Lors des débats entre les trois institutions européennes - le 'trilogue' - tout se passe comme si les parties prenantes économiques concernées s'étaient alliées pour profiter du fait que la Santé ne relève pas des prérogatives européennes. Big Tobacco et Big Pharma proposent un consensus pour une réglementation qui ménage leurs intérêts, et aussi ceux des États constituant l'Union.
Deux stratégies divergentes face à la cigarette électronique
Face à l'iruption de la cigarette "électronique", les industriels du tabac et ceux de la pharmacie ont initialement adopté des stratégies divergentes.
1°) Big Pharma sur la défensive
Big Pharma écrivait aux autorités sanitaires britanniques en 2010 qu’elle ne s’intéresserait à la cigarette électronique que si elle en disposait – au préalable – du monopole. Les firmes pharmaceutiques sont encore mieux en mesure de lever des barrières stratosphériques à la concurrence des aides non pharmaceutique que Big Tobacco de bannir les alternatives au tabac fumé, comme le Snus en Suède.
Les manipulations constatées à Bruxelles depuis l’été dernier montrent que l’industrie pharmaceutique est prête à tout faire pour tuer le marché d’un produit alternatif et pour lequel elle ne peut envisager de disposer d’une offre compétitive. La cigarette électronique est une produit – électronique plus que chimique – dont la technologie est chinoise et donc hors de portée des tentacules des multinationales anglo-saxonnes dominant Big Pharma et y faisant la loi.
Le premier problème posé par l’ecig est d'avoir démontré, par son succès commercial aussi foudroyant que spontané, qu’elle était la solution que tant de fumeurs attendaient pour se passer du tabac : la menace stratégique sur Big Pharma est que ce dispositif innovant annihile le business des activistes anti-tabac qu'elle soutient et celui des pseudo 'solutions' pour enrayer le tabagisme. Big Pharma a tout à perdre, rien à gagner. Tout à perdre y compris surtout le chiffre d’affaires des traitements des malades du tabagisme, évalué – pardonnez l'imprécision – à entre 100 et 200 milliards de dollars par an dans le monde. Les coûts du tabagisme ne sont pas perdus pour tout le monde !
La moyenne d’âge des vapoteurs participant aux enquêtes est inférieure à quarante ans. A 40 ans, peu de fumeurs sont déjà malades du tabagisme. Si une option sans risque permet de redevenir non fumeur assez tôt, sans effort voire avec plaisir, ce réservoir de malades à traiter va disparaître. En 2004, Sir Richard Doll a montré après une observation de cinquante ans que l'espérance de vie d'un médecin n'ayant jamais fumé n'était pas différente de celle d'un médecin ayant cessé le tabagisme avant 35 ans [2] :
Avec cette bataille gagnée contre le tabagisme disparaitront :
- 60 % du business des pneumologues (selon une déclaration du Pr Dautzenberg à Canal+ le 02 décembre dernier) ;
- 100 % du business des activistes anti-tabac – c’en est un, énorme, aux USA, se chiffrant en centaines de millions de dollars – qui n’ont donc pas intérêt à la réduction de l’épidémie (comme ils se plaisent à le dire). Leur stratégie du tout ou rien ('Quit or die') est mise en défaut.
La propagande pharmaceutique est calculée pour ne pas avoir trop d’effet donc. La publicité pour les prétendus ‘substituts’ – en réalité de la nicotine de grade pharmaceutique – serait plutôt un message déculpabilisant les jeunes des risques du tabac : “Avec ces produits, j’arrêterai quand je le voudrai” disent-ils avec bravache. Les messages des ligues anti-fumeurs à l’inverse stigmatisent et stressent les fumeurs plus âgés en mal d’une aide plus efficace que rien du tout : ceci concourt à les faire rechuter et à les enfoncer dans la trappe de la dépendance durable. Malus en prime : être malade à cause du tabagisme ne favorise pas l’arrêt. Voila de bons clients potentiels pour des traitements palliatifs à vie, qui de la bronchite chronique, qui de problèmes cardiovasculaires, etc.
Si les officines anti-tabac en France et ailleurs avaient été un minimum efficaces, on aurait constaté une baisse du chiffre d’affaires des cigarettiers. Ce n’est que depuis tout récemment que c’est le cas, de façon encore marginale et possiblement à cause de la déferlante des cigarettes électroniques. Les analystes du marché boursier font encore confiance à Big Tobacco pour se tirer du mauvais pas dans lequel le mettrait la cigarette électronique, et d’autant plus aisément qu’elle en contrôlerait le marché.
Ainsi l’inefficacité des activistes, comme les associations Comité national contre le tabagisme (CNCT) ou Droits des Non Fumeurs (DNF) en France, se traduit dans la durée par la bonne santé d’une industrie qu’elles vilipendient. Voici à titre d’exemple le cours de l’action de British American Tobacco (BAT) ces dix dernières années :
On ne me fera pas croire que ces activistes étaient réellement motivés par le résultat. Ou alors ils ont pêché par incompétence (et prétention). Cette incompétence convient très bien à Big Tobacco dont le laisser-faire depuis une dizaine d’années est aussi assourdissant que rentable. Elle fait aussi les affaires de Big Pharma, avec un décalage de revenus de quelques décennies. Dans cette macabre distribution des prix n’oublions pas l'accessit aux ministères en charge du budget de l'État, devant maintenir les rentrées de taxes sur le tabac composant plus de 80 % du prix de vente.
2°) Big Tobacco offensif
Les cigarettiers ont tenté par le passé d'innover avec des produits du tabac à moindre risque. Les activistes anti-tabac ont tué ces initiatives dans l'oeuf. 'Quit or die', arrêter ou mourir du tabac est le dogme depuis les années 1970. Concernant la cigarette électronique, les premières manœuvres de l’industrie du tabac furent toutefois défensives : Ruyan, leader de l’époque, racheté puis coulé, ne s’en est pas remis…
Mais depuis deux ans Big Tobacco rachète des brevets et les principaux vendeurs de cigarettes électroniques ressemblant aux cigarettes (cigalikes) [1]. La stratégie est maintenant offensive : récupérer les parts de marché menacées et dans toute la mesure du possible y imposer son monopole comme il est de bon ton dans les affaires. Quoi qu'il arrive, le développement de cet immense et lucratif business ne se fera pas aux dépens de Big Tobacco.
Big Pharma pris la main dans le sac
UnAirNeuf.org dénonce depuis deux ans maintenant la duplicité des industriels en blouse blanche se prenant pour ‘chevalier blanc’ de la défense des fumeurs. Un récent scandale à l’occasion des débats européens sur le statut de la cigarette électronique vient de donner de l’eau à notre moulin. Ce scandale est rapporté par Dr Farsalinos, l’un des tout premiers scientifiques actifs dans la recherche sur la cigarette électronique avec lequel nous collaborons à l’occasion.
Dans un article Scandalous propaganda from a pharmaceutical company Misinforming European Union in order to manipulate decisions on electronic cigarettes [3], Farsalinos dénonce un courrier aux parlementaires européens visant à limiter le dosage en nicotine autorisé dans les cigarettes électroniques, afin de les rendre inefficaces. Ceci est fait pour le compte d’un industriel des palliatifs de nicotine, dont les vapoteurs ne veulent évidemment pas après vérifié leur inefficacité pour l’arrêt du tabac.
Les jeux d’influence sont inévitables à Bruxelles et dans les lieux de pouvoir. L’industrie pharmaceutique, dont la seule mission est de créer de la valeur pour l’actionnaire, utilise les mêmes procédés d’influence que l’industrie du tabac et ne vaut pas mieux :
- celle-ci récupére un marché pour en tirer profit,
- celle-là entend tuer un marché au dépens de la santé des fumeurs.
Il revient aux politiques, censés défendre l’intérêt des citoyens contre les forces économiques de se déciller les yeux : laisser le dernier mot aux responsables du système de santé, notoirement sous influence de Big Pharma, constituerait un facteur de risque et une perte de chance pour les fumeurs.
Une alliance entre Big Tobacco, Big Pharma et Big Taxes ?
Ce qui apparait le plus probable à l'analyse, c'est que les trois principales parties prenantes économiques concernées s'allient et profitent du fait que la santé ne relève pas des prérogatives européennes. La politique de santé relève de chaque pays. Officiellement, la révision de la Directive Tabac est justifiée par le fonctionnement du marché intérieur : une logique purement économique.
Big Pharma a tenté de passer en force via la Commission Européenne : le vote négatif du Parlement Européen le 8 octobre dernier est un obstacle sérieux. Une autre option existe : laisser Big Tobacco commercialiser des cigarettes électroniques sans grand impact sur l'arrêt du tabac ou - au pire - à un coût rédhibitoire. Elles pourraient être optimisées pour un usage hybride (ou 'dual'), le fumeur restant durablement accro à ses cigarettes et vapotant aussi. Dans cette logique, la cigarette, électronique ou pas, reste un produit du tabac, taxable à merci.
A court terme comme à long terme, les bénéfices restent globalement peu altérés. La baisse du nombre de fumeurs est stoppée, les taxes et accises restent à un niveau élevé et la réduction des maladies du tabagisme, liées essentiellement à la durée de celui-ci et relativement peu à la quantité fumée, non significative. Tout est bien dans le meilleurs des mondes. Hormis la santé des millions de fumeurs, qui peuvent bien tousser...
Notes
- À la notable exception du premier d’entre eux, Njoy, qui fera son entrée sur le marché français dans quelques semaines.
- Mortality in relation to smoking: 50 years’ observations on male British doctors,
Doll & al, BMJ 2004
- Scandalous propaganda from a pharmaceutical company Misinforming European Union in order to manipulate decisions on electronic cigarettes,
ecigarette-research.com, 04.12.2013
Cette propagande fait référence à une étude vieille de quatre ans, avec un matériel déjà obsolète au moment de sa publication, en ignorant les données validées plus récentes.
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