Une des difficultés de la cessation du tabagisme vient de ce que les fumeurs ne sont pas égaux devant la dépendance. Nous avons tous connu quelqu'un qui fume de temps en temps, sans être devenu accro : le rêve ! Le fantasme plutôt, car le cas reste rare. Certains éliminent rapidement la nicotine, d'autres - environ 40 % des fumeurs - la "métabolisent" plus lentement.
Une étude biaisée pour booster les ventes en cette période favorable aux décisions d'arrêt du tabac
Une recherche d'ampleur vient d'être publiée par une université étatsunienne, comparant l'efficacité relative de deux traitements pharmacologiques réputés d'aide au sevrage dans le cadre de consultations hospitalières de tabacologie [1] :
- les timbres de nicotine et,
- la varénicline (marque Champix de Pfizer).
Les fumeurs volontaires sélectionnés ont été répartis en deux ensembles suivant un biomarqueur de leur vitesse de métabolisation de la nicotine (VMN) : lente (N=662, VMN moyen = 0,20) ou rapide (N=584, VMN moyen = 0,50). Chaque classe a été ensuite répartie au hasard en trois groupes :
- un groupe placebo (pas de produit actif d'aide au sevrage)
- un groupe avec 12 semaines de timbres de nicotine
- un groupe traité avec la varénicline pendant 12 semaines
Concernant la cessation du tabagisme à l'horizon d'un an de la date de début du traitement :
- la nicotine en timbre est plus efficace que la varénicline, tant à 6 mois qu'à 12 pour les fumeurs métabolisant lentement,
- et dans cette population, à 12 mois, la varénicline (31 arrêts, 14,1 %) ne fait pas significativement mieux que les placebos (29, 13,5 %) !
Voici le détail des chiffres : plutôt que les valeurs relatives, nous préférons vous indiquer les scores bruts que nous avons recalculés.
Tableau 1 : Efficacité des traitements pharmacologiques
N \ Médication |
Placebo
|
Nicotine
|
Varénicline
|
Lents : |
215 |
227 |
220 |
Arrêts |
29 |
44 |
31 |
Normaux : |
193 |
191 |
200 |
Arrêts |
21 |
25 |
32 |
N Total |
408 |
418 |
420 |
Comme en général lors d'une étude contrôlée de l'aide à la cessation du tabagisme, un traitement placebo, sans effet pharmacologique, est affecté à un groupe de contrôle. Ainsi dans le tableau ci-dessus, il est possible de soustraire les scores des traitements sans produit actif pour évaluer la supériorité nette du traitement étudié. Sur environ 200 candidats à l'arrêt des groupes des métaboliseurs "lents", le gain sur le placebo est de 2 arrêts (31 - 29) avec la varénicline, soit (2 / 220) un peu moins de 1 %. Ce qui n'est pas élevé, et bien loin des annonces miraculeuses faites lors du lancement de ce produit en 2007.
Il y a un autre facteur à prendre en considération : la possibilité qu'a le fumeur de deviner si le traitement qu'on lui dispense est une simulation ou pas. L'absence de placebo crédible à la nicotine annihile la valeur scientifique de cette étude. En effet, pour une analyse rigoureuse, il conviendrait d'éliminer les participants ayant deviné correctement qu'ils "bénéficiaient" (si l'on peut dire) du placebo. Cette analyse n'est pas communiquée et n'a probablement pas été effectuée. En toute rigueur dans un essai en double insu, ceci doit être fait.
Cela est d'autant plus nécessaire dans le cas d'aide au sevrage que le fumeur est tout à fait capable de sentir l'effet de la nicotine et/ou de ses palliatifs éventuels. Les vapoteurs de nicotine reconnaissent habituellement une différence de concentration en nicotine dans le e-liquide de 1 mg/ml, soit une variation absolue de 0,1 %. Quel est le fumeur qui ne sent pas très rapidement l'effet de la nicotine (ou son absence) ? Quelle peut être sa réaction s'il découvre qu'il ne bénéficie pas d'un traitement actif ? Il abandonne ou fait semblant de continuer à participer. Dans la vraie vie, des études ont montré que la durée d'usage des timbres n'excédait pas trois semaines en moyenne. Dans cette étude, 37 % des participants sont des personnes sans emploi et il n'est pas indiqué si l'observance était rémunérée : on peut penser que c'était le cas, pour éviter (masquer) les importants abandons du groupe placebo en particulier. Ce protocole fausse évidemment le résultat des traitements actifs (en intention de traiter comme il convient), en les majorant.
Nous notons aussi que les scores des groupes placebo sont stupéfiants :
- 13,5 % de taux d'arrêt avec les métaboliseurs lents
- 10,9 % de taux d'arrêt avec les métaboliseurs normaux
Apparemment les traitements sans effet pharmacologique en Pennsylvanie sont aussi performants que les traitements médicaux prescrits et accompagnés en France : il y a un truc ! Un biais dirons-nous. Ce score ne semble pas conforme à la réalité observée sur le terrain et renforce la suspicion d'une étude expérimentale orientée dans le but de majorer le résultat des produits pharmaceutiques étudiés.
Le graphique suivant permet d'autres observations. Il présente les taux de cessation du tabagisme
- à 12 semaines au moment de la cessation du traitement palliatif, quand son effet est maximal,
- à six mois et,
- à un an
pour chacune des classes de fumeurs.
Classiquement l'effet du traitement pharmacologique s'évapore au fil des semaines et l'on peut même penser qu'il finit par devenir sans signification statistique : c'est ce que mesure le paramètre p, mais l'étude n'indique pas tous les résultats, c'est dommage. Ou voulu ?
Ce graphique montre bien l'illusion procurée par les palliatifs de nicotine : une différence qui fait illusion au début mais qui finit par disparaître sur le long terme. C'est simplement parce qu'assimiler le tabagisme à une maladie qu'un médicament pourrait traiter n'est pas un modèle plausible, n'en déplaise à la corporation médicale qui monopolise les solutions autorisées. Il n'est pas vraiment nécessaire de procéder à un test sanguin afin de déterminer quel traitement est le plus approprié : à un an, cela ne fera pas grande différence pour les fumeurs (mais permet quelque chiffre d'affaires pour les seuls laboratoire$ d'analyse, les vendeur$ et prescripteur$ de médicaments).
L'avis sceptique de spécialistes français
C'est l'avis de Dr Dominique Dupagne et de Pr Max Budowski, médecin généraliste et tabacologue, professeur de médecine générale à Paris Diderot, interviewés dans l'émission scientifique de France Inter La Tête au Carré, animée par Mathieu Vidard, le 13 janvier 2015 :
http://www.franceinter.fr/reecouter-diffusions/434607 (écouter de 3'15 à 10'30)
Extraits choisis :
MV : Les fumeurs ne sont pas tous égaux devant le sevrage de la nicotine. Selon les chercheurs américains, la vitesse avec laquelle un fumeur élimine la nicotine de son organisme permet même de déterminer le meilleur traitement pour l'arrêt de la cigarette. Pour en parler, le tabacologue Max Budowski et notre médecin Dominique Dupagne. Selon cette étude, le sevrage tabagique serait plus efficace en effectuant une prise de sang pour déterminer la vitesse d'élimination de la nicotine du patient.
DD : Pour l'instant on n'a pas l'impression que cela va révolutionner la prise en charge de la cigarette...
MB : Vous savez les traitements, c'est moins de 10 % de réussite du sevrage tabagique. 90 % est d'ordre psychologique. J'ai trouvé l'étude très intéressante sur le plan scientifique mais sur l'apport pratique il est quand même assez faible. Quelle est l'efficacité réelle du médicament ? Actuellement, on ne le sait pas même pas nous même... On sait que les patchs ont un certain degré d'efficacité mais derrière il y a tout, la motivation, l'état psychologique du patient... Il y a beaucoup de choses qui sont derrière ; donc la réussite ne dépend pas uniquement du traitement pharmacologique mais aussi d'autres facteurs.
DD : Nous (la médecine), on a confisqué le sevrage tabagique, qui est en effet une affaire de psychologues. C'est de la psychologie ! Il y a une préparation psychologique dans laquelle les médicaments sont une amorce initiale et d'efficacité extrêmement modérée. [...] Il faut arrêter de penser que l'on va arrêter de fumer grâce à un médicament miracle. On va arrêter de fumer grâce à une démarche psychologique qui va faire en sorte de lutter contre cette addiction et trouver une détermination suffisante pour se priver de la cigarette définitivement.
MV : Qui finance ce genre d'études ?
MB : Là, c'est l'Université de Pennsylvanie qui l'a faite. C'est une étude qui a été très bien menée. Bon, les auteurs ont tous des conflits d'intérêt avec les deux laboratoires qui fournissent les patchs et la varénicline, et les tests aussi probablement...
Des pâtes ou du riz ? Non, je préfère des frites...
L'industrie pharmaceutique reste mobilisée pour conserver le monopole des aides à la cessation du tabagisme (et sauver la face des tabacocologues). Cette étude menée par des chercheurs pharma-amis permet de maintenir l'étau : les professionnels de santé conservent le choix entre les pâtes (les patchs) et le riz (Champix°). Suivant un paramètre génétique, l'un ou l'autre service sera plus efficace. Efficace ? Ah bon. Ni l'un ni l'autre traitement pharmacologique n'ont de valeur ajoutée durable pour faire face aux envies de fumer, qui sont le facteur d'une rechute quasi automatique.
Cette étude, qui a dû coûter des millions de dollars et donne toutes les apparences de la scientificité pêche par de nombreux biais méthodologiques, comme quasiment toutes celles visant le même objectif commercial et entretenant l'illusion du traitement médicamenteux. Les résultats expérimentaux ne sont pas conformes à la réalité observable. Il serait temps que Big Pharma cesse d'imposer de fausses solutions qui constituent des pertes de chance pour les fumeurs. Au restaurant, quand le serveur vous propose l'alternative de pâtes ou de riz, il ne vous est pas interdit de demander des frites !
Note
En France les ventes de la varénicline (marque Champix de Pfizer) se sont vendues à moins de 3000 boites par mois en 2014, encore en baisse de 34 % par rapport à 2013. Les médecins ne veulent plus prescrire ce produit inefficace et au risque d'effets secondaires beaucoup trop élevé.
Référence
- Lerman & al. ; Use of the nicotine metabolite ratio as a genetically informed biomarker of response to nicotine patch or varenicline for smoking cessation: a randomised, double-blind placebocontrolled trial ; Lancet Respir Med 2015, Published Online January 12, 2015 ; http://dx.doi.org/10.1016/S2213-2600(14)70294-2
"Our findings showed that varenicline was better than nicotine patch for normal metabolisers of nicotine, but had equivalent efficacy for slow metabolisers. Slow metabolisers, but not normal metabolisers, reported more overall side-effects on varenicline (vs placebo). These results support the potential clinical validity of the nicotine metabolite ratio as a biomarker to guide the choice of therapy for individual smokers. To optimise quit rates for all smokers while minimising side-effects, our data support treating normal metabolisers (60% of smokers in the population) with varenicline, and slow metabolisers with nicotine patches."
[Mise à jour 17.01.2015] À éviter sur le même sujet...
L'article de Jean-Yves Nau sur Slate.fr a immédiatement rapporté la publication de cette étude. Sceptique lui-aussi, il conclut assez justement en ces termes :
"Actuellement, le taux de succès à un an des tentatives de sevrage tabagique est de l’ordre de 4%, la seule manière de réussir étant, pour le fumeur, d’augmenter le nombre des tentatives au risque de se lasser. Une autre solution, de plus en plus fréquente, est de troquer les cigarettes de tabac conter la cigarette électronique qui offre l’avantage considérable de ne pas inhaler de produits toxiques et cancérigènes."
Un détail : nous aurions plutôt écrit "troquer les cigarettes de tabac POUR la cigarette électronique" et non "Contre" ("conter" dans la version consultée ce jour).
L'article contient deux âneries qu'il nous semble judicieux de signaler. Selon J-Y. Nau,
"Il est désormais bien établi que de toutes les substances addictives, la molécule de nicotine est l’une de celles qui déclenche l’une des plus fortes relations de dépendance."
Ah bon ? Il serait "établi" que la nicotine déclenche une forte relation de dépendance ????
Je mets au défi Dr Nau de citer une seule étude scientifique démontrant le caractère addictogène de la nicotine chez l'homme. C'est un mythe, comme d'autres l'ont déjà signalé, en France les Pr Molimard et Tassin. Seule, la nicotine ne rend pas dépendant. La nicotine inhalée des cigarettes électroniques n'a jamais rendu accro aucun jeune naïf de fumée de tabac : on n'en a pas de signalement. Le tabagisme est addictif, à cause de la nicotine en particulier, et à très faible intensité. Mais la nicotine consommée seule, non.
Ceux qui répandent ce genre d'ânerie ont droit au piquet jusqu'à la fin de leurs jours.
Et notre bon journaliste scientifique complice du célèbrissime Pr Dautzenberg d'ajouter :
"C’est, schématiquement, la chute de la concentration de nicotine dans le sang (nicotinémie) qui déclenche l’envie irrépressible de reprendre la consommation de tabac."
Il n'y a d'envie irrépressible qu'avec le tabagisme, pas avec la nicotine seule. Puisque J-Y. Nau se targue de connaître le vaporisateur personnel (qu'il nomme cigarette électronique), il faudra qu'il nous explique pourquoi les vapoteurs de nicotine baissent avec le temps la concentration en nicotine de ce qu'ils vapotent, comme s'ils en développaient une intolérance. "Schématiquement", on peut affirmer que CE N'EST PAS la baisse de la nicotinémie qui suscite l'envie renouvellée de vapoter. Ce schéma n'est pas valide.
Ce schéma n'est pas valide pour au moins trois autres raisons :
- les explications que donnent les fumeurs quand ils ont - à leur grand dépit - repris la cigarette ; leur humeur à ce moment là semble déterminante ;
- cela ne peut expliquer les rechutes, qui interviennent des jours, des mois, des années et même des décennies (nous avons des noms) après une cessation complète du tabagisme ;
- la métabolisation rapide de la nicotine (environ la moitié en deux heures) fait que les fumeurs sont quasiment à jeun le matin et pourtant beaucoup attendent une heure ou plus avant d'alumer leur première cigarette.
Cela se lit aussi dans les détails mêmes de l'étude. Ceux qui éliminent lentement la nicotine devraient fumer moins souvent que les métaboliseurs "normaux" : ce n'est pas vraiment le cas, du moins dans ce large échantillon. En effet, le nombre moyen de cigarettes quotidiennes s'élève respectivement à :
- 17,3 cig/j pour les métaboliseurs lents,
- 18,8 cig/j pour les métaboliseurs normaux.
Un si faible écart de consommation (+ 8,9 %) ne valide pas ce "schéma" focalisé sur la concentration en nicotine dans le sang ! Ceci dévoile le mythe, popularisé par les vendeurs de palliatifs capables de financer des études colossales pour des résultats, comme J-Y. Nau le reconnait volontiers lui-même : MINABLES. Mythe nocif pour la cause qu'il défend. Nous lui souhaitons d'avoir le courage de cesser de répandre ce dogme dans les médias.