De nouveaux arguments sont présentés faisant douter de l'intérêt d'une disponibilité en vente libre des palliatifs nicotiniques dans une optique de cessation du tabagisme.
Quand les autorités de santé publique découvrent à leur grand regret que
'Les patchs ne gagnent pas le match'
Les contestations de l’utilité des substituts nicotiniques pour la cessation du tabagisme sont anciennes. L’immense majorité des fumeurs y ayant eu recours peuvent témoigner de leur manque d’efficacité, certes d’une façon qui reste anecdotique pour la puissance médicale… Une étude dirigée par John Pierce, professeur de médecine à l’Université de Californie à San Diego, publiée dans le JAMA (Journal of the American Medical Association) en 2002 révélait, déjà, le gouffre séparant les résultats des essais cliniques réalisés sur des fumeurs sélectionnés et la réalité de la cessation du tabagisme sur le terrain. Une augmentation de l’accès aux traitements pharmacologiques (suite à la décision d’autoriser leur commercialisation sans prescription médicale à compter de 1996) ne s’est pas avérée « associée à un accroissement de la cessation du tabagisme dans la population » écrivait-il [1]
En avril 2007 (il y a dix ans), UnAirNeuf.org rapportait dans une article Les patchs ne gagnent pas le match [2] une autre étude, réalisée au National Cancer Institute (NCI, Maryland, USA) sous la direction de Anne Hartman, présentée à la Conférence Mondiale sur le Tabac (WCTOH) le 14 juillet 2006. Concernant 8200 fumeurs réguliers depuis plus d'un an, âgés de 25 ans et plus et dont la tentative d'arrêt date de moins d'un an, elle démontre l’absence statistique d'efficacité des palliatifs nicotiniques dans la vie réelle quand on considère le taux de cessation du tabagisme à 9 mois :
Voici le taux d'abstinence tabagique dans le temps, avec patch et sans médication (crédit John Polito) :
La probabilité de l’abstinence décroit avec le temps : au-delà de six mois, l’arrêt du tabagisme est MINORÉ en cas de substitution nicotinique. Au cas où l'aide pharmacologique aurait été efficace pour certains, pour autant d'autres au moins elle aura empêché l'arrêt. Le taux d'arrêt dépend de l'horizon de temps retenu : plus le bilan est tardif, moins l'aide produit de l'effet.
Une autre étude de suivi des participants inscrits dans un essai clinique de timbres de nicotine a révélé qu'à l'horizon de huit ans, il n'y a pas de différence statistiquement significative entre l'abstinence des utilisateurs de patchs et celle de ceux n'y ayant pas eu recours [3]
Ce qui peut être évalué sur des volontaires pour des études cliniques n’est pas confirmé dans la réalité sur le terrain ! Il n'est pas exact que les aides médicamenteuses 'doublent les chances de succès' : par rapport à une substance médicamenteuse de référence sans action pharmacologique nommée 'placebo' elles peuvent (peut-être) doubler - à brève échéance - la probabilité d'abstinence de cobayes 'pas trop malades' en suivant un protocole médical lourd avec de nombreuses interactions de contrôle notamment. Il ne s'agit pas d’arrêt durable.
Plus récemment en 2014, deux études épidémiologiques au Royaume Uni, l’une rétrospective, la deuxième prospective, ont révélé que les traitements nicotiniques de substitution pris seuls n'améliorent globalement pas la probabilité d'arrêt du tabagisme et peuvent même représenter une perte de chance [4, 5, 6].
Ces éléments confortent notre leitmotiv « Les patchs ne gagnent pas le match », vrai dans le cas général même s’il peut être faux à court terme dans quelques cas particuliers d’études non déliées d’intérêts. Et cela nous a autorisé à appeler « palliatifs nicotiniques » ces produits qui, seuls, ne soignent rien et dont les utilisateurs ne sont pas – en général – des « malades ». Aujourd'hui ce sont des activistes anti-fumeurs qui s'en plaignent...
"Si quelqu'un entend nous chiper notre business, autant faire comme lui."
Certains lecteurs d’UnAirNeuf.org connaissent peut-être Stanton Glantz. Aux autres, disons qu’il compte parmi les plus ardents zélotes de la guerre anti-tabac et inventeurs de l'exploitation politique des effets du tabagisme passif. [7] Un séminaire avait été organisé en 2004 en vue de la définition de la politique californienne de réduction du risque tabagique pour les personnes restant fumeuses. Stanton Glantz, qu'on ne peut suspecter a priori de dénigrement des aides pharmaceutiques affirmait alors dans son intervention :
« Il existe dorénavant un large corpus de preuves sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans la lutte contre le tabagisme[...] Nous avons également des éléments de preuve sur la base de notre expérience passée avec les cigarettes allégées en nicotine ainsi que certaines preuves concernant les substituts nicotiniques sans prescription : ces approches ont tendance à maintenir le tabagisme. » [8]
Ce séminaire a été à la base de l’obstruction systématique des autorités de santé contre les politiques de réduction du risque du tabagisme au profit du dogme “Quit or die”, comprendre : un bon fumeur est un fumeur mort !
Glantz vient de co-publier (avec Dorie Apollonio, professeure associée de pharmacie clinique à l'Université de Californie San Francisco) un essai dans la revue de l’Association Américaine de Santé Publique AJPH intitulé : Les recherches de l'industrie du tabac sur les traitements nicotiniques de substitution : "Si quelqu'un entend nous chiper notre business, autant faire comme lui." [9]
Même si l'objectivité scientifique et la neutralité des auteurs doit être questionnée, ce document est très intéressant pour notre propos : il montre que les fabricants de tabac savaient depuis belle lurette ce qui est mis sous le boisseau par nombre de tabacologues honorables en France et ailleurs : la vente de traitements de substituts nicotiniques n'impacte pas le taux de fumeurs.
Philip Morris savait depuis belle lurette
Dès 1959, les chercheurs de Philip Morris avaient engagé le développement d’une gomme de nicotine à utiliser en parallèle ou en substitution aux cigarettes. En octobre 1960, le directeur de la recherche Helmut Wakeham écrit au vice-président du Département de recherche et de développement : « [Nous voulions] fournir de la nicotine au consommateur sous la forme d'une gomme à mâcher offrant tout le plaisir du tabagisme en éludant les problèmes liés à la santé ». Philip Morris a décidé de ne pas donner suite à cette proposition parce que « un tel produit nous placerait directement sous la coupe de la US Food and Drug Administration, une relation plutôt indésirable ». [10]
Entre 1987 et 2003 (au moins), Philip Morris a suivi des échantillons de fumeurs à travers ses enquêtes Smoker Tracking Survey. Parmi les questions, il y avait celles relatives à la préférence de marque et aux tentatives d'arrêt. Le sondage d'avril 1992 comprenait une tentative de « mesurer l'impact initial du patch de nicotine sur l'arrêt du tabac ». Il est remarqué que l'utilisation de patchs de nicotine – alors sur prescription médicale - n'avait aucun effet sur les taux d'arrêt dans le monde réel :
301 fumeurs abstinents après deux ans (sur 551 personnes identifiées en janvier-février) ont été réinterrogés pour déterminer leur usage du timbre transdermique de nicotine et leurs réactions à celui-ci. Les données de Roper, l'agence mandatée par Philip Morris pour suivre les tendances sur la cigarette, indiquent en décembre que les taux d'arrêt sont restés plus ou moins stables au cours des douze derniers mois. [11]
L'enquête de juin 1992 révèle qu’un an après la mise sur le marché des timbres transdermiques :
Les taux d'arrêts mensuels et à 12 mois sont restés globalement stables en avril alors que l'utilisation des patchs de nicotine pour cesser de fumer a fortement cru en avril (de 8 à 26 %)... Ces résultats semblent suggérer que la croissance du recours aux patchs dans les tentatives s'est faite au détriment des arrêts francs (sans aide).
En août 1992, Doron Stern, le chercheur en charge de cette surveillance, adresse à David Beran, PDG d'Altria - maison mère de Philip Morris - un résumé relatif aux études cliniques de l'industrie pharmaceutique, aux enquêtes et aux groupes de discussion de Philip Morris :
Les résultats cliniques indiquent que le timbre de nicotine est plus efficace qu'un placebo... Il est cependant important de garder à l'esprit que dans les tests correctement validés (c’est-à-dire après un délai d'un an après l'arrêt), les résultats des patchs de nicotine versus placebo sont moins marquants... Une certaine forme de changement comportemental est induite pendant les tests cliniques. De nombreux experts mettent en garde sur le fait que le patch de nicotine est impuissant [comme une méthode de cessation du tabagisme] sans un minimum de soutien psychologique. [12]
Stern ajoute : « La croissance explosive des ventes de timbres de nicotine n'a pas semblé augmenter le taux d'arrêt (actuellement de 6,7 % à 12 mois en juin [1992]). »
Les enseignements des groupes de discussion conduits pour Philip Morris en 1992, résumés dans une présentation Powerpoint, montrent comment les fumeurs ont obtenu et utilisé les TNS : les timbres de nicotine n'étaient pas prescrits en association avec une thérapie comportementale comme cela est conseillé pour permettre leur efficacité, ni n'étaient prescrits avec le même soin que d'autres traitements sur ordonnance :
Si les médecins semblent encourager facilement l'utilisation de substitution nicotinique, peu d'entre eux s'impliquent davantage, par exemple en proposant des conseils, en discutant des effets secondaires ou en suggérant une modification du comportement. [13]
La présentation relevait que les patchs de nicotine étaient utilisés comme adjuvants au tabagisme ; les fumeurs qui les utilisaient dans le but d'arrêter auraient sans doute cessé de fumer de toute façon ["would otherwise have quit outright"]. Ceci a été confirmé dans une étude publiée sous la direction de John P. Pierce dans la Revue annuelle de santé publique 2012 (US Annual Review of Public Health). [14]
Stern rappellera plus tard ces résultats dans un autre memorandum à Beran en octobre 1992 :
"Quasiment tous les hommes ayant utilisé les patchs de nicotine avec qui nous avons parlé ont repris le tabagisme".
Philip Morris a continué à étudier les produits nicotiniques alternatifs comme stratégie pour contrer les restrictions croissantes à fumer sur les lieux de travail. Une présentation de 1992 intitulée "Nicotine Patch Overview" dans les archives Philip Morris affirme que l'entreprise envisageait d'autres approches commerciales pour les timbres de nicotine, notamment :
Cibler les fumeurs avec une un message d'alternative au tabagisme plutôt qu'avec une stratégie de cessation... Environ la moitié des fumeurs [sont] soumis à des contraintes pour fumer sur le lieu de travail et un sur dix se heurtent à une interdiction complète. [15]
Ainsi la santé publique et Big Tobacco s’accordent pour reconnaître que, malgré l’accroissement des interdictions de fumer, les prétendus « substituts » nicotiniques s’avèrent favorables au maintien dans le tabagisme. De plus, l’immense majorité des fumeurs qui les avaient essayés en avaient été déçus et, avec fatalisme, ne comptaient plus sur ces produits pour les aider à se libérer de leur ruineux tabagisme quotidien.
La US FDA ouvre la porte aux produits du tabac innovants ou de dispense de nicotine
En 2009, la FDA a commencé à réglementer les produits dérivés du tabac non thérapeutiques en vertu du Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act. [16] Cette nouvelle loi signifiait que les firmes de tabac pouvaient mettre au point et commercialiser de produits du tabac innovants ou de dispense de nicotine sans permettre à la FDA de réglementer les cigarettes. Les firmes de cigarette pouvaient dès lors proposer une gamme de produits alternatifs qui complèteraient leurs ventes.
Sans délai, RJ Reynolds acquiert Niconovum, un producteur suédois de gomme de nicotine Zonnic, et élabore un plan produit nommé Soulagement de l'envie ('Craving Relief'). [17] Le glissement de terminologie est révélateur : il ne s’agit pas d’aider (en théorie) le fumeur dépendant à arrêter de fumer mais de continuer à soulager ses envies avec des produits contenant de la nicotine lui permettant de maintenir sa dépendance… au tabagisme en protégeant sa santé. Il s’agit bien de produits palliatifs, palliant les envies ! [18]
Apollonio et Glantz demandent en conclusion dans leur essai Les recherches de l'industrie du tabac sur les traitements nicotiniques de substitution : "Si quelqu'un entend nous chiper notre business, autant faire comme lui" que le marché de tous les produits contenant de la nicotine soit placé sous le monopole médico-pharmaceutique et concluent :
La façon la moins dangereuse de vendre des produits à la nicotine est de limiter la disponibilité de ceux-ci aux fumeurs dont les tentatives de sevrage sont contrôlées par la médecine, conformément aux études originelles sur les traitements nicotiniques de substitution au tabagisme.
Les auteurs proposent donc un retour dans le passé aux années 1980 et 1990. Combat d'arrière-garde ? Les innovations depuis et notamment la concrétisation de la « cigarette artificielle » imaginée par RJ Reynolds dès 1970 [19] ont irréversiblement changé la donne…
Références
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Pierce JP, Gilpin EA. Impact of overthe-counter sales on effectiveness of pharmaceutical aids for smoking cessation. JAMA. 2002;288(10):1260–1264.
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UnAirNeuf.org 09/04/2007, Les patchs ne gagnent pas le match
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Yudkin & al., Abstinence from smoking eight years after participation in randomised controlled trial of nicotine patch. BMJ. 2003; 327(7405):28–29.
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Kotz D, Brown J,West R. Prospective cohort study of the effectiveness of smoking cessation treatments used in the “real world.” Mayo Clin Proc. 2014;89(10):1360–1367.
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Kotz D, Brown J, West R. “Realworld” effectiveness of smoking cessation treatments: a population study. Addiction. 2014;109(3):491–499.
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Taylor Hays, Helping Smokers Quit in the “Real World” Mayo Clinic Nicotine Dependence Center, Rochester, MN, October 2014 Volume 89, Issue 10, Pages 1328–1330. DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.mayocp.2014.08.009
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UnAirNeuf.org 04/09/2008, Les traitements dits de substitution ont tendance à maintenir le tabagisme !
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Robins R, ed. The Seduction of Harm Reduction: Proceedings from the September 2004 Summit ; Sacramento, CA; (pdf 8,8 MØ, p. 101-102) California State, Department of Health Services; 2005.
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Tobacco Industry Research on Nicotine Replacement Therapy: “If Anyone Is Going to Take Away Our Business It Should Be Us”. Am J Public Health, publié en ligne le 17 août 2017: e1-e7. Doi: 10.2105 / AJPH.2017.303935.
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Seligman RB. Tranquilizers and Smoking. Mt. Pleasant, SC: Ness Motley Law Firm; 1960.
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Stern D; Philip Morris. Nicotine patch. 1992. Bates no. 2062338071–2062338072. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/tobacco/docs/hjbp0090
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Stern D; Philip Morris. Nicotine patch overview. 1992. Bates no. 2062338074–2062338075. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/tobacco/docs/jjbp0090
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Philip Morris. Nicotine patch initial qualitative learning. 1992. Bates no.2062338033–2062338035. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/tobacco/docs/rxbp0090
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UnAirNeuf.org, 19/01/2012 Ni l'assistance d'un tabacologue ni les palliatifs de nicotine n'augmentent aux USA les chances d'un arrêt du tabac : l'arrêt franc reste plus probable
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Philip Morris. Nicotine patch overview. 1992. Bates no. 2062338000–2062338018. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/tobacco/docs/pxbp0090
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UnAirNeuf.org 14/08/2009 L'administration fédérale de la Santé US chargée de réguler les produits du tabac : compromis ou capitulation ?
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RJ Reynolds. Draft. NRT/CR/ANP project. 2008. Bates no. 557042932–557042935. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/ tobacco/docs/jhfl0222
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UnAirNeuf.org 11/11/2009 Big Pharma attaquée sur son juteux marché de vente de nicotine http://www.unairneuf.org/2009/11/reynolds-nicovonum-zonnic.html
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Hall LW. Cigarette substitute concept study. 2012. Bates no. 3990747471–3990747532. https://industrydocuments.library.ucsf.edu/tobacco/docs/nklj0191
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- et celle de Carl V Phillips, Anti-THR Lies and related topics, 3 September 2017 The War on Nicotine begins
- UnAirNeuf.org, 05/12/2013 Big Pharma, Big Tobacco et Big Taxes préparent une alliance en Europe pour prendre le contrôle des revenus de la cigarette électronique
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