Une ethnologue et un pédiatre de l'Université de Lausanne (Suisse) ont conduit en 2014 une étude qualitative sur l'avis de jeunes adultes suisses francophones concernant la cigarette électronique. En groupes de deux à huit personnes, quarante deux participants d'âge moyen 20,4 ans ont échangé, pendant une heure trente, sur leur vision de la cigarette électronique.
La vente de e-liquides contenant de la nicotine est interdite en Suisse. La répartition des déclarations de consommation de 31 vapoteurs présents ou passés est la suivante :
Vapoteur |
avec nicotine
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sans nicotine
|
ne sait pas
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N |
15 |
11 |
5 |
% |
48 % |
36 % |
16 % |
Nous pouvons en déduire que la majorité des vapoteurs participants ont utilisé des simili-cigarettes "cigalike" avec cartouche préremplie, et non des vaporisateurs personnels, produits de 2e et 3e génération avec lesquels le vapotage sans nicotine ne représente que 4 % des utilisateurs réguliers selon diverses études.
Aucun des huit non-fumeurs participants n'est allé au delà d'un essai (5/8) ou n'a jamais essayé de vapoter (3/8). Ceci tend à invalider l'affirmation des auteurs laissant entendre que la cigarette électronique constituerait une passerelle vers le tabagisme (au moins dans cette tranche d'âge). L'avis de ces non vapoteurs sur le vapotage reflète donc probablement ce qui se dit au café du commerce (grâce à l'ardente propagande de l'Organisation Mondiale de la Santé et autres zélotes).
Parmi les participants considérés comme vapoteurs, tous fumeurs réguliers par ailleurs, la fréquence moyenne de vapotage est extrêmement faible :
- 3,5 fois par semaine dans le groupe 3 (N=7)
- 3,2 fois par semaine dans le groupe 5 (N=5)
- 2,5 fois par jour dans le groupe 7 (N=2)
A une exception près (une fumeuse de 37 cigarettes par jour vapotant tous les jours), les participants à cette étude ne sont donc pas ce que l'on pourrait qualifier de vapoteurs réguliers, mais plus justement occasionnels. Cette étude ne représente l'avis que de vapoteurs occasionnels et l'on est en droit de s'interroger sur l'absence de vapoteurs réguliers...
Enfin, un "jeune" participant est âgé 16 ans, quatre ont 17 ans, tous les autres sont des adultes majeurs, probablement étudiants pour la plupart. Ces "jeunes" là, pour reprendre la qualification des auteurs, sont loin d'être préados en recherche d'identité, faisant leurs premières expériences dans le monde adulte...
Nous notons aussi que les auteurs ont ignoré les travaux postérieurs à 2011 de leur collègue Pr Jean-François Etter à Genève : ils sont nombreux et font référence [2]. C'est une lacune regrettable qui n'est pas à leur honneur.
Ces biais ayant été précisés, voici les conclusions avancées par les auteurs à partir des nombreux propos échangés, qui sont très intéressants à consulter en détail.
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Christina Akré |
Joan-Carles Suris |
Conclusions proposées
La principale raison pour utiliser les cigarettes électroniques parmi les jeunes est l’expérimentation, contrairement à l’arrêt du tabac qui reste relativement rare. Le fait de pouvoir vapoter là où les cigarettes [de tabac] sont interdites ou de ne pas être obligé de sortir à l’extérieur pour fumer sont aussi des raisons souvent mentionnées.
L’effet de mode, l’identification avec le produit, l’aspect ludique ainsi que le grand nombre d’arômes proposés attirent énormément les jeunes.
La consommation avec ou sans nicotine ne pose pas de problème à la majorité des jeunes interrogés, surtout ceux qui ne fument pas de tabac. Ces derniers sont surtout attirés par les arômes. Cependant, les fumeurs de tabac indiquent que l’absence de nicotine (et, donc, d’effet) ne les attire pas et pensent que les cigarettes électroniques ne pourront jamais remplacer les cigarettes de tabac.
Bien que certains fumeurs s’initient aux cigarettes électroniques pour essayer de réduire ou arrêter leur consommation de tabac, la plupart des jeunes interrogés indiquent qu’ils ont fini par recommencer à fumer, qu’ils consomment les deux en parallèle, et par conséquent fument plus qu’avant.
Globalement, la cigarette électronique est perçue comme moins nocive que le tabac, bien que les jeunes soient conscients du manque d’études à ce sujet. Néanmoins, cette notion de manque de nocivité est un facteur attractif additionnel.
Ce qui est surprenant et à la fois alarmant sont les jeunes non-fumeurs qui disent utiliser les cigarettes électroniques pour ne pas se sentir mis à l’écart lorsque leurs amis fumeurs sortent à l’extérieur pour fumer. Plus encore, certains jeunes indiquent qu’ils basculent vers les cigarettes électroniques pour ne pas se sentir exclus du cercle des fumeurs. Ceci pourrait être un effet négatif indirect de la loi sur la protection contre le tabagisme passif. L’impact de la prohibition de fumer dans les lieux publics sur le tabagisme est controversé, bien qu’en Suisse cela semble avoir un certain effet. Néanmoins, il est clair que le fait que les fumeurs doivent se rendre à l’extérieur pour fumer laisse les non-fumeurs seuls et peuvent se sentir mis à l’écart. Bien que la cigarette électronique puisse être une solution à ce phénomène, il n’est pas moins certain qu’elle peut également pousser les non-fumeurs au tabagisme.
Commentaire sur les conclusions avancées
Malgré ses sévères biais de sélection, cette étude est intéressante dans le contexte d'un pays où la vente de liquide avec nicotine est interdite. Elle confirme trois conclusions que d'autres études ont établies :
- l'usage des simili-cigarettes est de peu d'utilité pour les jeunes désirant cesser le tabagisme ; il se limite à une alternative temporaire et occasionnelle ;
- l'usage de "cigarettes électroniques" sans nicotine est de peu d'utilité pour les jeunes désirant cesser le tabagisme ;
- l'hypothèse de la passerelle vapotage --> tabagisme n'est confirmée par aucun cas parmi les jeunes consultés.
La comparaison avec les produits de substitution nicotinique, prévue dans les objectifs de l'étude, est complètement passée à la trappe : peut-être qu'aucun des participants n'y étaient intéressés ?
Commentaire sur les recommandations des auteurs
Les auteurs, possiblement hypnotisés par la doxa hygiéniste suisse, proposent quelques recommandations dans l'air du temps :
- "Les cigarettes électroniques devraient être considérées comme des produits du tabac."
- "Si les cigarettes électroniques sont un produit nicotinique destiné au sevrage tabagique, les arômes devraient être interdits."
- ...
Nous arrêtons là cette liste de recommandations délirantes car faisant le lit du tabagisme durable. Nous invitons chacun de se forger sa propre opinion à partir des propos échangés, qui sont riches d'enseignements, en gardant à l'esprit qu'ils ont été tenus dans un pays interdisant la vente produits pour le vapotage contenant de la nicotine : c'est actuellement le cas en Belgique et au Canada, mais pas en France.
Pour notre part nous sommes favorables (comme J-F. Etter) à la vente de produits de vapotage aux mineurs, y compris avec nicotine dès lors qu'il n'existe aucune preuve établie que cela constitue un risque de dépendance ultérieur. Les fumeurs mineurs sont nos enfants et il serait criminel de leur interdire une consommation à moindre risque.
Référence
- Christina Akré, Joan-Carles Suris ; Une étude qualitative sur l’usage des cigarettes électroniques (e-cigarettes) chez les jeunes ; Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne, Groupe de recherche sur la santé des adolescents 2014 (Raisons de santé 237) ; CHUV-DUMSC, ISSN 1660-7104
- La vérité sur la cigarette électronique selon J-F. Etter