sein du Formindep, pour des soins et des soignants délivrés des influences commerciales de l'industrie pharmaceutique.
Lorsqu'au début des années 1990 j'ai reçu dans mon cabinet médical à Roubaix les premiers représentants de commerce de l'industrie, improprement appelés "visiteurs médicaux", j'étais loin de me douter où allait me conduire ce souci qui m'animait de fournir des soins de qualité pour tous, jusqu'aux plus pauvres.
Il ne m'a pas fallu beaucoup de temps pour, avec l'aide de la lecture de revue Prescrire, comprendre que ces visiteuses accortes et souriantes qui me voulaient tant de bien, n'avaient qu'un objectif : m'inciter à prescrire leurs produits. Et que pour cela, elles usaient de tous les moyens possibles. En premier lieu le mensonge et la manipulation des données scientifiques, la présentation biaisée des informations. Elles ne faisaient, et c'est de bonne guerre, que bâtir sur l'ignorance crasse des médecins en matière de lecture critique de l'information scientifique.
C'est par la suite, au fur et à mesure que je progressais dans la connaissance des influences avec lesquelles l'industrie maintient le milieu médical sous son joug, que j'ai compris que cette ignorance était savamment entretenue par les formateurs des médecins, professeurs et autres spécialistes hospitalo-universitaires, "leaders d'opinions" définis comme tels par les firmes qui les repèrent, recrutent, les maintiennent sous leur douce domination et favoriser leur carrière, et les transforment ainsi en leurs zélés agents de propagande auprès des étudiants, des confrères, des medias, de la société, des autorités sanitaires, des politiques.
C'est en poursuivant bien malgré moi ce voyage au bout de la nuit médicale dans lequel l'industrie plonge l'ensemble du champ sanitaire, que j'ai découvert comment ces "dealers" d'opinions pharmaceutiques irriguent, sous l'impropre vocable d'experts, l'ensemble des autorités sanitaires en France, en Europe et dans le monde, pour décider de la vie des médicaments, au risque, parfois, de celle de ceux qui les prennent. Ce que résumait mon ami le sénateur honoraire François Autain, président de la mission d'enquête du sénat sur le Médiator, à la fin de l'audition d'un arrogant responsable de l'ex-Afssaps : "En somme, monsieur, les firmes étaient chez elles à l'Afssaps".
C'est à la fin de cette hallucinante odyssée que j'ai compris comment les politiques de droite comme de gauche, et la fonction publique qui les sert, étaient proprement capturés, complices souvent bienveillants dans un sorte de "syndrome de Stockholm", d'une industrie devenue maître et seigneur d'un pays qui n'est pas le sien : celui de la santé publique et de l'intérêt général.
Ce constat qui peut sembler excessif est pourtant partagé, ainsi que je le rappelais durant mon intervention, par beaucoup d'autres personnes plus importantes que moi, universitaires et chercheurs aux USA ou ailleurs, juristes du conseil d'Etat en France, politiques en Grande Bretagne, écrivains comme John le Carré, etc. Ce constat n'a rien d'outré, il est même mesuré et simplement lucide, une fois que l'on a commencé à soulever le voile méticuleusement tissé et consciencieusement maintenu pour cacher aux citoyens la mainmise industrielle sur le soin et la santé.
Alors, s'agit-il d'une simple dépendance de la médecine à des influences qui s'exercent, certes parfois un peu trop fortement et avec lesquelles, tout compte fait, on pourrait bien s'accommoder entre gens raisonnables si chacun y met un peu du sien ?
La réalité est toute autre : il s'agit d'une soumission généralisée.
Il s'agit d'une occupation totale du monde de la santé par des intérêts privés qui ne voient en lui qu'une immense source de profit et mettent en œuvre tous les moyens pour le piller, s'y engraisser sans vergogne quitte à ce qu'il en crève. Ce n'est pas leur problème.
Comme pour toute occupation illégitime, j'y ai découvert durant ces années de combat, ses occupants et son armée, ses collaborateurs, ses négationnistes et hélas l'immense masse de ceux qui ne disent rien et attendent que ça passe, et de-ci de-là ses rares résistants, ceux qui ont ouvert les yeux, qui s'épuisent, sont éliminés du jeu parfois, et tentent de s'organiser comme au Formindep, non pas pour gagner, car la victoire est impossible, mais parce qu'ils ont compris, qu'au delà de l'enjeu de la survie d'une médecine au seul service de l'homme, il se jouait, comme dans d'autres résistances, quelque chose de l'ordre de la démocratie et des droits, et peut-être de la dignité et de la grandeur de l'homme.
Philippe Foucras, fondateur du Formindep
23 décembre 2012
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