Stéphane Sandeau-Gruber nous a fait parvenir son analyse des tergiversations du Pr Dautzenberg, tantôt favorable à une réglementation de la cigarette électronique comme produit du tabac, tantôt ouvert à son utilisation dans la prévention du tabagisme.
Bertrand Dautzenberg serait-il passé dans le camp des vapoteurs ?
Bertrand Dautzenberg est-il passé dans le camp des vapoteurs ? Après avoir écouté Les grands débats d’Europe1 Soir le 28 mars dernier [1], on peut se poser la question, tant le discours du pneumologue semble avoir évolué sur le sujet. Décryptage…
La fin mars 2013 a été émaillée par trois apparitions médiatiques du pneumologue, invité s'étant rendu incontournable des émissions au sujet de la cigarette électronique. L’évolution la plus flagrante de son discours est perceptible entre l’émission « Hondelatte Dimanche » du 17 mars [2] et ses interventions au 19-20h sur la Cigarette électronique d’Europe1 du 28 mars.
Lors de « Hondelatte Dimanche », mensonges et manipulations de chiffres donnent l’impression que Bertrand Dautzenberg souhaite que l’auditeur perçoive la cigarette électronique comme une nouvelle arme de l’industrie du tabac pour embrigader les jeunes dans le piège de la dépendance et comme un danger mortel, une cousine de la cigarette classique à la toxicité amoindrie.
Lors du débat d’Europe1, le discours policé peut donner l’impression que B. Dautzenberg est devenu un partisan de la cigarette électronique. En effet, on l’entend affirmer que
« Ce produit réservé aux gros fumeurs est à priori bien. »
Questionné sur la possibilité de recommander un produit qui n’est pas encore assez évalué, il concède
« Je suis pour ce genre de chose un fanatique du double langage, c'est à dire que le langage que je peux avoir en public à Europe1 et le langage que j'ai devant un malade qui fume est très différent. Si je vois un gros fumeur de deux [paquets de] cigarettes qui est passé à ce produit, éventuellement j'essaye de l'accompagner et on discute et on fait les choses ensemble. »
Son avis sur la cigarette électronique a-t-il évolué, ou son discours diffère-t-il simplement en fonction du but à atteindre ou encore en fonction des contradicteurs potentiels présents en studio ? Si l’on se mettait dans la peau d’un lobbyiste servant au minimum ses propres intérêts de conservation du pouvoir chez les activistes anti-tabac, quel discours tiendrait-on ?
Voici la solution de B. Dautzenberg pour conserver le pouvoir sur l’ensemble des remèdes au tabagisme :
- continuer à décrédibiliser la cigarette électronique par de la désinformation mensongère sous couvert d’autorité médicale,
- et tenter en même temps de ne pas se laisser dépasser par le phénomène en faisant bonne figure vis-à-vis de contradicteurs pouvant mettre à mal un discours trop agressif.
La désinformation par le mensonge
Les deux émissions ont un format très différent : la première est un débat avec une prise de parole agressive et de l’autre un non-débat où les intervenants ne peuvent pas se couper la parole ni rebondir sur les propos précédents.
L’e-cigarette va tuer
Dans l’émission « Hondelatte Dimanche », B. Dautzenberg affirme :
« On n’a pas de données sur l’utilisation au-delà de trois à six mois sur le produit. Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de gens qui ont essayé l’e-cigarette plus de trois à six mois. Et c’est une question de masse. Parce que, par exemple, le tabac va tuer un milliard de gens au vingt-et-unième siècle. Si c’est 1000 fois moins dangereux, ça fait quand même 1 million de morts… »
Cette allégation permet d’écarter cette solution contre le tabagisme chez les fumeurs indécis et de forger dans l’opinion du public non-fumeur une image mortelle de la cigarette électronique : il y aura des morts… L’e-cigarette va tuer, etc.
De plus les utilisateurs ne seraient pas assez nombreux ou n’utiliseraient pas l’e-cigarette assez longtemps pour qu’on s’en rende compte. Mensonge !
Le professeur joue ici sur la confusion entre ‘contient mille fois moins de substances nocives’, que l’on entend couramment lors de la comparaison entre e-cig et cigarette classique, et ‘mille fois moins dangereuse’. Cela ne veut pas dire la même chose. Une simple vérification auprès d’un toxicologue permettra de se rappeler la notion de seuil dans la toxicité d’une substance. En dessous d’une certaine dose, la plupart des substances passent de ‘nocive’ à ‘sans effet notable’ [3]. Ainsi cent fois moins d’une substance n’est pas équivalent à cent fois moins de morts.
Il serait tout aussi déraisonnable de parler de décès provoqués par la consommation de frites sous prétexte qu’elles contiennent acrylamide et acroléine suite à leur cuisson, comme la fumée de cigarette de tabac. Or même si les pommes frites sont déconseillées par les diététiciens, peu osent dire : « La frite tue »…
En outre, des vapoteurs ayant cinq ans de pratique existent et leurs témoignages décrivent des ressentis très positif sur leur santé. Malgré l’existence de cette population, aucun cas d’effet secondaire grave lié à la pratique du vapotage n’a été répertorié. Personne ne peut sérieusement dire aujourd’hui qu’il y aura des morts à cause de la cigarette électronique. Ce ne sont qu’allégations sans fondement…
La cigarette électronique serait une passerelle vers le tabagisme
Peu de temps avant, dix minutes après le début de l’émission, B. Dautzenberg mentionne spontanément un résultat de l’étude de Paris Sans Tabac de 2012, basée sur une enquête en milieu scolaire [4]. Selon lui
« 64 % des enfants de 12 à 14 ans à Paris qui ont essayé l’e-cigarette n’avaient jamais fumé une vraie cigarette. Dans les écoles, ça devient un produit d’initiation du tabagisme. »
Là aussi, les propos sont ajustés pour faire peur. Cette affirmation liant une expérimentation de la cigarette électronique avec un début de tabagisme relève de la pure spéculation. Aucun chiffre, aucune donnée ne va dans ce sens. Il n’est pas étudié si les expérimentateurs sont ensuite devenus fumeurs pas plus que la présence éventuelle de nicotine dans les e-cigarettes utilisées.
Le recours à un pourcentage relatif pour gonfler un chiffre dans la représentation mentale de l’auditeur et crier au danger de l’arrivée d’une nouvelle drogue chez les jeunes est totalement trompeur si la proportion par rapport à l’effectif global n’est pas mentionnée. Voici ce que l’on apprend en lisant l’étude et en tentant de reconstituer les données originales, l’étude étant assez floue et l’énoncé des résultats partiel (cliquer pour agrandir svp) :
Et voici ce que retient et diffuse B. Dautzenberg :
Donc, oui ! Dans la tranche d’âge qui contient le moins de fumeurs, ceux qui ont expérimenté l’e-cigarette sont des non-fumeurs à 64,4 % : au total 38 adolescents de cette tranche d’âge déclarant n’avoir jamais fumé (soit 4,09 %). Mais « deux tiers » est beaucoup plus ‘impactant’ que 38 jeunes ; enfin, 38 "enfants" selon son expression.
Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’une mauvaise retranscription journalistique ou un lapsus involontaire ou non du professeur traduise ensuite [5] :
« Deux tiers des enfants de 12/15 ans sur lesquels on avait enquêté sur Paris l’an dernier avaient essayé la cigarette électronique alors qu’ils n’avaient pas essayé la cigarette. »
Ce qui ne veut plus du tout dire la même chose. Rappelons qu'il s'agit de 38 adolescents sur 928 dans la tranche d'âge 12-14 ans, et non les deux tiers de la totalité des adolescents de cette tranche d'âge. De nombreux sites reprennent maladroitement ces données largement diffusées par l’AFP [6]. Cette désinformation se diffuse et gangrène la perception de la cigarette électronique comme plusieurs blogueurs l'ont dénoncé [7, 8 et 9].
Cette théorie de la passerelle vers le tabagisme est familière dans les propos du pneumologue, comme UnAirNeuf.org l’a déjà souligné avec le narghilé [10]. La dénonciation du mensonge a même traversé l’Atlantique, avec une critique sur un site specialisé américain Tobacco Harm Reduction: News & Opinions [11].
À l’heure d’internet et des réseaux sociaux les manipulateurs sont vite repérés et perdent rapidement leur crédibilité : ce genre de patascience ne fait pas longtemps illusion. Comme l’écrivait Pierre-Yves Frelaux, président de TBWA Conseil dans Le Journal du Dimanche vendredi 26 avril 2013 au sujet des conséquences de l’affaire Cahuzac [12] :
À l’heure de l’information en continu, du fact-checking, des big datas et du crowdsourcing, dire la vérité n’est pas seulement "un acte révolutionnaire", comme disait George Orwell : c’est simplement un impératif moral, économique et stratégique pour les entreprises, les institutions et les élus. En matière de communication d’influence, il n’y a à vrai dire pas alternative durable à la vérité.
Le revirement tactique pour amadouer les vapoteurs
Sur Europe1, malgré la perche tendue par la ‘correspondante’ Santé, Anne Legal, à la 18ième minute :
« Et puis il y a des vapoteurs très jeunes. Je trouve qu'il y a quand même des questions qui se posent autour de la distribution de ce produit qui est vendu comme un produit de distribution courante, et qui peut donc être consommé et être acheté par des mineurs. Je ne sais pas ce qu'en pense le Pr Dautzenberg. »
celui-ci s’abstient de citer l’enquête dont il exposait les chiffres 11 jours plus tôt. Peut-être y a-t-il des circonstances où ces chiffres ne sont plus aussi valables ? Ou simplement, des circonstances où ils ne cadrent pas avec le climat d’apaisement que notre médiatique pneumologue a essayé de mettre en place lors de cette première apparition médiatique de l’AIDUCE, l’Association Indépendante des Utilisateurs de Cigarette Électronique, née du regroupement de vapoteurs sur internet ?
Car dans la quête du contrôle, la première arme est le savoir, la connaissance. Et Dautzenberg reconnait qu’aujourd’hui, avec un phénomène nouveau et à évolution rapide comme la cigarette électronique, le savoir n’est ni auprès des médecins, ni dans les livres, ni même dans les études scientifiques dont les résultats peuvent être dépassés lors d’une publication un an plus tard…
« Pour l'instant, tout ce que je sais sur la e-cigarette, je l'ai appris par mes patients. »
Cette connaissance se diffuse sur internet, et internet ne peut pas être contrôlé. Aussi, un homme d’influence rusé aurait tout intérêt à se rapprocher le plus possible de ce foisonnement incontrôlable d’informations et des plateformes d’échanges entre vapoteurs. Les politiques à la recherche de solutions pour comprendre (et réglementer) le phénomène seraient avisés de consulter les vapoteurs plutôt que les experts en blouse blanche, non ?
Mais le simple argument « Oui, je discute avec des vapoteurs de leurs problèmes, avec les organisations de vapoteurs de leur besoin de protection » suffirait peut-être à regagner un peu de légitimité sur le marché de l’influence auprès d’un ministère ou auprès d’autres organismes publics. Comme il est plus simple de s’adresser à un seul individu, si celui-ci est proche des consommateurs, il n’est pas justifié de perdre du temps à recevoir également leurs représentants… Dans cette émission, l’AIDUCE a servi de faire valoir : sur 35 minutes d’échanges (publicités exclues) avec six intervenants dans le studio, le temps de parole cumulé atteint 9 minutes pour B. Dautzenberg et 3 minutes 30 pour Brice Lepoutre président de l’AIDUCE.
Le pouvoir, pour le contrôle absolu
Le Pr Dautzenberg ne fait pas figure d’exception dans un paysage médical français. En France, les instances de représentation des médecins sont obnubilées par l’autorité que confère l’exercice de cette profession. Et la conservation de son pouvoir. Nous sommes loin de l’esprit d’aide aux personnes qui anime bon nombre de jeunes vocations.
Malgré le climat modéré du débat d’Europe1, B. Dautzenberg laisse échapper des propos légitimant la soumission des patients au pouvoir biomédical :
« Moi, mes patients, je les dissuade pas de la cigarette, les fumeurs dépendants je les soigne. Donc c'est moi qui les prend en charge, c'est pas, j'allais dire, à eux de décider, pas plus qu'ils décident du traitement de leur cancer. Ils acceptent, ils n’acceptent pas. Mais c'est la responsabilité des médecins de soigner les gens qui fument malgré eux dans l'heure du levé. »
Pourtant, contrairement au traitement d’une maladie organique, les dimensions psychologiques et les facteurs sociaux sont prépondérantes dans l’acceptation du traitement d’une dépendance et sur les chances de réussite pour s'en exonérer. Il s’agit d’une aberration de vouloir ôter au patient son libre arbitre !
Mais de libre arbitre, nous n’aurions plus. C’est pour nous protéger que la Miviludes, chargée d'observer et d'analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l'homme, entend restreindre les médecines dites alternatives ou non conventionnelles, car elles constituent des « portes d’entrée » potentielles pour les « mouvements à caractère sectaire ». Et peut-être est-ce également pour protéger le monopole des médecins en matière de santé ? Nous patients serions donc limités à recevoir des soins, car la simple recherche de bien-être et de la connaissance de son corps pourrait être dangereuse.
Libre arbitre et esprit critique sont ce qui nous différencie du bétail. Aussi je rejoins dans ses propos Nathalie Luca, sociologue, Directeur de recherche à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales :
« Si l’on veut que les sectes cessent de manipuler les gens, alors il faut aussi qu’il ne soit plus possible aux autres acteurs de la société de les manipuler. Si l’on veut apprendre la prudence, il ne faut pas que celle-ci se limite aux groupes spirituels. La vulnérabilité n’est pas exploitée que par les groupes spirituels, elle est exploitée par l’ensemble des acteurs sociaux. C’est une grave erreur de vouloir faire deux poids deux mesures. Pour faire renaître l’esprit critique, il faut s’employer, dans une démarche éducative, à lui donner corps dans chacune des activités humaines. »
Soyons curieux, soyons critiques, libérons-nous.
Stéphane Sandeau-Gruber, PhD
Références
- 19-20h sur la Cigarette électronique d’Europe1 le 28 mars 2013, débat animé par Emmanuel Faux, avec B. Dautzenberg (OFT), Brice Lepoutre (AIDUCE), Paul Maurera (Film : Tabac, nos gosses sous intox), Martine Perez (Le Figaro) et Anne Legal (Correspondante Santé à Europe1).
- « Hondelatte Dimanche » du 17 mars 2013
- Seuls certains toxiques, comme par exemple des perturbateurs endocriniens tel le Bisphénol A, présentent un profil d’effets dose dépendants complexe, pouvant impliquer qu’une dose moindre provoque plus d’effet. Ces substances font figures d’exception à la règle sur laquelle est basée la toxicologie depuis plus de 500 ans. Il est impératif de s’assurer au plus vite que tous nos produits de consommation cessent d’en contenir.
- E-Cigarette: A New Tobacco Product for Schoolchildren in Paris
Bertrand Dautzenberg, Pierre Birkui, Maryvonne Noël, Johanna Dorsett, Monique Osman, Marie-Dominique Dautzenberg, Open Journal of Respiratory Diseases, February 25, 2013 ; DOI: 10.4236/ojrd.2013.31004 (en accès libre) - B. Dautzenberg, interview du 20/02 à Europe1, Cigarette électronique: "il faut un encadrement"
- Cigarette électronique, gadget fumeux pour fumeur repenti
AFP, 01.02.2013 - Cigarette électronique : la presse française n’hésite pas à nous enfumer, Ghyslain Armand, ma-cigarette.fr, 05.02.2013
- D’où sortent les chiffres de Bertrand Dautzenberg ? , Le blog de Jacques Le Houezec, 20.02.2013
- La cigarette électronique chez les jeunes : une porte d’entrée vers le tabagisme ?, Sylvain Filatriau, Absolut Vapor, 3 mars 2013
- Dr Kamal Chaouachi 3/4 : « La dépendance au narguilé est une mystification »
- Paris children used as pawns in EU e-cigarette battle, Paul L. Bergen, Tobacco Harm Reduction: News & Opinions ; March 3, 2013
- Gourous de la com, fin de règne, Pierre-Yves Frelaux, Président du groupe de communication TBWA\CORPORATE revient sur l'affaire Cahuzac. JDD, 26 avril 2013
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Pour avoir lu et écouté le professeur Dautzenberg depuis quelque temps et l'évolution de son argumentation, sa démarche me semble évidente et peut se détecter par une analyse de sa prose qu'un collégien de seconde est susceptible d'effectuer correctement.
Pour moi, c'est un «sous-marin » des laboratoires pharmaceutiques qui dans un premier temps à essayer de protéger le marché pharmaceutique des substituts nicotiniques en diffusant un certain nombre d'informations qui procèdent, pour le moins, du mensonge (vous fumez de l'antigel, il n'y a pas d'études, etc., etc.) ou pour le pire, d'une ignorance crasse du sujet ce qui est particulièrement grave de la part d'un tabacologue censé avoir autorité sur la question et en position de conseiller nos responsables politiques.
Devant le raz-de-marée de la cigarette électronique et l'impossibilité de continuer à diffuser devant la communauté scientifique et le grand public les mensonges qu'il proférait précédemment, il a un peu changé de tactique pour que le phénomène revienne dans le giron de l'industrie pharmaceutique… La boucle est bouclée…
Que chacun étudie ce qu'il a bien pu dire et publié et se fasse son opinion personnelle…
Rédigé par : marma | 03/05/2013 à 18:43